ART TOPIC

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jules_albert

George Grosz, Art is Eternal, 1936



On comprend mieux ainsi que lorsque Grosz eut définitivement cessé de croire au projet communiste, et même que l'artiste pût encore lutter pour ou contre quoi que ce soit, il cessa aussi de croire à l'efficacité politique de l'art. En 1936, hanté par des visions de fin du monde, rongé par son impuissance et condamné à un double exil, réel et intérieur, il publiait bien avant les accords de Munich et le pacte germano-soviétique "Art is Eternal", gravure de l'album Interregnum. Deux personnages au visage à moitié représenté, créatures mi-anthropomorphes, mi-mécanomorphes, y sont assis dos à dos. Seuls leurs attributs distinguent ces Titans : à gauche, couteau entre les dents et bras droit tendu en un salut hitlérien, c'est le fascisme ; à droite, poing levé, l'autre main serrant un marteau, c'est le communisme. Entre les deux géants, l'art, reconnaissable au livre, la palette et la lyre qui l'accompagnent, se balance cheveux au vent et sourire aux lèvres, assis en équilibre sur une mince ficelle. Il a pris les traits d'une minuscule et inoffensive poupée de chiffon au sexe indécidable.

La guerre terminée, à l'ère de la bombe, une nouvelle génération d'artistes américains confrontée à un présent indéchiffrable s'apprêtait à rompre les liens unissant l'art au quotidien et à l'histoire. S'ils invoquaient le mythe, c'était moins pour en revivifier les forces que pour y trouver refuge. Grosz quant à lui continuerait quelque temps encore à chanter son "petit couplet. Une fois encore, avant que tout ne sombre dans les ténèbres des temps à venir, avant que les temps présents ne soient balayés à jamais par une éponge géante gorgée de sang...". Il y avait dans ces lignes, les dernières de l'autobiographie de Grosz, beaucoup du projet personnel de Günther Anders.

Catherine Wermester, extrait de la postface du livre d'Anders sur George Grosz, éd. Allia, 2005.

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Lao
  • Lao
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  • #498
  • Publié par
    Lao
    le 01 Jan 21, 17:28
Oscar Wilde a écrit :
L’artiste ne désire prouver quoi que ce soit. Même les choses vraies peuvent être prouvées.
L’artiste n’a point de sympathies éthiques. Une sympathie morale dans un artiste amène un maniérisme impardonnable du style.
L’artiste n’est jamais pris au dépourvu. Il peut exprimer toute chose.
Pour l’artiste, la pensée et le langage sont les instruments d’un art.
Le vice et la vertu en sont les matériaux. Au point de vue de la forme, le type de tous les arts est la musique. Au point de vue de la sensation, c’est le métier de comédien.
Tout art est à la fois surface et symbole.
Ceux qui cherchent sous la surface le font à leurs risques et périls.
Ceux-là aussi qui tentent de pénétrer le symbole.
C’est le spectateur, et non la vie, que l’Art reflète réellement.
Les diversités d’opinion sur une œuvre d’art montrent que cette œuvre est nouvelle, complexe et viable.
Alors que les critiques diffèrent, l’artiste est en accord avec lui-même.
Nous pouvons pardonner à un homme d’avoir fait une chose utile aussi longtemps qu’il ne l’admire pas.
La seule excuse d’avoir fait une chose inutile est de l’admirer intensément.
L’Art est tout à fait inutile.
jules_albert
Le développement bien particulier de notre science moderne a dû renoncer à prendre en compte beaucoup de phénomènes de conscience dont il était pourtant impossible de nier l'existence, que chacun peut expérimenter dans son intimité, et qui sont désormais rejetés dans le domaine méprisé de la « subjectivité » individuelle ; quand bien même de tels phénomènes se révèlent universels. Il en est de certains rapports de grandeurs et de leur effet sur celui qui les observe, de certains agencements de formes, de certaines dispositions de couleurs ou de tonalités, de certaines convergences ou divergences de lignes, de la simultanéité ou de la succession rythmée d'événements multiples, toutes réalités expérimentales qui appartenaient autrefois à la science et qui en sont maintenant exclues, sans mode d'emploi, ni théorique ni pratique. L'impossibilité de nier de tels phénomènes, leur insistance à s'éprouver et à s'exprimer sous n'importe quelle forme, a donné naissance à ce que, depuis la Renaissance marchande, nous appelons l'art. Faute de participer, comme autrefois, à la compréhension et à l'édification d'un monde à notre image et à notre usage, ces connaissances théoriques et pratiques n'ont pu s'appliquer qu'à des matériaux dérisoires, morceaux de papier, de toile ou de carton, déchets de marbre ou de métal, compositions musicales ou poétiques conçues et produites hors de toute fonction sociale précise, dont elles étaient inséparables autrefois.

