En espérant que vous avez suivi notre conseil estival en achetant Mute, le deuxième album de Demians, nous retrouvons comme promis Nicolas Chapel pour la suite de notre entretien. Nous avons cette fois-ci cherché à en savoir plus sur son approche de l’écriture et sur ses sources d’inspiration.

On sent sur Mute, par rapport à Building An Empire, une réelle évolution vers des contrées musicales plus nuancées, un propos mieux exprimé et une diversité d’ensemble franchement réjouissante. Lorsque tu écoutes d’une traite les deux albums, qu’est-ce que cela t’évoque ?
Nicolas Chapel : Pour l'auditeur, il y a deux ans entre ces deux albums. Pour moi il y en a au moins huit. Pour le premier album, je me vois encore dans ma chambre, enregistrant sans trop savoir ce que je faisais, sans trop gérer ma voix, et aussi sans trop savoir comment concrétiser mes idées avec mes moyens inexistants. Mon but était de faire sonner l'album "bien" ou "correct", là où sur le nouvel album j'ai voulu trouver mon son. Je savais quel son je voulais obtenir sur Mute, et comment l'obtenir. Je pense que je me suis affirmé autant dans ma musique que dans ma personnalité. J'ai beaucoup voyagé, rencontré énormément de monde, grâce à ma musique notamment. L'album est plus riche mais surtout cette richesse s'est rendue plus subtile. L'album a beaucoup plus de punch, et derrière cet aspect direct, la profondeur est encore plus épaisse qu'avant. Je trouve que le premier album ne me représentait pas au moment où il est sorti. J'avais du mal à m’y connecter, à m'y reconnaître, et même si je ne le renie absolument pas, j'avais du mal à l'assumer. Il manquait de "choix". Ce nouvel album a été terminé six semaines à peine avant sa sortie en bacs, il est encore chaud, et me représente parfaitement, aussi bien mes forces que mes faiblesses. Chaque prochain album sera aussi différent, mais j'arriverais plus à prendre du plaisir à les écouter, les assumer, les défendre et les interpréter sur scène s'ils sont réalisés comme celui-là, à savoir sur le moment, ce qui n'est pas le cas de mon premier album.

Je suppose que depuis tes débuts, tu as des retours – positifs, bien sûr ! – d’autres musiciens. Peut-on imaginer quelques invités parmi ceux-ci sur un album de Demians ?
N. C. : Il y a déjà deux invités sur Mute. Mon ami LePolair est venu poser des électroniques sur le morceau Porcelain. C'est un morceau qui était déjà terminé mais que j'avais gardé pour faire venir Pol car on voulait tous les deux collaborer sur de la musique ensemble. Je savais quel résultat je voulais obtenir, je savais comment le guider, mais je voulais qu'il s'exprime. On s'est vraiment éclatés à faire ça pendant quelques jours et on retravaillera ensemble. Gaël le batteur de Demians en live est venu faire un duo de batteries sur deux titres, également. Sur Swing Of The Airwaves nous jouons tous les deux la même partie de batterie, et la somme des deux feelings différents donne un résultat aérien et intéressant, subtil à l'écoute. Sur Hesitation Waltz, nous avons par contre superposé deux parties de batterie différentes, et même un stack de cymbales, sur le final que je voulais écrasant et massif. Le titre est vraiment basé sur une rythmique hypnotique et bancale, et je voulais pousser l'illusion d'une montagne de percussions sur le final, qui n'est au final que deux batteries sur un mur de guitares partant en larsen. Nous avons vraiment pris notre pied à jouer ça, et Gaël est quelqu'un que j'apprécie beaucoup parce qu'il se remet constamment en question et n'a pas l'arrogance que je rencontre souvent chez des musiciens avec son niveau.

Ces deux collaborations ont eu lieu parce que ces deux personnes sont des amis et que nous partageons tous les trois l'envie de chercher à faire avancer nos musiques respectives. Pour moi il n'y a que cette façon de procéder qui existe vraiment, sinon personne ne passe le pas de ma porte dorénavant. Vincent Cavanagh de Anathema est quelqu'un que j'apprécie particulièrement, en temps qu'humain et en tant que musicien, et nous avons beaucoup de goûts en commun, c'est quelqu'un que j'aimerais beaucoup à l'avenir inviter sur un morceau de Demians.

