La marque Custom Audio Electronics, ou encore CAE, est une référence pour de nombreux guitaristes de scène. Bruno Durand, préparateur de racks, s’est spécialisé dans la modification des pré-amplis CAE 3+. En tant qu’acteur privilégié (il distribue la marque en Europe), il nous retrace l’histoire de cet équipement.

Un pré-ampli joué par les stars

Quel guitariste, amoureux de ce que l’on appelle souvent le « beau matos », n’a pas eu envie de brancher son instrument dans ce préampli réputé qu’est le Custom Audio 3+ ? Depuis bientôt quinze ans, cette marque et ses produits font rêver. Il faut dire que Bob Bradshaw, président et fondateur de Custom Audio Electronics (CAE) est le concepteur des systèmes pour guitares de nombreuses stars.

Des noms ? Citons, pris au hasard sur son site : Steve Vai, Dave Mustaine (Megadeth), Kirk Hammet (Metallica), The Edge (US), Peter Frampton, Ted Nugent, Joe Perry (Aerosmith)…

Difficile de ne pas remarquer ses produits derrière les Lukather et autres Landau. Le fer de lance étant le CAE 3+, je vous propose de retracer l’histoire de ce préamp, et pour cela il nous faut remonter un peu dans le temps.

TOTO on tour

Nous sommes dans la seconde moitié des années 80. Bob Bradshaw est alors guitar tech de Steve Lukather, guitariste de Toto. Il se dit qu’il est quand même encombrant d’utiliser trois têtes d’amplis différentes (Boogie, Marshall, Soldano, et parfois d’autres !), pour ne s’en servir que comme préampli avec un seul son dédié par tête.

La mode des racks bat son plein et notre Bob a alors une idée ; pourquoi ne pas concevoir un préampli rassemblant ces fameux trois sons recherchés ? Clean (clair), crunch (croustillant) et lead (solo). Il s’adresse pour cela à Mike Soldano qui a acquit une solide réputation avec sa tête SLO100. Un son superbe et du travail d’orfèvre. Un préampli naît alors de leur union : le prototype du X88R que Luke utilisera pendant des années.

Je dis bien prototype et je vais malheureusement briser le rêve de certains, ceux qui voudraient retrouver le fameux son de Steve Lukather sur le live de Toto à Paris. Ce préampli est extrêmement différent de celui fabriqué ensuite en série. Je ne parle pas uniquement de quelques valeurs de composants changées. Non, cela va beaucoup plus loin. Le circuit n’est pas le même, surtout vers la sortie où il nécessite une lampe supplémentaire. Même sur les points où les composants sont identiques, beaucoup de valeurs sont différentes. Pour couronner le tout, et nous verrons plus loin l’importance de ce détail, l’alimentation est différente. Le transformateur n’est pas le même. Il faut donc se faire à cette idée : avec le modèle de série, vous ne retrouverez pas exactement le grain du prototype joué par Steve Lukather.

We want more

Apres quelques temps, messieurs Lukather et Landau, tout deux très proches de Bob Bradshaw commencèrent à se plaindre du préampli. Le canal clean est un peu plat (le circuit est assez éloigné d’un Fender), le son d’ensemble pas assez large…il faut trouver une parade à ces critiques. On voit alors apparaître dans les racks les égaliseurs et autres équipements comme ceux de la société BBE destinés à compenser tout ceci. Et puis intervient un autre élément : le business.

Mr Bob monte de nombreux systèmes avec ce fameux X88R, car tout le monde en veut. Seulement Mike Soldano n’est pas vraiment Mr discount. Il facture 1700 dollars à Bob le même X88R qu’il vend lui-même 1800 dollars en direct, alors que l’idée était celle de Bob au départ. Il n’est pas difficile d’imaginer la suite. Un idée germe dans la tête de Bob Bradshaw. Pourquoi ne pas construire de préampli directement ?

Mr Guitar Gear

Bob est surtout un électronicien mais pas vraiment un concepteur d’ampli, il lui faut donc un petit coup de main. Il le trouvera en la personne de John Suhr. Celui-ci se trouve à New York, il travaille chez Rudy Pensa qui possède une boutique dans la 48ème rue.

C’est dans ces locaux qu’il réalisera entre autre les fameuses guitares Pensa-Suhr de Mark Knopfler. Les coups de fils se succèdent par dizaines pour discuter du futur produit, le futur CAE 3+. Bob persuade John Suhr de le rejoindre à Los Angeles pour y travailler ensemble. Nous sommes au tout début des années 90.