Il s'agit donc d'un art de substitution, né de la mise en œuvre d'une expérience et d'une connaissance exclues de la science, d'une pratique détournée de la réalité sociale, et appliquée à des supports sans signification. Les œuvres qui en résultent, séparées du monde réel, s'y surajoutent seulement, et on peut en jouir innocemment dans des entrepôts très fonctionnels, musées, galeries d'art, salles de concert, ou encore sous la forme de reproductions photographiques, de livres, d'enregistrements sonores, dont la réalisation technique relève de la nouvelle science moderne (qu'on nous vante maintenant pour ce genre de mérite). A travers de tels ouvrages, chacun peut admirer ce que des hommes privés de tout, mais pas encore d'eux-mêmes, ont su réaliser avec des détritus. Cet art sans objet a constitué le complément indispensable de la science sans sujet, alors qu'autrefois l'un et l'autre résultaient de la totalité de l'expérience humaine et du travail social de leur époque. La science et l'art en étaient respectivement la théorie et la pratique. Et la récente séparation entre un art et une science amputés de la moitié d'eux-mêmes est assurément apparue au moment de la Renaissance marchande, avant laquelle cette science d'expert- comptable et cet art de rebut n'existaient pas.

Tel musée ou telle exposition d'art nous donne à voir maintenant la couverture de selle d'un guerrier khirghise, le peigne sculpté d'une jeune fille étrusque, une enluminure arrachée à un livre d'heures ou la reproduction d'une scène de chasse néolithique. Et ces objets nous sont présentés comme des objets d'art, au même titre qu'un tableau de David ou un mobile de Calder : des uns aux autres, une simple évolution historique, sans solution de continuité. Peut-être observera-t-on qu'autrefois de telles œuvres n'étaient jamais signées, mais on en conclura étourdiment qu'il s'agissait d'une question de mode culturelle ou d'une humilité admirable des anciens « artistes ». Dans de très nombreuses civilisations pourtant, et pendant des millénaires, l'art n'existait pas au sens où il n'y avait pas de création non artistique.
Le moindre ustensile de cuisine ou de toilette était traité avec les égards dus à ces actes fondamentalement religieux que constituaient le repas ou le bain. Car il n'y avait pas d'activité profane. Manger, se vêtir, chasser, étaient des actes sacrificiels en des temps où chacun s'éprouvaient dans sa totalité comme l'habitacle de la source vivante et de son unicité. La couverture de selle, le peigne et la peinture rupestre étaient des ouvrages utiles, destinés à participer à des actes ou à des événements particuliers, et dont la forme coïncidait avec ce que leur emploi signifiait dans l'ensemble de l'activité humaine. Leur forme était donc, comme aujourd'hui, adaptée à leur usage. Seulement, « l'usage » que l'homme faisait de lui-même était alors tout différent. L'art était ainsi l'activité pratique humaine édifiée sur un ensemble de connaissances expérimentales - c'est-à-dire réellement éprouvées par qui s'en donnait les moyens - qui fondaient la véritable science d'alors.

