Né en Sardaigne, Antonello Lixi joue de la guitare baroque. Son talent est reconnu dans différents pays d'Europe ou d'Amérique. Un succès dû au travail et à une certaine ténacité. Certains se reconnaîtront dans son parcours, qu'il nous relatait voilà plusieurs semaines. Gros plan sur l'instrument baroque, aux neuf cordes et à la rosace qui tient du travail d'orfèvre.

Guitariste : Comment as-tu démarré la guitare ?

Antonello Lixi : J'ai commencé la guitare classique vers 11 ans. Je viens d'une famille de musiciens : mon oncle Celio Meloni, est un guitariste bien connu en Sardaigne. En 1986, vers l'âge de 17 ans, mon cousin Marco Meloni, qui est aujourd’hui un des grands spécialistes de la guitare baroque, m'a emmené faire un stage de guitare à Arthez-de-Béarn. Ce stage, qui a été crée par Francisco Ortiz, a été le premier en France. J'y ai rencontré deux guitaristes qui allaient m'inspirer fortement, Jorge Cardoso, qui m'a aidé à travailler la musique populaire argentine, et Javier Hinojosa, spécialiste de musique ancienne.

Guitariste : D'où est venu l'intérêt pour la guitare baroque ?

Antonello Lixi : Je voulais construire ma propre guitare, même si je ne suis pas franchement doué pour le bricolage (rires). C'est lors d'un stage de lutherie, en Alsace, que j'ai découvert cet instrument.

Guitariste : L'une de ses particularités est d'avoir neuf ou dix cordes…

Antonello Lixi : En fait, on appelle les cordes de la guitare baroque "chœurs" (ordenes, en espagnol). Quatre sont doublées, la toute première corde (chanterelle) est simple, ce qui permet d'avoir une sonorité plus claire. Les autres cordes (chœurs) sont doublées à l'unisson ou à l'octave. L'accordage dépend de tes habitudes ou de la musique que tu veux jouer. Il n'y a pas de frettes fixée sur le manche : on utilise un bout de corde enroulée autour du manche à chaque hauteur de case, ce qui permet au musicien d'ajuster lui-même la hauteur de chaque note.

Guitariste : Quel est ton répertoire ?

Antonello Lixi : J'adore la musique ancienne, celle de la Renaissance, que je joue pour l’instant à la guitare classique, et évidemment la musique baroque, sachant que la guitare baroque a marqué le XVIIème et une partie du XVIIIème siècle. En concert, je joue par exemple des transcriptions pour guitare baroque (Bach), le répertoire espagnole et italien et des pièces comme Folies d'Espagne du flamand François Le Cocq (1729), etc. Et je joue aussi la musique populaire argentine (à la guitare classique …). Mais je ne me vois pas la proposer au public quand je voyage en Amérique du sud par exemple. Un italien qui joue leur musique populaire, ça ferait bizarre (rires).

Guitariste : Peux-tu décrire ta guitare ?

Antonello Lixi : Il s’agit d’une reproduction de l’instrument construit à l’époque baroque par la famille de luthiers français Voboam. Elle a été construite par le luthier colombien José Angel Espejo Grimaldi, qui a son atelier à Madrid.

Guitariste : La rosace est superbe…

Antonello Lixi : Oui. A l'époque baroque, chaque luthier s'efforçait de faire la plus belle rosace…c'est un travail de sculpture assez fou, très minutieux.

Guitariste : Est-ce que la guitare baroque demande une technique particulière ?

Antonello Lixi : C'est très différent de la guitare classique ! A la main gauche, le doigt doit contrôler deux cordes en même temps pour faire un lié, par exemple. La main droite peut jouer les cordes doublées à l'unisson ou à l'octave, ensemble ou l'une après l'autre. Si bien que sur la guitare baroque, une gamme jouée note à note ressemble plus à un arpège où l'on saute des cordes. Une pièce de guitare baroque demandera une phase de transcription avant d'être jouée sur une guitare classique, à cause de la disposition différente des cordes. Et la guitare baroque est notée en tablature.

Guitariste : Le système de la partition reste quand même plus pratique ?

Antonello Lixi : En général, le rythme est indiqué sur la tablature. Et je suis persuadé que la tablature est un bon système de notation. Par exemple, aujourd'hui, on désaccorde beaucoup la guitare, pour chercher de nouvelles sonorités. Or une partition en clé de Sol peut être compliquée à déchiffrer si l'on change l'accordage. Pas en tablature où il suffit de garder les positions.

Guitariste : Revenons à ton parcours. Tu as toujours voulu faire de la guitare ton métier ?

Antonello Lixi : A partir de 16 ans, disons. Et c'était la guerre avec mes parents. A l'école, j'étais très bon en maths, et mes parents me voyaient ingénieur ou médecin (rires). J'ai même passé un bac scientifique, car il n'y avait pas de bac de musique dans ma région. Je me suis inscrit à l'université pour faire des maths, surtout pour faire plaisir à mes parents. Car c'était la musique qui m'attirait le plus. Mais comme je tournais pas mal en faisant des concerts en duo et trio, suivre les cours de fac devenait très difficile. Vers 20 ans, j'ai dit à mes parents que j'abandonnais l'université pour la guitare.

Guitariste : Et alors ?

Antonello Lixi : Là, ils ne m'ont plus aidé du tout ! J'ai dû alors me débrouiller seul pour payer ma guitare, les cours, les voyages pour partir en concert. Cela a été très dur pendant plusieurs années. Ce qui m'a permis de quitter définitivement la Sardaigne, c'est une bourse des ministères des Affaires étrangères d'Italie et d'Espagne, pour faire des recherches à Madrid sur la musique ancienne. Le thème portait sur les similarités entre la musique populaire de Sardaigne et la musique baroque espagnole.

Guitariste : Depuis, tu t'es installé en France…

Antonello Lixi : Je joue dans des festivals à l'étranger et je suis professeur de guitare classique à l'école de Rixheim, en Alsace, où je vis avec mon amie. On a vécu un moment à Paris. J'avais toujours rêvé d'y habiter, mais j'ai vite eu marre de la capitale. Vive la campagne !

Guitariste : Que t'ont apporté tes recherches sur les tablatures ?

Antonello Lixi : Les textes anciens donnaient une place énorme à l'improvisation. Aujourd'hui, la notation moderne incite le guitariste à tout jouer tel quel. C'est une erreur. Les traités d’interprétation datant de plusieurs siècles expliquaient tous les chemins possibles pour ornementer les pièces, du point de vue mélodique et rythmique. Parce qu'à l'époque, on n'écrivait pas tout sur la partition. Par expérience, le musicien savait ce qu'il pouvait faire ou pas. L'erreur, aujourd'hui, vient du fait que les gens jouent les transcriptions sans aucune ornementation, alors qu'il faut ajouter des trilles, des appogiatures, des mordants en fonction de ce que permet le compositeur. A partir d'une mesure à trois notes sur le papier, l'interprète peut en jouer quarante s'il le veut. Or on entend trop souvent des gens qui se limitent aux notes écrites. C’est dommage…

Guitariste : Les originaux manuscrits sont tout de même difficiles à trouver, non ?

Antonello Lixi : Non, grâce aussi à Internet. C'est super pour trouver des partitions d'époque, des livres et des manuscrits. Avant, je devais photocopier les documents accessibles grâce à mes maîtres. Avec Internet, tu accèdes très vite aux fac-similés d'originaux, à travers les catalogues de musique ancienne des maisons d'éditions spécialisées. Désormais, entre les méthodes, les profs, tout aide à mieux progresser. Si bien que le niveau général monte.

Antonello Lixi