The National et Interpol sont deux groupes qui ont de tout temps été comparés et qui possèdent clairement des similitudes dans le style pratiqué. Mais il est amusant de constater que leurs trajectoires s’opposent complètement. En 2007, au moment où The National s’affirmait, avec l’indispensable Boxer, Interpol s’apprêtait à décliner avec Our Love To Admire. Cette année les deux groupes sortent encore une fois leurs albums à quelques mois d’intervalle. Si l’on sait déjà que High Violet a conquis les foules et permis d’introniser les frères Dessner en favoris pour le titre d’album de l’année, le disque éponyme d’Interpol devrait donc selon toute logique être une immense déception. Implacable.

Paul Banks a beau se démener avec son chant hanté et sa guitare nerveuse, la perte d’inspiration sentie sur le troisième album se confirme. Interpol n’a jamais pratiqué une musique spécialement originale – son admiration pour Joy Division, Television ou encore Echo & The Bunnymen étant un peu trop évidente – mais il avait su jusque-là l’embellir avec énormément de tact et d’audace. Ce fut en tout cas suffisant pour propulser le groupe dans les plus grandes salles de concert du monde et lui faire accoucher de deux excellents disques riches en hymnes et finalement plus vivants que les premières écoutes ne le laissaient penser (NYC, Next Exit, Obstacle 1, Obstacle 2, etc.)

Interpol entame les débats en 2010 en annonçant qu’ils ont du succès. Pourtant ça ne semble pas réjouir les membres du groupe et surtout pas Paul Banks, plus croque mort que jamais dans l’apparence et l’élocution. Le quartette, transformé (provisoirement ?) en trio suite au départ de Carlos Dengler après l’enregistrement de ce disque, évolue toujours, imperméable aux sensations extérieures comme si la tristesse de sa musique l’avait définitivement isolé. Interpol reste fidèle à ce que Turn On The Bright Lights nous avait montré mais son mode d’expression s’enraye sérieusement.

Et ce ne sont pas les quelques timides incursions en territoire inconnu qui nous donneront envie d’en entendre davantage. Le single Barricade, doté d’un refrain niais à ranger aux côtés des erreurs de jeunesse de R.E.M., Try It On, avec son piano aussi entêtant que complètement hors sujet, ou encore The Undoing et ses cuivres mal employés comptent parmi les tics énervants parsemant cette galette. Quant aux valeurs sûres – Lights, Success ou Summer Well – elles convergent toutes vers des crescendos qui n’arrivent jamais. Les Américains veulent faire les choses en grand mais paraissent bien petits face à leurs ambitions. Alors que leurs semblables Arcade Fire ou The National ont passé un cap depuis leurs débuts, Interpol semble coincé en première vitesse, incapable de changer sa perspective sur son art.



Bien entendu, on ne lui demande pas de se réinventer complètement mais ce nouvel album est tellement en dessous des autres qu’on est fortement dérouté. Comment autant de talent a-t-il pu être gâché en si peu de temps ? Dans ces conditions, il n’est guère étonnant de voir des dégâts dans le line-up. Carlos Dengler, bassiste intenable et moteur vrombissant de Turn on the Bright Lights, s’en va avant que les choses ne dégénèrent… ou se régénèrent (si l’on a encore la foi). A force de donner dans l’introspection, Interpol a dû comprendre qu’il n’avait plus rien à nous communiquer. A coup sûr, maintenant que le groupe se retrouve dos au mur, le prochain effort redorera leur blason. Si ce n’était pas le cas, le chemin vers les oubliettes est tout tracé et fera sans doute regretter à Paul Banks les sentiers de la gloire…


Line-up :

Paul Banks (chant+guitare)
Daniel Kessler (guitare)
Sam Fogarino (batterie)
Carlos Dengler (basse+claviers)

Discographie :
Turn on the Bright Lights (2002)
Antics (2004)
Our Love to Admire (2007)
Interpol (2010)

Tracklisting de Interpol (en gras les morceaux essentiels) :
1. Success 3:28
2. Memory Serves 5:03
3. Summer Well 4:05
4. Lights 5:38
5. Barricade 4:11
6. Always Malaise (The Man I Am) 4:15
7. Safe Without 4:41
8. Try It On 3:42
9. All of the Ways 5:18
10. The Undoing 5:11

Interpol - Interpol
Polydor
www.interpolnyc.com
Interpol, un avenir incertain ?