extrait de l'objet de l'art (chapitre 3) : https://debord-encore.blogspot(...).html
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Sola
  • #500
  • Publié par
    Sola
    le 02 Jan 21, 10:34
Ca veut dire qu'à partir de la renaissance marchande l'art ne serait que de la décoration qui émeut et qu'il y aurait plus de science artistique dans le plan d'un ingénieur de l'aéronautique par exemple ?
Le bonheur rangé dans une armoire
jules_albert
sola, le chapitre 2 est plutôt éclairant :

[...] Notre civilisation, au contraire, a fondé une science ignorant son propre sujet - c'est-à-dire la conscience marchande - une science prétendument sans sujet, une étude de l'univers et de soi-même indépendante de la structure vivante de son observateur. Et cette espèce de science a toujours nié l'existence d'un sujet de la science sur lesquels les anciens savoirs s'étaient édifiés, qui étaient la condition même de leur validité et la pierre angulaire de toutes les connaissances traditionnelles. Elle n'a pu s'imposer elle-même et se développer qu'en méconnaissant l'existence d'un tel sujet, et surtout le sien propre, qui était en effet parfaitement ignoble et trivial.

Cette science a naturellement porté des fruits à son image. On peut vérifier aujourd'hui que son développement a correspondu exactement à ses prémices et à ses méthodes. Fondée sur la négation préalable du sujet vivant, elle a permis d'édifier un monde d'où l'homme s'est bientôt retrouvé exproprié. C'est ce dernier scandale qui incite aujourd'hui tant de gens à espérer l'effondrement de notre civilisation. La plupart escomptent que la science moderne les aidera ensuite à reconstruire un monde à la fois libéré des contraintes matérielles et des souffrances présentes. Mais quand on observe les relations qu'une telle science entretient avec un mode de conscience étroitement lié à l'activité marchande, on peut légitimement s'inquiéter de ce qu'il adviendra de cette science si, par malheur pour ses admirateurs, notre actuelle civilisation venait à disparaître.


extrait du sujet de la science (chapitre 2) : https://debord-encore.blogspot(...).html
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jules_albert
On a constaté, depuis, l'emploi dérisoire qui pouvait être fait des connaissances expérimentales les plus fécondes d'autrefois et l'art à repris à son compte la totalité d'une pratique sociale qui venait de disparaître du monde réel.

La fusion du créateur et de la créature, de la vie et du vivant, s'est illustrée non dans la réalité vécue mais comme spectacle à admirer. L'espace et ses complexités abstraites se sont donnés à contempler dans le grossier carcan des seules lignes de fuite et Vinci réussit à incarner en lui-même la séparation définitive entre l'art nouveau et la science moderne. Ce qui naguère avait été intimement vécu s'est dès lors éloigné et figé dans une représentation.

extrait du chapitre 3, l'objet de l'art : https://debord-encore.blogspot(...).html
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Sola
  • #503
  • Publié par
    Sola
    le 03 Jan 21, 07:59
Ca reste complexe pour ma petite tête mais je crois cerner l'idée au loin à travers ma brume épaisse.
Le bonheur rangé dans une armoire
BluesBarbu
Mehmet Geren, dans le même genre qu'Alexey Kondakov





Blow Up








"Macron est de gauche" BluesBarbu le 20/02/2021
Lao
  • Lao
  • Vintage Top utilisateur
  • MP
  • #507
  • Publié par
    Lao
    le 04 Jan 21, 19:13
Blow Up a écrit :
Station Villiers
France-Soir est mort.
BluesBarbu
Quand le backstagien montre de l'art, le parisien regarde la barre de métro
Sola
  • #509
  • Publié par
    Sola
    le 05 Jan 21, 09:16
J'aime bien ce que tu as montré et je trouve la réponse de Cold dream très amusante.

S'il s'agit de la barre de Blow Up, en ce cas je ne sais dire, ses photos ne s'affichent pas chez moi.
Le bonheur rangé dans une armoire

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