Arrivés à un stade de légende musicale, la plupart des artistes se rangent en trois catégories. La première est constituée de ceux qui ne font plus que tourner, radotant les classiques du bon vieux temps comme un vétéran de guerre ses exploits d’un autre temps. La deuxième comporte ceux qui s’obstinent à composer des albums dont la qualité n’a plus rien à voir avec leurs disques marquants datant souvent d’il y a au moins trente ans. Enfin, la troisième, représentée brillamment par Bob Dylan, montre des musiciens aussi inventifs aujourd’hui à l’aube de leur carrière que dans leur fougueuse jeunesse. Bruce Springsteen, néanmoins, n’appartient à aucune de ces classifications. Mise à part l’excellente surprise de The Rising en 2002, l’Américain alterne l’essentiel et le très mauvais au sein même de chaque disque depuis Tunnel Of Love il y a vingt-deux ans… Working On A Dream peut-il recréer l’exploit, sept ans plus tard ?
La triplette de titres qui ouvre l’album possède en tout cas un sacré impact, pour des raisons très différentes. « Outlaw Pete », l’ouvreur épique, ressemble à une chanson de Nick Cave And The Bad Seeds, la touche « real american » en plus, et véhicule une véritable métaphore de rédemption et de réflexion sur la vie sans oublier des références directes ou indirectes au double mandat de George W. Bush. Le tout en huit minutes qui nous renvoient directement à « The E Street Shuffle », là où tout avait commencé.« My Lucky Day » restera pour sa part comme LA chanson de cette cuvée 2009 tout comme « Radio Nowhere » l’avait été sur Magic. Endiablée, joyeuse et dotée d’arrangements bien pensés, « My Lucky Day » a peut-être été écrite pour figurer sur un CD mais il est clair que seule la scène (de préférence géante) permettra de saisir toute sa force. Si ce titre constitue le Springsteen rock ‘n’ roll et grandiloquent, le morceau éponyme serait son versant pop et plus consensuel. Pas déplaisant – le savoir-faire du Boss émerveille toujours – mais pas impressionnant pour autant. Le choix idéal pour un premier single qui ne froissera personne…
Le reste se gâte franchement. Avec « Queen Of The Supermarket », Springsteen écrit un de ses titres les plus pitoyables tant dans les paroles que la musique, sorte de parodie surchargée de « Meat Loaf » avec chœurs, cordes et effets larmoyants. « This Life » et « Kingdom Of Days » excellent également dans ce côté gnangnan quoiqu’avec plus de retenue et d’accroche mélodique. « Good Eye » avec son ambiance de western blues ‘n’ roll restera comme l’intrus de la rondelle, perdu en son milieu.
Mais plus que ces errements stylistiques, ce qui frappe sur l’ensemble de ce seizième album studio est le retrait de l’E Street Band et plus particulièrement de son saxophoniste vedette Clarence Clemons dont le rôle est réduit à celui d’un invité discret. Les guitares et les claviers ne se voient accorder guère plus d’espace et d’importance dans des compositions fortement axées sur les lignes vocales, ce qui donne à ce disque avec l’E Street Band des airs d’album solo. Les très bons morceaux acoustiques « The Wrestler » (réalisé pour le film du même nom), « The Last Carnival » et « Tomorrow Never Knows » ne font que renforcer cette impression tant ils sont portés par la star de la dernière mi-temps du Superbowl.
Finalement, Bruce Springsteen nous montre avec ce disque au titre qui doit plus au slogan politique qu’à une motivation rock ‘n’ roll qu’il fait dorénavant de la musique comme les gouvernements mènent leurs actions : avec beaucoup de poudre mais aussi avec quelques moments de vérité.
Line-up :
Bruce Springsteen (chant, guitare, claviers)
Roy Bittan (claviers)
Clarence Clemons (saxophone)
Danny Federici (orgue)
Nils Lofgren (guitare)
Patti Scialfa (chant)
Garry Tallent (basse)
Steve Van Zandt (guitare)
Max Weinberg (batterie)
Soozie Tyrell (violon)
Tracklist de Working On A Dream (en gras les morceaux essentiels) :
1. Outlaw Pete - 8:00
2. My Lucky Day - 4:01
3. Working on a Dream - 3:30
4. Queen of the Supermarket - 4:40
5. What Love Can Do - 2:57
6. This Life - 4:30
7. Good Eye - 3:01
8. Tomorrow Never Knows - 2:14
9. Life Itself - 4:00
10. Kingdom of Days - 4:02
11. Surprise, Surprise - 3:24
12. The Last Carnival - 3:11
13. (bonus) The Wrestler – 3:50
Discographie de Bruce Springsteen (en gras les albums essentiels) :
1973 : Greetings from Asbury Park, N.J.
1973 : The Wild, the Innocent & the E Street Shuffle
1975 : Born to Run
1978 : Darkness on the Edge of Town
1980 : The River
1982 : Nebraska
1984 : Born in the U.S.A.
1987 : Tunnel of Love
1992 : Human Touch
1992 : Lucky Town
1995 : The Ghost of Tom Joad
2002 : The Rising
2005 : Devils & Dust
2006 : We Shall Overcome : The Seeger Sessions
2007 : Magic
2009 : Working on a Dream
Bruce Springsteen – Working On A Dream
Columbia
www.brucespringsteen.net
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