C'est lors de la présentation de ses deux nouvelles séries "1946" et "1949" au magasin Guitare Village à Domont que nous avons rencontré Loïc Le Pape. Figure bien connue de nos forums, ici ce n’est pas seulement Loïc le luthier parlant de ses guitares que nous vous présentons mais également un portrait de l'homme avec sa philosophie de vie et ses convictions que vous découvrirez à travers un débat plus intimiste. Enjoy !

Peintre en lettres, aérographiste  (tu as décoré des camions, peint des fresques murales), tu as été mécano dans la moto - chez Honda pour ne pas nommer la marque - électricien et même électronicien, ancien punk, luthier…Qui est réellement Loïc Le Pape aujourd’hui ?
Hum… Qui je suis ?! Comme je le précise souvent, je ne me considère pas comme luthier même si j’en vis depuis presque 10 ans maintenant. Par rapport à mon parcours professionnel, petite précision là aussi, je ne suis pas électronicien mais plutôt électricien avec des notions d’électronique. C’est un peu la somme de toutes ces expériences qui m’a amené à faire des guitares aujourd’hui.

Pour parler sur un plan plus intime, je suis quelqu’un qui a 48 ans aujourd’hui et qui commence à essayer de s’assagir un peu, même si je n’y arrive pas. En tous cas j’aimerais bien !

Au vu de tous ces métiers exercés, quel heureux hasard  t’a amené à la lutherie et notamment au choix de l’acier comme matériau de base ?
L’acier c’est par rapport à James Trussart qui fait des guitares magnifiques.
A l’époque, il faisait des guitares en inox, enfin je crois que c’était en inox, chromées, et par rapport à une scène qui m’intéressait comme Kas Product, un groupe de Nancy dont je ne sais pas si les gens se rappellent et surtout Taxi Girl avec  le clip “Aussi belle qu’une balle“ où on voyait une guitare James Trussart. Ces groupes jouaient sur ses guitares et je les trouvais vraiment cool. Et comme à l’époque je m’étais retrouvé handicapé, que je ne pouvais plus faire grand chose dans mon métier, j’étais quasiment en dépression ou au moins en déprime. Vu que je n’avais plus de projet professionnel, j’ai construit une petite guitare en acier parce que je n’avais pas les moyens de me payer l’original et j’ai fait une reproduction, pour ne pas dire une copie, et voilà, ça s’est fait comme ça, parce que je faisais de la musique à ce moment-là.
En fait le heureux hasard est d’avoir voulu chercher à m’occuper dans une période de doutes et c’est ce qui m’a permis de positiver dans une expérience douloureuse. Au final voilà comment j’ai tout bêtement commencé à faire des guitares.

Quelles “séquelles“ de tous ces anciens métiers mets-tu aujourd’hui dans la fabrication de tes guitares ?
La question rejoint un peu ce que je disais avant.
Quand tu a travaillé avec en aérographie, ça te permet de décorer les guitares à la main, et ça j’y tiens car c’est un vrai travail manuel auquel je suis très attaché. La numérisation a très fortement attaqué mon métier qui était de peindre les lettres à la main, comme ça se fait encore aujourd’hui en Irlande, en Angleterre, dans des pays comme ceux-là où il y a encore cette tradition. Malheureusement, en France ça a quasiment disparu et je trouve ça vraiment dommage car il y a un vrai savoir-faire avec un certain cachet, une âme, qui sont irremplaçables. Avoir été peintre en lettres me permet de garder un côté “ main“ dans ce que je fais et de ne pas renoncer complètement à quelque chose qui me tient vraiment à cœur.


