Que reste-t-il de Ten, dix-huit ans après sa sortie ? L’album qui a propulsé Pearl Jam sur le devant de la scène à la même époque que leurs camarades de Seattle officiant dans Nirvana, Soundgarden ou Alice In Chains s’offre une nouvelle jeunesse sous la houlette de Brendan O’Brien, décidément partout ses temps-ci… Que ce soit avec AC/DC, Mastodon ou Bruce Springsteen, le producteur vedette enchaîne les projets comme un bourreau de travail et si jusqu’à présent il arrivait à assurer des services de qualité pour l’édition « deluxe » de Ten, il rate quelque peu le coche...

Première réédition d’une longue série qui nous mènera au vingtième anniversaire de Pearl Jam en 2011, cette nouvelle mouture de Ten se décline sur plusieurs supports dont un imposant coffret vendu aux alentours de 120 €. Au centre de toutes ces versions : l’album remixé et remasterisé avec six titres supplémentaires. Brendan O’Brien, l’actuel producteur du groupe, donne aux compositions de l’époque un son direct et jeune, complètement à l’opposé du Ten que les gens ont toujours connu. Ce genre de changements est rarement accepté du public et même les non-fans auront du mal à accrocher à la dénaturation de cet album transitoire entre le hair metal des années 80 et la vague grunge qui allait suivre.

Cette réédition est surtout l’occasion pour nous de nous replonger dans une période essentielle de l’Histoire du Rock. A peine débarrassée des tics des metalleux – quelques larsens et screamings parasites çà et là nous rappellent tout de même que Pearl Jam a été marqué de leur empreinte –, la scène rock se simplifiait : exit les soli de guitare, les excentricités vocales ; place à l’efficacité du riff et à la rébellion intérieure. La bande à Eddie Vedder, comparée à Nirvana ou Alice In Chains, n’a jamais été très heavy et Ten abat d’autres atouts pour convaincre de son intemporalité.

Une grande influence des seventies, tout d’abord. Même si celles-ci s’expliciteront davantage à l’avenir, elles suintent déjà par quelques arpèges et leads de guitare que Led Zeppelin ou Eric Clapton n’auraient pas reniés, pas plus que cette utilisation clairvoyante des harmonies. Une maîtrise vocale, ensuite. Eddie Vedder s’impose dès ses premières prises de micro comme un artiste à part, fusionnant le meilleur de Bob Dylan, Robert Plant et Tom Petty pour imposer son interprétation de paroles très personnelles. L’accessibilité, enfin. Malgré des sujets parfois sombres, voire carrément glauques (« Jeremy », entre mille), et un univers musical assez hermétique(« Once », « Black ») – rappelez-vous des clips du groupe – Pearl Jam paraît très terre à terre, proche du public. Et cela passait, en grande partie, par la production d’origine, signée Rick Parashar, toujours sur le fil du rasoir et pleine de rebonds.
 
Juger Ten avec un regard neuf permet de reposer une oreille attentive sur les morceaux secondaires de l’album, ceux que notre mémoire avait sélectivement effacés au profit des singles-hymnes que sont « Alive », « Even Flow » et « Jeremy ». « Once », en premier lieu, avec sa lente intro méditative qui laisse place au plus gros riff du disque et à des lignes vocales synthétisant toute la classe et la personnalité de Vedder. A l’opposé de la colère contenue dans cet ouvreur, on trouve « Black » et ses mélodies aussi faciles que plaisantes.

Cet enchaînement paradoxal entre moments purement rock et titres plus aérés deviendront une marque de fabrique de Pearl Jam, malgré des contrastes de moins en moins prononcés avec l’âge. Mis en perspective avec la production musicale des années 2000, Ten permet en tout cas de mieux comprendre d’où viennent Nickelback et toute la vague post grunge. Cela restera comme le seul tort d’un disque salué dès sa sortie comme un classique instantané. 2009 l’élève au rang de classique éternel.


Line-up (2009) :
Eddie Vedder (chant, guitare)
Jeff Ament (basse)
Stone Gossard (guitare)
Mike McCready (guitare)
Matt Cameron (batterie)

Tracklist de Ten Deluxe Edition (en gras les morceaux essentiels) :
1.Once – 3:51
2.Even Flow– 4:53
3.Alive – 5:40
4.Why Go – 3:19
5.Black – 5:43
6.Jeremy – 5:18
7.Oceans – 2:41
8.Porch – 3:30
9.Garden – 4:58
10.Deep – 4:18
11.Release – 9:04
12.Brother – 3:59
13.Just a Girl – 5:02
14.Breath and a Scream – 5:58
15.State of Love and Trust – 4:49
16.2,000 Mile Blues – 3:58
17.Evil Little Goat – 1:29

Discographie :
Ten (1991)
Vs. (1993)
Vitalogy (1994)
No Code (1996)
Yield (1998)
Binaural (2000)
Riot Act (2002)
Pearl Jam (2006)


Pearl Jam – Ten : Deluxe Edition
Epic - SonyBMG
www.pearljam.com

Pearl Jam, l'intemporel Ten