Après avoir vendu des dizaines de millions d’albums, Linkin Park avait envie d’essayer autre chose. Cela se sentait déjà sur Minutes To Midnight et cela se confirme pleinement sur A Thousand Suns, la progression logique des penchants expérimentaux d’une des plus grosses machines à tubes des années 2000. Aujourd’hui, pourtant, Linkin Park ne semble plus bon qu’à composer une musique de supermarché, fade et artificiellement triste. Certains y verront l’évolution d’un groupe à qui le succès a rendu la prise de risque facile, d’autres ressentiront le disque comme un dénigrement inacceptable des racines du sextette…

Malgré la subjectivité de chacun, un fait mettra tout le monde d’accord : Linkin Park a changé. Le rap de Mike Shinoda, si décrié à l’origine, a entièrement disparu - seules quelques lointaines influences subsistent sur When They Come For Me, Wretches And Kings ou Waiting For The End – et le chant de Chester Bennington s’est réduit à sa plus simple forme. Cet appauvrissement vocal, pourtant, apparait totalement cohérent avec la musique proposée, mélange terne de pianos atmosphériques et de rythmiques de bas étage. Robot Boy, rassemblant tout ce qu’on peut faire de pire avec des claviers, et The Messenger, aisément le moins bon morceau enregistré dans la carrière groupe, font tellement de peine à l’écoute que, par comparaison, certaines chansons émergent positivement.

Les interludes, tout d’abord. Assez chargés en émotion, ils justifient tous leur rôle de « breathers », en particulier The Requiem ainsi que le très joli Wisdom, Justice, and Love et son sample emprunté à Martin Luther King Jr. Problème : aucune tension ne se dégage des morceaux de plus de deux minutes ce qui rend du coup la notion d’interlude complètement futile. Les trois-quarts d’heure de l’ensemble passent si lentement que le temps semble se distordre. Si Papa Roach s’inspirait de Brian Eno pour enregistrer un disque, il ressemblerait sûrement à peu près à A Thousand Suns… Heureusement, Wretches And Kings, avec son léger relent énergique lors de ses couplets, et The Catalyst, plus posée et respectant quelques codes essentiels popularisés par Linkin Park, parviennent en dernier recours à contenter les fans du groupe.



Les autres, à qui les Américains s’adressent clairement sur A Thousand Suns dans une ultime tentative d’être pris aux sérieux par une frange d’auditeurs plus matures, seront quant à eux encore plus sceptiques. Si ce disque d’épanouissement peut berner le public ayant grandi avec Linkin Park et découvrant tout à coup autre chose qu’un rap rock vitalisant, tous ceux pour qui les années 70 n’ont plus aucun secret et qui s’intéressent, même occasionnellement, à la scène alternative riront devant la naïveté immense dont font preuve Bennington et Shinoda.

Les exemples de cette candeur musicale ne manquent pas : la guitare godiche de Burning in the Skies, la chorale d’Iridescent, le vocoder de Fallout, le chant lacrymal de The Messenger, le beat jungle de When They Come For Me, le concept-même du disque, etc. Tout a déjà été fait, à des centaines de reprises, en mieux, par d’autres, et ce dans tous les pays du monde. Le style ravageur d’Hybrid Theory, quoiqu’on puisse en penser, n’a pour par sa part encore jamais été imité avec talent par qui que ce soit. Alors pourquoi vouloir à tout prix passer le témoin alors qu’il n’y a aucun relayeur ?

Line-up :
Chester Bennington (chant)
Brad Delson (guitare)
Mike Shinoda (chant+guitare+claviers)
Dave “Phoenix” Farrell (basse)
Joe Hahn (DJ+claviers)
Rob Bourdon (batterie)

Discographie :
Hybrid Theory (2000)
Meteora (2003)
Minutes to Midnight (2007)
A Thousand Suns (2010)

Tracklisting de A Thousand Suns (en gras les morceaux essentiels) :
1. The Requiem 2:01
2. The Radiance 0:57
3. Burning in the Skies 4:13
4. Empty Spaces 0:18
5. When They Come for Me 4:53
6. Robot Boy 4:29
7. Jornada del Muerto 1:34
8. Waiting for the End 3:51
9. Blackout 4:39
10. Wretches and Kings 4:10
11. Wisdom, Justice, and Love 1:38
12. Iridescent 4:56
13. Fallout 1:23
14. The Catalyst 5:42
15. The Messenger 3:01


Linkin Park - A Thousand Suns
Warner Bros.
www.linkinpark.com
Linkin Park dans les abysses