John Suhr, dans son atelier de guitare aujourd'hui

En 1991, le CAE 3+ apparaît dans le rack de Steve Lukather, puis dans celui de tout le gratin des guitaristes américains : la société CAE (Custom Audio Electronics) était née. Reprenant le concept du X88R, nos amis y ajoutent en plus une section d’égalisation utilisable sur les trois canaux. Cette égalisation souvent utilisée comme boost par les guitaristes était en fait destinée à compenser les différences d’un ampli de puissance a l’autre. Le son clair est digne des meilleurs Fender et les deux canaux saturés capables de couvrir une très large gamme de sonorité. D’autres produits allaient suivre, switchers, mixers, et surtout la fameuse tête OD100. Au départ, il n’en existe que très peu d’exemplaires. La fabrication se développe finalement en passant sous le giron de JST (John Suhr Technology). Une tête d’ampli à ne pas essayer, sous peine d’en perdre le sommeil pour un bon moment !

CAE et CAE SE, quelle différence ?

Lorsqu’un guitariste vous parle du préampli CAE, la question qui vient vite à l’esprit est cette fameuse histoire de version SE ou… pas SE. S’agit-il de deux modèles dont l’un serait supérieur ? En réalité, il ne faut pas voir deux produits différents, mais un seul et unique, affiné dans le temps.

Le produit a été sans cesse amélioré de 1991 jusqu’aux débuts de 1994 environ. Je ne peux pas détailler ici toutes les différences. Ce serait trop long et ceux qui voudront en savoir plus pourront toujours me contacter.
Cependant, il y a une chose importante à savoir. Il existe trois façades différentes du produit (voir photo). Deux assez foncées et une plus claire.

La première où l’on peut voir écrit « Custom Audio Electronics » date de 1991, 92 et 93. La seconde de couleur identique estampillée « Custom Audio Amplifiers » correspond à des modèles allant de 1993 jusqu’à 1995. La dernière façade de couleur plus claire apparaît en 94. Autrement dit, l’atelier CAE donne naissance dans une même année à des modèles d’apparence très légèrement différente, en 1993 et 1994.

Ce que l’on peut remarquer, c’est que la mention SE n’apparaît que sur le dernier modèle. Or la plupart des préamplis avec la façade intermédiaire sont pourtant bien ce que l’on appelle un SE, c’est à dire la version finale, celle encore commercialisée de nos jours !

Selon que le marché était américain ou européen, la façade comportait ou non le fameux sigle SE. Les versions sans les deux lettres ont été écoulées en Europe jusqu’à l’épuisement des stocks, c’est-à-dire fin 1995. Alors que la façade SE était déjà courante aux USA depuis le milieu 94. A l’intérieur le produit est le même. Vous possédez donc peut être un SE sans le savoir !

On peut néanmoins détailler les principales différences entre la toute première version et la version finale. Sur les modèles récents, il faut noter moins de gain sur le canal crunch et plus de gain sur le canal lead, avec une égalisation différente, à la fois plus douce et avec un plus gros son par rapport au modèle des débuts.

Le canal clean lui n’as jamais été modifié sauf sur de très rares modèles. Pour les différencier, on les a appelés « full SE ». Un modèle Full SE dispose d’un gain beaucoup plus important, qui correspond pour les connaisseurs au boost du canal 1 de la tête CAE OD100.

L’égalisation additionnelle a également été remodelée. Sur les premiers modèles de la marque, elle était creusée. Avec le temps, les modèles SE (que le sigle soit visible ou non) ont gagné une égalisation neutre lorsque les corrections sont à midi. Que les propriétaires des premières versions se rassurent. On peut amener n’importe quelle version du CAE 3+ au niveau de la dernière mouture. C’est une opération à la fois peu compliquée et peu coûteuse.

Comment dater son ampli ?

On l’a dit, la date et l’inscription de la marque sur la façade déterminent la véritable identité du préampli. Pour dater le vôtre, c’est très simple. Les deux premiers chiffres correspondent à l’année, les deux suivants au mois et les trois derniers au numéro réel de production de votre appareil.

Par exemple, le numéro de série 9408417 indique que le pré-ampli a été fabriqué en août 1994, et que c’est le 417ème.

En comparant les numéros, on peut s’apercevoir que de 1997 à 2003, seulement environ 150 unités ont été produits. Les derniers exemplaires de ce que l’on appelle maintenant les « originaux » sont numérotés jusqu’à 820. Donc, autre constatation, il existe ou du moins existait moins de mille pré-amplis CAE répartis sur la planète, ce qui est peu. On aurait pu croire que la marque souffrirait de sa rareté et peine à se faire connaître auprès des nouvelles générations de guitaristes. Pourtant, chez les musiciens de scène, elle est présente plus que jamais dans les esprits. Pourquoi ?

