En une décennie, Arcade Fire est sorti de son Canada d'origine pour prendre d'assaut la planète à coups d'hymnes indie. Chacun des trois premiers albums du groupe était empreint d'une personnalité unique et déclamait un amour de la musique entier. Aujourd'hui, les six multi-instrumentistes reviennent avec une envie toujours aussi totale de repousser leurs limites sur une double galette, un opus fleuve qui voit Arcade Fire flirter constamment avec les grandiloquences les plus absurdes tout en gardant un œil sur leurs penchants pop.

On retenait de The Suburbs ses influences « rock de stade » et la force de ses mélodies. Avec le succès phénoménal qu'il a reçu – le point culminant et le plus inattendu étant sans aucun doute le Grammy du meilleur album de l'année en 2011 – Arcade Fire aurait pu virer en groupe mainstream dont les seules prétentions auraient été de vivre sur les dividendes du passé et d'assurer en studio un service minimum pour les années à venir. Reflektor contredit cette logique en tout point. Sur la forme d'abord : un double album qui renvoie directement aux errances conceptuelles des seventies. Sur le fond bien sûr : le gang rehausse son rock de subtilités électroniques fournies par James Murphy (ex-LCD Soundsystem) dans une démarche semblable à celle de David Bowie lorsqu'il se mit à collaborer avec Brian Eno.

De David Bowie, il est d'ailleurs question sur Reflektor et d'entrée de jeu. En effet, sur l’ouvreur éponyme, l’élégant anglais fournit des vocalises qui réveillent quelque peu un morceau qui commençait dangereusement à tourner en rond. Pourtant, malgré ses défauts, ce titre est un des temps forts de l’album et combine la sensibilité pop de Win Butler avec des ambitions prog’ très denses.

Mais cette fusion opérée avec brio sur quelques titres ne peut pas entièrement rattraper les morceaux moins intéressants éparpillés sur ce disque. Flashbulb Eyes et son rythme des Caraïbes ne mène nulle part, pas plus que Here Comes The Night Time II dont le seul intérêt est de nous rappeler l'excellence de sa première partie. Normal Person est un titre simpliste et assez horripilant à la longue avec un refrain dont on se demande s’il s’agit d’un gag… Les codes habituels du groupe sont bien présents mais exécutés avec pauvreté et sans recherche particulière. L’inverse du morceau qui lui succède, Joan Of Arc, très basique également mais dont les différents blocs s’imbriquent de façon plus surprenante pour donner un titre punk et contemplatif à la fois.

Toutefois, s’il fallait garder une seule image, en dehors de celle d’Orphée et d’Eurydice, de Reflektor, ce serait celle d’un rock à la Roxy Music renouvelé. Il y a quelque chose de très classique et snob traversant ce quatrième album studio. Le son y est en permanence étouffé pour une ambiance stimulant la claustrophobie. Le groupe parsème tout de même quelques moments de lumière (Afterlife, Reflektor…) mais le ton général est plus lugubre. Celui-ci sied moins aux ambitions d’Arcade Fire et le conduit parfois à composer de la soupe comme sur Awful Sound (Oh Eurydice) qui cumule toutes les caractéristiques de la musique d’ascenseur. On est à des lieues de son petit frère It's Never Over (Hey Orpheus), certainement le coup d’éclat de ce disque avec une basse tonitruante, des vocaux entrainants et une construction alambiquée.

Malgré tout, Reflektor est un peu avare en moments de bravoure. Arcade Fire ne s’est pas vautré mais il descend quand même d’un bon cran en termes de qualité, davantage à cause d’une étrange irrégularité que d’un mal profond. Peut-être que la dispersion artistique du groupe qui a contribué de à la musique pour Hunger Games et pour Her n’a pas joué en sa faveur. En attendant de se perdre en conjectures, on se réécoutera les trois premières galettes.


Line-up :
Win Butler (chant+divers instruments)
Régine Chassagne (chant+divers instruments)
Richard Reed Parry (divers instruments)
Tim Kingsbury (divers instruments)
Will Butler (divers instruments)
Jeremy Gara (divers instruments)

Discographie :
Funeral (2004)
Neon Bible (2007)
The Suburbs (2010)
Reflektor (2013)

Tracklist de Reflektor (en gras les morceaux essentiels) :
Disc one   
1.    Reflektor      7:34
2.    We Exist      5:43
3.    Flashbulb Eyes      2:42
4.    Here Comes the Night Time      6:30
5.    Normal Person      4:22
6.    You Already Know      3:59
7.    Joan of Arc      5:24

Disc two       
1.    Here Comes the Night Time II      2:51
2.    Awful Sound (Oh Eurydice)      6:13
3.    It's Never Over (Hey Orpheus)      6:42
4.    Porno      6:02
5.    Afterlife      5:52
6.    Supersymmetry      11:16


Arcade Fire - Reflektor
Merge
www.arcadefire.com

Arcade Fire - Reflektor

Sur le même thème
Sur les forums