Les notions d’électricité/électronique, bah ça me semble évident pour les guitares…

Ensuite pour la mécanique, il m’est arrivé de modifier des motos pour en faire des prototypes. Il y a donc un travail important de l’acier, du métal en général et de l’efficacité mécanique. Un point très important également est que j’ai travaillé deux ans en mécanique générale où j’ai appris les tarauds, les notions de fabrication avec les tours, les soudures, etc. Voilà en gros les séquelles que j’ai pu garder de mes anciens métiers.
Après j’ai peut-être fait un autre métier comme Bernard Lavilliers, mais je ne m’en rappelle pas (rires) Ça, c’est un petit clin d’œil aux Fatal Picards s’ils me lisent …

Tu vis dans cette magnifique région qu’est l’Auvergne, c’est important dans tes créations cette proximité avec la nature ? Tes guitares auraient-elles le même mojo sorties d’un atelier situé dans une grande ville ?
(Sifflement) Wow ! C’est une question que je me pose ça. Sans parler des guitares et du mojo, pour des questions plus terre-à-terre, la ville c’est cher, tout coûte. A Paris, et je connais bien car je suis parisien, l’argent est une urgence, une obsession de tous les instants, tout coûte et cher. N’importe quel geste coûte et ça engendre comme conséquences que tu dois faire payer à ton tour chacun de tes gestes.
En tant que fabricant, si j’étais à Paris je pense que je serais dans cette même urgence et ça nuirait à la relation que j’ai avec les gens. Et cette relation-là, c’est aussi une des raisons pour lesquelles je tiens  - et je dirais presque que c’est dans un état d’esprit militant - primo à rester en France, secondo éventuellement à rester loin de tout et la dernière chose, c’est cette capacité d’émerveillement que j’essaie de garder. Par exemple, hier je suis allé voir Alice Cooper et je suis allé voir aussi un copain guitariste en backstage et ça reste des moments d’exception. Si j’habitais Paris, avec toutes les occasions de sorties, de spectacles, ça ne serait plus des moments d’exception et je n’aurais plus la même flamme, je perdrais une part de cet émerveillement. Au final tu perds la flamme pour tout, même pour la musique et comme la musique est toute ma vie, je perdrais la flamme pour le reste et si tant est que mes guitares aient un peu de mojo, elles n’en n’auraient plus.

Quels sont les artistes – vivants ou disparus – pour lesquels tu aurais (ou tu as) aimé travailler et pour quelles raisons ?
Je te dirais tout de suite…Euh…J’essaie de bien réfléchir ..Wow ! Je pense que la première personne que j’aurais aimé rencontrer en tant que musicien est Joe Strummer, le guitariste des Clash.
Etonnamment, un que j’aimerais aussi rencontrer et éventuellement pour qui j’aimerais travailler et depuis très longtemps, c’est Loran, l’ancien guitariste de Bérurier Noir et celui des Ramoneurs des Menhirs, pour une simple et bonne raison c’est que comme tout le monde j’entends toute la journée -et ça c’est très français - des gens parler politique et se retrancher derrière des positions dites de gauche ou de ne je ne sais quoi et qu’en général il n’y a pas de prolongement de leurs actions dans la réalité, du moins de mon point de vue. Loran, lui, est peut-être la seule personne qui me semble être d’un seul bloc et d’un seul tenant. C’est une des rares personnes qui vit en accord avec ses idées et pour moi c’est quelque chose d’extrêmement précieux. Et puis en plus, c’est un groupe à qui je dois des choses, vraiment beaucoup de choses.

Aujourd’hui tu nous présentes 12 modèles sur les 15 que comptent tes 2 nouvelles séries que sont la “1946“ (électriques) et "1949" (électro-acoustiques), à quoi font référence les noms de ces séries et quelles innovations renferment-elles ?
Alors, “1946“ parce que, et je parle sous contrôle des gens qui nous liront, c’est censé être l’année de création du P90. En fait, je pensais à ce parcours et j’ai essayé de faire des guitares que j’appelle néo-trad(itionnelles) et qui auraient peut-être dû exister à l’époque. Si tu regardes l’histoire de National ou de Dobro par exemple, il y avait déjà du métal. Mais, simplement pour une question d’industrialisation, il n’ont pas été dans cette voie bien qu’ils en connaissaient les propriétés. C’est un problème de difficultés de fabrication avant tout et je connais bien le sujet. Si tu veux faire les choses bien, c’est la galère et ce n’est pas vraiment industrialisable. A partir de ça, je me suis dit que j’allais faire des néo-classiques, des guitares qui auraient des racines dans l’histoire mais qui n’ont pas encore existé, des espèces de paradoxes.
En termes de nouveauté sur la 1946 je dirais matériau mis à part, aucune, hormis un système de cordes et trapèze qui se fixe sur la table ou pas, ce qui permet d’avoir ou un son de Solidbody ou un son de Archtop, mais ça reste relativement anecdotique.

