Collectif portant remarquablement bien son nom, La Compagnie Inouïe va réconcilier tous les amateurs de musique avec les spectacles hommages. En reproduisant méticuleusement les sons de The Dark Side Of The Moon, ce groupe français réalise un tour de force inédit. Nous avons cherché à en savoir plus sur les personnalités derrière ce projet et notamment son guitariste Eric Löhrer, déjà connu pour ses incursions en territoires jazz, rock ou comme musicien d'Alain Chamfort, Ibrahim Maalouf, Jeanne Cherhal…

Peux-tu présenter ton parcours à nos lecteurs ?
Eric Löhrer : J'ai commencé à la flûte à bec à cinq ans, à l'école, et toute mon enfance. Après avoir tâté de la clarinette et de la trompette, la découverte du rock 'n' roll m'a naturellement guidé vers la guitare, que j'apprends en autodidacte à treize ans, avec des copains… groupes de lycée (où je croise Juan Rozoff, si !)… mini big band de lycée… Après le bac, avec un compère de prépa, un groupe jazz-funk-brésilien, puis mon premier trio, avec lequel nous partons à l'aventure dans le sud de la France, où j'ai l'occasion de faire une jam avec Herbie Hancock ! C'est le déclic, j'arrête mes études de philo après ma maîtrise et je me consacre entièrement à la musique.

A l’époque j’ai deux groupes : Eric Lohrer Trio et Open Air. Prix de concours, puis beaucoup de concerts et quatre albums d'un jazz juvénile et rafraîchissant. Nous apprenons et progressons ensemble de 1986 à 1992. Après il y aura Olympic Gramofon (Julien Lourau, Vincent Segal, Cyril Atef, Seb Martel, DJ Shalom), mon album solo "Evidence" consacré à la musique de Monk (1998), le groupe de rock Superphenix produit par Adam Kasper (Nirvana, Soundgarden…), puis j'enchaîne les tournées dans les années 2000 (Geoffrey Oryema, Alain Chamfort, Jeanne Cherhal, Ibrahim Maalouf, Rokia Traoré, Julien Lourau Fire and Forget, Julien Lourau vs Rumbabierta …) Un nouvel opus personnel en quartet en 2008 ("Sélène Song"), puis en duo avec Didier Malherbe ("Nuit d'ombrelle", 2011). Depuis 2013, je joue et enregistre avec Kellylee Evans, A Freak In Space (trio avec Cyril Atef et Hilaire Penda), Hadouk Quartet, … et la Compagnie Inouïe.

La Compagnie Inouïe est un projet passionnant qui fourmille d'idées musicales et créatives. Comment t'es-tu retrouvé dans cette formation ?
E. L. : C'est Eric Groleau, le batteur avec lequel j'ai accompagné Ibrahim Maalouf, qui m'a présenté à Thierry Balasse. Ils m'ont d'abord invité sur des séances d'enregistrement pour L'Ecole des loisirs (livres-disques enregistrés en temps quasi réel avec des comédiens et de l'impro), puis sur une installation / concert sous casques, avant de me proposer de participer à cette aventure de "La Face Cachée De La Lune".

J'ai d'abord connu La Compagnie par son adaptation de The Dark Side Of The Moon. Contrairement à beaucoup de groupes "hommage à Pink Floyd", vous allez un cran plus loin en proposant un spectacle 100% live sans utiliser de samples contrairement au groupe à l'époque. De plus, les improvisations abondent. Ce concert c'est un peu votre vision de ce que Pink Floyd ferait en 2014 s'il était encore dans la fleur de l'âge ?
E. L. : Ça m'étonnerait… Floyd a toujours attaché une grande importance à l'aspect visuel très spectaculaire de leurs shows. Nous, on prend le contrepied de ça en donnant à voir et à entendre la musique en elle-même, telle qu'elle a été enregistrée en studio. Toute la scénographie est articulée autour de ce concept : rien de moins, rien de plus. C'est un voyage sonore. C'est aussi une entreprise quasi-archéologique : nous jouons sur les instruments originaux, ou qui utilisent la technologie analogique de l'époque : synthés mini-moog et AKS, réverbs à ressort, échos à bande, bruitages en direct, bouclage de bande magnétique pour créer une loop, diffusion sur console analogique etc. Seul ce souci extrême peut donner à entendre ces textures particulières qui font l'identité de cet album. Les impros donnent à entendre ce que fut peut-être la face cachée de cet album, qui manifestement a été en partie construit à partir, sinon d'improvisations, du moins d'expérimentations sonores.

