En commençant seul l'aventure Dirty Projectors, David Longstreth ne se doutait sûrement pas qu'il serait un jour entouré d’autant de collaborateurs. Allant et venant au fil des disques, ils ne sont pourtant guère plus que des vecteurs pour transposer les idées souvent contradictoires de l'Américain. Celles-ci trouvent sur Bitte Orca, le nouvel opus du collectif, une agréable justesse dans leur folie, un bel équilibre dans leurs approximations et un terrain original pour réconcilier les amateurs de lo-fi avec les défenseurs de rock surproduit. Cela semble confus ? Bitte Orca l'est indubitablement. Toutefois, cela ne constitue pas la moindre de ses nombreuses qualités…

Bitte Orca, dans un premier temps, lorsque les oppositions musicales n’ont pas encore été intégrées pleinement, laisse l’auditeur médusé devant un résultat ressemblant à un Mastodon converti au rock folk ou aux Beach Boys qui composeraient leurs morceaux avec une attention particulière portée aux mesures asymétriques. Néanmoins, avec une sensibilité toute pop et une approche rappelant parfois étrangement A-Ha ou Regina Spektor (sur « Two Doves », le titre le plus formaté des neuf présentés), Dirty Projectors arrive à se rendre intelligible sans ni se compromettre ni demander trop d’efforts.

Tout le contraire de la démarche de création qui elle paraît méticuleuse, presque fastidieuse. Bitte Orca cultive ses détails et ses nuances avec l’attention du préparateur en pharmacie. Chaque harmonie, arrangement, riff, changement de rythme tombe avec une précision machiavélique et dynamise des titres aux formats courts, graves et intenses. Il en résulte des compositions accessibles non pas au sens du format radio mais « à la manière des Dirty Projectors ». Elles imposent leurs particularités et, grâce à leurs richesses créatives ainsi qu’à leurs tonalités ésotériques, l’on est conquis peu à peu par un pouvoir d’addiction assez peu courant pour une musique dans le fond aussi barrée.

Au milieu de tout cela : une voix très particulière au timbre pouvant agacer. Ce fut d’ailleurs la principale critique émise à l’encontre des opus précédents. Sur cette cinquième réalisation studio, pourtant, David Longstreth fait quelques efforts consensuels sur ce point. Ils s’avèrent décisifs dans la réussite de Bitte Orca, surtout lorsqu’il laisse le micro à Amber Coffman sur le référentiel « Stillness Is The Move ». Avec sa mélodie vocale parfaite répondant harmonieusement à une pattern typique de Longstreth, ce single rappelle le « Knotty Pine » de l’excellente compilation Dark Was The Night dont nous vous parlions il y a deux mois. En prime : les meilleurs plans de guitare, avec ceux de « No Intention », du disque. Les quelques notes, savamment dosées et brillamment produites, créent un effet de « harpe en toile d’araignée » impressionnant et mémorable. A l’opposé des décharges presque indus entendues sur « Useful Chamber ».
De toute manière, n’importe quel élément du disque y trouve également son antithèse : Bitte Orca est la matière et l’antimatière à la fois. Un cri artistique surpuissant de liberté apparaissant comme la concrétisation d’un talent mûri pendant sept ans. Reste à savoir si Dirty Projectors vieillira aussi bien qu’un Chivas. Les prochains disques donneront une indication précieuse. Mais à l’écoute de cette démonstration irrésistible, la confiance ne manque pas…

Line-up
David Longstreth (lead)
Amber Coffman (chant, guitare)
Angel Deradoorian (chant, claviers, guitare, basse)
Brian Mcomber (batterie)

Tracklist de Bitte Orca (en gras les morceaux essentiels)
1. Cannibal Resource - 3:55
2. Temecula Sunrise - 5:05
3. The Bride - 2:49
4. Stillness Is the Move - 5:14
5. Two Doves - 3:42
6. Useful Chamber - 6:28
7. No Intention - 4:17
8. Remade Horizon - 3:55
9. Fluorescent Half Dome - 5:45

Discographie
The Graceful Fallen Mango (2002)
The Glad Fact (2003)
Morning Better Last ! (2003)
Slaves' Graves and Ballads (2004)
The Getty Address (2005)
Highlights From The Getty Address (2006)
New Attitude EP (2006)
Rise Above (2007)
Bitte Orca (2009)


Dirty Projectors – Bitte Orca
Domino
www.dirtyprojectors.net 
Dirty Projectors, le fabuleux cheminement de Bitte Orca