Par contre pour la “1949“ j’ai choisi le nom vraiment pour faire une différence et sans me prendre la tête plus que ça.
Celle-là est électro-acoustique et électrique en même temps. Du coup, là c’est une première mondiale, ça n’a jamais existé avant et c’est moi qui l’ai inventée, personne ne l’avait fait avant. On parle ici de nouveauté totale, avec une projection décente de la guitare à vide en volume d’appartement, qui est au-dessus de l’Archtop et un petit peu en dessous de la guitare acoustique, donc qui offre un concept intéressant pour jouer chez soi sans embêter tout le monde.

Le son acoustique est cohérent, crédible, avec des possibilités en équalisation et grâce à l’acier on peut même aller sur du banjo voire du dulcimer et creuser les fréquences.
Et puis la possibilité d’avoir en même temps une guitare électrique. Là du coup, pour moi ça commence à être conséquent en terme d’innovation, ça fait des années et des années que je travaille là-dessus pour la mettre au point.

Combien de temps à peu près ?
Je dirais au moins 6 ans mais il n’y a vraiment que maintenant que je sens le produit abouti, ne serait-ce qu’au niveau du placement des contrôles ou de simples détails comme le matériau du chevalet, la manière dont la guitare est construite, etc.


Après les nombreuses guitares que tu as réalisées et en comptant les 1946 et 1949, quel nouveau challenge te ferait vibrer à présent ?
Vibrer… ? Challenge… ? C’est une bonne question mais pas évident d’y répondre parce que je n’arrive pas à me projeter, là tout de suite. Je n’ai pas d’objectif immédiat qui me fasse plus vibrer que l’espoir de durer le plus longtemps possible et ça, ça devient un vrai challenge. Je ne vois pas ce qui pourrait m’arriver ou ce que je pourrais faire de mieux mais par contre que ça dure là oui, c’est du boulot ! Et je suis conscient de la chance que j’ai.

On trouve les Loïc Le Pape dans certains magasins français - dont Guitare Village qui nous accueille aujourd’hui -  et même chez quelques revendeurs étrangers il me semble, ce qui n’est pas si courant pour des guitares de luthier. Pourquoi ce choix et quel est ton critère de sélection des points de vente en France et hors de France ?
Déjà c’est très simple en ce qui concerne les critères de sélection car ce sont les magasins qui veulent travailler avec moi et par conséquent la sélection est naturelle. Autant je ne t’aurais peut-être pas tenu ce discours il y a 10 ans parce que j’étais moins référencé et donc je sélectionnais beaucoup plus les points de vente, autant aujourd’hui la sélection est naturelle parce qu’ un magasin qui voudra vendre mes guitares c’est qu’il y a derrière quelqu’un qui en voit l’intérêt, qui pourra en parler à ses clients, argumenter comme il faut, qui ne la survendra pas à un client qui ne sera pas intéressé par mon concept qui peut être considéré par certains comme presque marginal.
Je ne revendique pas l’unanimité, je ne suis pas un généraliste. Cela veut dire que le magasin qui vend mes guitares, comme ici Guitare Village ou encore Music Store 63 à Clermont-Ferrand, c’est qu’il les aime, voire qu’il les adore et il va transmettre ça. Bien sûr, il va en parler à moins de personnes mais aux bonnes personnes et en parler avec cœur et conviction. En ce sens, quand un revendeur me contacte, je sais que ce sera un bon point de vente pour mes guitares.