Tu sembles, en deux albums, avoir construit un cadre artistique où tout t’est permis musicalement. Est-ce une forme de fierté pour toi ?

N. C. : Je n'y pense même pas, car c'est plutôt quelque chose que je trouve naturel et que tout le monde devrait se permettre ! J'ai eu des boulots où on me disait ce que je devais faire, même si ça n'avait aucun intérêt ou même si je trouvais ça stupide. Maintenant que j'ai créé mon propre projet, que faire de la musique est ce qui m'intéresse vraiment dans la vie, tout autant que de la partager, je ne vois pas de raisons de me mettre des barrières (rires). J'aime autant écouter Nusrat Fateh Ali Khan que Thom Yorke, Massive Attack que Shannon Wright… tout comme j'aime autant marcher sur la plage en écoutant mon iPod que m'enfermer chez moi pour jouer du piano. Je ne vois pas pourquoi je devrais choisir, ni qui devrait m'imposer quoi que ce soit !

Quels sont les éléments sur lesquels tu dois encore travailler pour parfaire ta musique ?
N. C. : Je veux justement travailler pour que ma musique ne soit pas parfaite ! Ces imperfections sont passionnantes ! J'entends chaque jour des groupes dont le son pourrait être aussi bien celui d'un autre, je souhaite juste que le grain de Demians soit vraiment le mien. Tout ce que je veux c'est garder les choses les plus naturelles, que chaque nouvel album soit comme une photo du moment où je le crée, un témoin des choses vécues et ressenties depuis l'album précédent. Je ne donne aucune réponse à quoi que ce soit dans mes chansons, je ne fais que poser toutes les questions que je me pose. Et ça non plus, c'est une chose qui n'est pas perfectible.



Où puises-tu ton inspiration ?
N. C. : J'écris de manière spontanée, ce qui inspire ou influence ma musique ce sont les rencontres, des sentiments que je ressens, des questions que je me pose, des choses qui me gonflent, ou des problèmes que je rencontre et cherche à affronter plutôt qu'éviter. On me cite souvent des groupes que je ne connais pas ou n'aime peut être pas, quand je lis des chroniques ou des articles, c'est assez drôle des fois et je découvre beaucoup de groupes. C'est toujours impossible pour moi de voir dans ma musique la musique des autres, j'y vois plutôt des moments particuliers de ma vie. Artistiquement je suis sensible à tout ce qui pourrait potentiellement me donner la chair de poule. Je lis beaucoup, j'aime la photographie, le dessin, j'aime écouter les gens me raconter leur vie. J'aime aussi certains artistes autant pour leur musique que pour leur dévouement à leur art. L'exemple qui me vient toujours en premier à l'esprit, et loin devant tant d'autres, ce serait Neurosis. Non seulement j'aime leur musique, mais surtout leur évolution, leur engagement dans leur art. Ce dévouement à leurs convictions est quelque chose qui m'influence plus que n'importe quoi d'autre dans la façon dont je mène mon projet et le fais évoluer.

Quels sont les derniers disques qui ont forcé ton admiration ?

N. C. : La première chose qui me vient à l'esprit est UTP, le dernier disque en commun de Alva Noto et Ryuichi Sakamoto, avec le Modern Ensemble. Un disque impressionniste et impressionnant, tout en nuances. Ou encore One Day As A Lion qui ont sorti un cinq titres impressionnant de puissance, l'an dernier. Juste la voix de De La Rocha, un Rhodes bourré de distorsion, la batterie monumentale de Jon Theodore, et c'est tout. Un disque court mais vivant, qui sonne "instinct de survie". A part ça, je voudrais aussi citer Beggars le dernier album du groupe Thrice. Le disque n'a rien de révolutionnaire, mais l'évolution de ce groupe est vraiment très inspirante et je pense que leur discographie continuera d'être passionnante.


Demians - Mute
InsideOut
www.demiansmusic.com
Demians, l'aventure continue ! (Partie 2)