A première vue, Soulmaker ressemble à un groupe de metal gothique. Mais en écoutant son premier album, Discordances, on comprend rapidement que les influences ratissent bien plus large. Encore un peu timide dans ses compositions, la formation ne constitue pas la révélation de l’année mais un solide potentiel porté par des musiciens dont on n’a sûrement pas encore les meilleurs plans… Entretien avec Marina, la chanteuse, et Sébastien, un des deux guitaristes.

Pouvez-vous nous présenter Soulmaker ?
Marina Viotti : Non (rires). Mais of course, my dear ! Soulmaker est un groupe que je qualifierai de « metal », pour faire simple, originaire de Belfort mais dont la moitié des membres sont en Hollande, Allemagne ou encore dans le sud de la France. Le groupe a vu le jour en 1999 mais la formation actuelle n’existe que depuis 2007. Cela fait donc bientôt trois ans que nous parcourons la France à travers de nombreuses dates ; nous avons la chance de pouvoir partager la scène avec des groupes géniaux comme ADX, Psykup ou plus récemment Black Bomb A ; nous avons également sorti un maxi, Obsessions, qui a bénéficié d’un bon accueil, maxi auquel succède actuellement notre premier album, Discordances.


Avez-vous suivi une formation musicale avant de monter le groupe ?
Sébastien Tchoryk : Pour ma part, j'ai commencé la guitare relativement tard, à l'âge de 17 ans. En 2003, quand j'ai rejoint le groupe, j'ai pris six mois de cours auprès de Jan Vanek qui m'a appris à avoir une méthode de travail et qui m'a enseigné les bases de la théorie musicale (gammes, accords, modes, etc.). Pour le reste, je suis autodidacte.
Marina Viotti : J’ai eu un parcours musical complet, puisque je suis née de parents musiciens, j'ai grandi dans les fosses d’orchestre, j'ai été nourrie par l’opéra… J’ai intégré le Conservatoire du Luxembourg en flûte traversière jusqu’au diplôme de fin d’études, et j’ai fait (subi) mes douze ans de solfège. Côté chant, j’ai commencé par les galas du collège en chantant de la variété (mais chut faut pas l’ébruiter), me suis essayée au jazz… Puis j’ai basculé du « côté obscur de la force » en intégrant un groupe de metal symphonique : Lost Legacy.

Marina, ton background familial classique a-t-il façonné ta vision de ce que devait être Soulmaker ?
Marina Viotti : Question intéressante qu’on ne m’a encore jamais posée et que je ne me suis jamais posée moi-même… Hum… Je pense que ce background influe sans aucun doute sur l’exigence que j’ai vis-à-vis de moi-même. Dans le classique il faut une telle rigueur et un tel travail quotidiens que j’applique ces deux aspects à toutes mes activités artistiques. C’est ce qui m’a plu également dans Soulmaker, ce côté très pro, très carré. Mais mon background classique m’a aussi montré que la musique c’est avant tout du ressenti, du feeling, et en ce sens oui ça a façonné ma « vision » de ce que devait être Soulmaker, un groupe qui propose une musique simple, efficace, directe, qui parle aux tripes avant tout, tout en restant mélodique et recherché dans le texte. Mais je ne cherche absolument pas à faire un lien entre le metal et mon passé classique, ce sont deux univers différents, qui m’apportent des choses différentes, et que je ne veux surtout pas mélanger, en tout cas pas dans Soulmaker.

Vous avez enregistré votre premier album, Discordances, dans le studio de Yann, le guitariste de MyPollux, à Nancy. Parmi tous les studios de France, pourquoi avoir choisi celui d'un membre d'un des pires groupes que la scène hexagonale ait enfanté depuis vingt ans (rires) ?
Marina Viotti : (rires) Que tu es mauvaise langue! On ne choisit pas vraiment un studio en fonction du groupe dans lequel joue l’ingé son, on le choisit pour la qualité du travail qu’il propose ! Et puis même s’il est vrai que ce n’est pas ma tasse de thé, et que c’est assez éloigné de ce que fait Soulmaker, je connais beaucoup de gens qui adorent MyPollux. Sam notre bassiste en est fan…
Sébastien Tchoryk : Le studio de Yann s'est imposé à nous pour des raisons évidentes : nous cherchions un son le plus naturel possible et pas forcément axé gros metal avec beaucoup de distorsion sur les guitares, géographiquement ce n'était pas trop loin pour la plupart des membres du groupe, ses tarifs rentraient dans notre budget et enfin on aimait bien ce qu'il avait produit.