Thierry Balasse est à la manœuvre dans La Compagnie Inouïe. Quel est ton rôle exact ? Comment la personnalité des différents musiciens peut-elle s'exprimer avec un concept aussi précis et cadré ?
E. L. : Le cadre n'est pas toujours un frein à l'expression… Ce spectacle m'a donné l'occasion de replonger dans un son qui m'habitait dès l'adolescence et avec lequel, entre autres, je me suis construit. Quelle belle occasion de pouvoir donner ma lecture personnelle du lyrisme de Gilmour ! C'est un hommage, mais pas un hommage servile...

A la surprise générale, Pink Floyd a sorti un disque cette année, même si on ne peut plus vraiment parler d'effort collectif. L'as-tu écouté et si c'est le cas qu'en as-tu pensé ?
E. L. : Misère, pas eu le temps encore d'acheter ce disque...

Au-delà de Pink Floyd, La Compagnie Inouïe propose aussi un autre spectacle intitulé Jean Jaurès, Le Monde Sensible. Comment le définirais-tu ?
E. L. : C'est un spectacle musical construit autour de textes de Jaurès, mais dans sa plus grande partie d'un Jaurès peu connu : le jeune Jaurès qui écrit sa thèse de philosophie ("De la réalité du monde sensible"). On y entend une verve cosmique qui s'articule bien avec le monde sonore de la Compagnie : improvisations et jeux de textures sonores - un grand soin, encore, est apporté à la diffusion du son dans l'espace de la scène et de la salle… mais aussi la verve plus lyrique et politique, qui joue avec des compositions musicales plus proches de la pop progressive et libertaire du début des années 70.


Ton background puise dans de nombreux courants éclectiques. Mais il semble qu'il y a toujours une grande recherche technique et musicale dans ce que tu fais. De la pop simple et directe, c'est quelque chose que tu ne peux pas envisager ?
E. L. : Mais si ! C'est d'ailleurs très difficile de faire des choses simples et belles… Lorsque je travaille sur un projet pop, je ne cherche pas la sophistication à tout prix, au contraire : il faut trouver ce qui sonne juste, en toute circonstance...

A l'heure où la musique est de plus en plus affiliée à des clips sur lesquels on zappe en quelques secondes sur YouTube, quelle est la place de cette musique plus fine et peut-être un peu moins accessible que tu représentes dignement ?
E. L. : Je ne voudrais pas qu'on se méprenne, je ne représente rien du tout, j'essaie d'être en adéquation avec moi-même quand je fais de la musique, j'essaie de sonner juste… j'essaie de faire en sorte, justement, que cette intention qu'on donne quand on joue soit la plus directe possible, qu'elle soit un lien fusionnel entre les musiciens et leur auditoire. Ça peut prendre des formes très diverses suivant le contexte, le degré de sophistication n'a rien à voir là-dedans… Quelqu'un qui zappe sur Youtube (ça m'arrive !) est loin de ces considérations, ça ne veut pas dire qu'il ne pourra pas être touché dans un autre contexte (concert, écoute plus immersive, etc.).

On peut te voir comme sideman d'artistes établis ou comme force créative dans d'autres projets. Quel rôle préfères-tu endosser ?
E. L. : J'essaie de donner le meilleur en toute circonstance… Comme sideman on peut prendre beaucoup de plaisir et apprendre plein des choses, ainsi qu'être moteur dans la musique, de façon moins perceptible sans doute, plus discrète… C'est lorsqu'on commence à s'ennuyer qu'il faut savoir passer à autre chose !

As-tu une guitare fétiche dans ta collection ?
E. L. : Quelques-unes… je ne suis pas fétichiste, mais c'est vrai qu'on finit par s'attacher quand même… allez, je citerais deux Gibson électriques : une Gibson ES-330TD de 62 (acquise en 1989) et ma SG Custom de 66 (en 99)

La Compagnie Inouïe
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La Compagnie Inouïe à la recherche des Pink Floyd