Rêvons un peu …Demain tu es nommé ministre de l’artisanat, quelles seraient les 3 premières mesures que tu prendrais pour les artisans ?
Wow !...(un silence de réflexion) Ça existe ça ministre de l’artisanat ? C’est malheureusement pas un truc qui m’intéresserait parce que ça ne rentre pas dans ma façon de voir les choses. Si j’étais ministre de l’artisanat – et c’est là où je me rends compte que je ne suis pas vraiment un rêveur – ça voudrait dire que j’aurais une capacité d’agir uniquement avec les artisans. Or, la problématique de l’artisan est sociétale, globale. L’artisan est dans la même problématique que la société en règle générale, donc du coup je me sentirais comme – et j’espère qu’il y arrivera parce que j’ai beaucoup de respect pour lui - un espèce de Nicolas Hulot qui ne pourrait rien changer.

Mais, la vraie question est plutôt “de quoi a besoin l’artisan aujourd’hui“ ? Et ça me demande encore un temps de réflexion…
Finalement, l’artisan et le français en général ont besoin de la même chose, même s’ils n’en sont pas tous conscients : évoluer dans un pays à l’anglo-saxonne où tout ce qui n’est pas interdit est autorisé alors qu’en France, tout ce qui n’est pas autorisé est interdit. Nous sommes dans un pays où toute forme d’initiative est encadrée par une série de lois hallucinantes, mais vraiment HALLUCINANTES qui brident toute forme d’entreprise. Dans un monde qui évolue à une vitesse folle où on peut imaginer que dans peut-être 10 ans la main aura disparu de tout parce que tout passera par le numérique, il y a besoin d’un énorme assouplissement des structures pour pouvoir s’adapter à cette espèce de course qui devient effrénée et qui ralentira sans doute à un moment mais qui aujourd’hui est la norme. Là au contraire, on emmerde les gens avec des normes, des contraintes, des lois faites par des gens complètement déconnectés qui n’ont aucune notion des réalités.

L’artisan, il a juste besoin qu’on lui lâche la grappe ! Il n’a pas à la base forcément besoin ou envie d’aides, de subventions - encore que vu le contexte, si certains ont des bons plans, on prend quand même hein, qu’ils me le fassent savoir ! – ce qu’il veut avant tout c’est qu’on lui fiche la paix. L’artisan aujourd’hui évolue dans un monde concurrentiel de dingue. Tu veux un exemple ? Tiens, même si tu n’as encore rien fait ou si peu, tu te mets en micro-entreprise pour être réglo et tu es obligé de déclarer ta maison comme lieu de travail. Tu fabriques 4 épingles à nourrice et tu dois déclarer ta maison en lieu de travail pour les assurances, ça veut dire que tu dois voir éventuellement l’indivision avec un notaire, tu paies 2 fois les poubelles, etc. et tout est comme ça.
Tout ça juste pour dire que l’artisan est capable de se débrouiller tout seul si on veut bien avant tout lui lâcher la grappe.
Ceux qui attendent des aides et autres n’ont rien compris. Une société a besoin de liberté, d’entreprises, d’initiatives et plus l’état va intervenir, plus il va légiférer et plus c’est une chape de plomb et...
Bon bref, je crois que je m’emballe là … (rires)


On va rêver encore un peu plus fort pour terminer : je suis une bonne fée (ou mauvaise, va savoir) et j’ai une baguette magique dans mon sac (si si, je t’assure !), fais 3 vœux, tout est permis ! …
3 vœux n’importe lesquels…Humm…(petit temps de réflexion)
En premier, je dirais la vie éternelle pour tout le monde, ce qui nous amène par voie de conséquence au second vœu : puisqu’on a la vie éternelle, plus besoin de reproduction de l’individu avec tout ce qui va avec, c’est-à-dire qu’on enlève la testostérone, les problèmes d’ego, donc plus de guerres et autres…
Et le troisième ? (petit temps de réflexion de nouveau) Bah j’en ai pas parce que les 2 autres enlèvent tellement de choses comme la peur et les angoisses liées à l’avenir, qu’ il n’y a plus d’animalité à ce point-là, donc tout le reste va découler de source. 
Du coup le troisième vœu, je te l’offre !

Liens

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Le site de Loïc Le Pape

Rencontre avec Loïc Le Pape à la présentation de ses séries 1946 et 1949 chez Guitare Village