Le renouveau

Le retour du pré-ampli CAE dans le système de Steve Lukather n’est peut-être pas étranger au phénomène. Luke s’est fâché avec Paul Rivera dont il utilisait les amplis. Le retour du guitariste de Toto à ses premières amours coïncide un peu avec la demande croissante du public, à partir de 2003, pour le CAE 3+.

Pendant longtemps, la société a dû réagir face à la demande avec des moyens limités. Après tout, Custom Audio Electronics, ce n’est que 3 personnes, dont une ne s’occupant que de la gestion !

Et même si auparavant, il y avait forcément une part de sous-traitance, il fallait cette fois trouver un partenaire pour une production à plus grande échelle. En 2004, une nouvelle étape est franchie. CAE collabore avec la nouvelle structure japonaise CAJ (Custom Audio Japan) et son distributeur américain. La même année, plusieurs centaines d’unités sont fabriquées, à un rythme bien plus rapide qu’aux premières années. Les commandes arrivent. Le CAE 3+ cesse d’être une perle rare et devient disponible pour davantage de musiciens, dans des délais très courts.

Et aujourd’hui ? La France peut élargir son cercle d’adeptes. Une nouvelle distribution et un service après-vente se met en place dans l’Hexagone.

Evidemment, les amoureux de CAE continuent de se poser des questions. La plus fréquente tombe sous le sens. « Y- a-t-il des différences avec les autres CAE 3+ sur le nouveau modèle ? »

Avec la nouvelle production, il y a eu une petite erreur sur le circuit interne. Le problème a été corrigé. Et pour les personnes qui en ont hérité, c’est réparable. Le transformateur d’alimentation est un peu différent mais ce n’est pas un problème. Mais lisez encore la suite…

CAE 3++

Lorsque l’on connait John Suhr et sa passion pour tout ce qui tourne autour de la guitare, il est difficile de s’imaginer que le monsieur puisse s’arrêter là. Certes, John a beau avoir été co-fondateur de CAE avec Bob Bradshaw, il ne fait plus partie de la société depuis des années. La marque Suhr est devenue entre temps synonyme d’une marque de guitare réputée et suit sa voie. Mais les chemins ne se sont pas vraiment séparés. John Suhr a continué de travailler sur le produit CAE 3+ !

Depuis environ deux ans, les connaisseurs parlent des « modifs » Suhr sur le préampli CAE. Alors ces fameuses modifs, qu’est ce que c’est ?

Principalement trois choses.

La première, le « Black face mod » est une version donnant un son clair plus chaud, comme son nom l’indique plus près, d’un Fender Black Face.

La seconde modif, le « Crosstalk fix », est plus qu’une modification. C’est une correction du circuit interne sans réel changement de composants. C’est un re-routage plutôt, qui améliore la qualité du son lead, moins étriqué.

Dernière modif, et la plus importante, baptisée « Tranny swap ». C'est-à-dire un changement de transfo. Ceux qui ont déjà vu l’intérieur du pré-ampli savent que celui-ci est alimenté par un transformateur Toroïdal. D’accord, il est idéal pour le bruit et le poids. Mais ce n’est pas vraiment le cas en ce qui concerne le son. Ce qui avait déjà mis la puce à l’oreille à John, c’est qu’un certain Eddie Van Halen avait utilisé le prototype du CAE 3+ sur un album. Lorsqu’Eddie Van Halen ci reçut un modèle de série, il ne l’utilisa pas. La différence était ce fameux transfo.

Pour avoir modifié des dizaines de préamplis CAE pour de nombreux grands guitaristes européens, je peux vous dire que ces modifications sont un must absolu et que personne n’a jamais demandé à revenir à l’original. La qualité de son et aussi les sensations de jeux s’en trouvent nettement améliorées, surtout par le changement de transformateur.

De là à dire que, pour moi, le CAE 3+ est l’un des meilleurs voire le « meilleur » pré-ampli du monde, il y a un pas que je ne franchirai pas. Cela ne voudrait rien dire, car c’est une affaire de goût. Tout dépend de votre personnalité. Le modèle 3+ est et restera un appareil extraordinaire, capable de tout faire pour peu qu’il soit couplé à un matériel de qualité équivalente, ce qui inclus aussi (on l’oublie parfois)… un guitariste capable d’en tirer parti !

Les sites à consulter :

Le site de CAE :
http://www.customaudioelectronics.com/

Les guitares John Suhr :
http://www.suhrguitars.com/

Le site de l'auteur Bruno Durand :
http://www.bdguitars.com

CAE 3+, la saga d’un pré-ampli