D'un point de vue de la guitare, est-ce que cela vous a aidé d'avoir Yann dans les parages ? Quels genres de conseils vous a-t-il formulé ?
Sébastien Tchoryk : Yann nous a surtout poussés à faire les meilleures prises possibles en étant très exigeant sur la propreté du jeu et plus particulièrement sur les rythmiques. Ces six jours au studio nous ont vraiment amenés à revoir notre façon de jouer, à revoir même nos doigtés sur certaines parties afin d'avoir une cohérence dans le son. Je l’entends encore me dire « plus sec la main droite » ou je le revois scotcher des bandes de coton entre les ressorts de mon Floyd car il arrivait à entendre leur vibration malgré la disto et ça le dérangeait pour la prise du son. Yann est vraiment un guitariste hors pair qui a une connaissance approfondie de l'instrument et même si on a parfois halluciné sur son souci du détail, cela nous a beaucoup servi au final.
Marina Viotti : Je tiens à ajouter, même si ce n’est pas l’objet de ta question, que d’un point-de-vue vocal aussi Yann a été extraordinaire… Un véritable coach, très exigeant, avec d’excellents conseils, une oreille parfaite…

crédit photo : Samuel Coulon

« Les Mouches » et « Requiem For A Creep » sont deux titres que vos fans connaissent déjà car ils figuraient sur votre démo/EP. Pourquoi les avez-vous ré-enregistrés ? Pensez-vous qu'il s'agisse à ce jour de vos titres les plus forts ?
Marina Viotti : On a décidé de les ré-enregistrer car l’EP avait été fait dans des conditions et dans une période qui ne reflétaient pas vraiment ce que nous étions, ou plutôt ce que nous allions devenir… Je n’étais dans le groupe que depuis une semaine, la musique avait été enregistrée un an auparavant… Bref, il n’y avait pas assez de cohérence, de cohésion d’un point de vue son, ni d’un point de vue musical. Cela faisait « play-back », et vocalement c’était timide. On a donc voulu donner un coup de fouet à ces deux chansons, les améliorer, leur donner la couleur et l’énergie qu’on aurait voulu avoir sur le Maxi. De plus, c’était deux titres qui montraient réellement la voie qu’allait prendre Soulmaker, et que le public adorait. De là à dire que ce sont les titres les plus forts de l’album… Tu connais la devise : « play it loud ! » (rires). Plus sérieusement, oui, pour moi, ils font sans aucun doute partie des titres phares de l’album, que ce soit au niveau des paroles ou de la musique, et je les préfère dans la nouvelle version !

Votre musique comporte pas mal d'influences mais aucune réellement en dehors du metal. Est-ce que c'est un créneau que vous vous imposez ou pensez-vous faire des choses plus pop ou plus progressives, par exemple, à l'avenir ?
Marina Viotti : Ah bon ? J’ai pourtant l’impression que certains titres font un peu « pop » (« A l’encre de ton sang ») et prog (« Maux d’Adieu », « Married to a Ghost ») ! Le batteur, un des principaux compositeurs du groupe, est très branché pop, prog, de Genesis à Dream Theater. C’est même nous qui lui disons « non Nico, là tu vires trop prog sur cette compo » parce que pour le moment oui, on a voulu faire quelque chose de metal sans non plus nous fermer à tout le reste évidemment mais pour garder une cohérence ! On a déjà des titres qui sont, je trouve, très différents les uns des autres, avec diverses influences qui nous rendent difficiles à étiqueter mais on reste toujours metal, il est vrai. A l’avenir, je t’avouerai que l’on n’a pas encore vraiment réfléchi à la direction musicale que prendrait le groupe, mais il n’est pas impossible qu’on y retrouve une plus grande variété de genres, peut-être des arrangements, je ne sais pas encore, on a plusieurs idées… On verra selon le feeling de chacun. Mais ce qui est quasi sûr, c’est qu’on ne fera jamais de la pop ou du grind.

Il y a six chansons en anglais et six chansons en français sur Discordances. Ce qui est finalement assez concordant (rires). Marina, comment s'opère le choix de la langue pour un titre ? Est-ce des sonorités que tu recherches ou simplement les messages que tu veux faire passer par les paroles qui l'imposent ?
Marina Viotti : Oui tu sais il y a toujours un peu d’ordre dans le chaos et inversement. Le choix de la langue, un vaste programme. Ce sont des sonorités que je recherche. Je ne choisis le texte qu’après avoir écouté la musique. Pour moi, il est primordial qu’il y ait un lien entre la musique et les mots. Donc en général j’écoute la compo (version instrumentale), et de là naissent des images ou des émotions, des sensations. Ensuite soit je puise dans des thèmes ou des brouillons de lyrics que j’ai déjà écrits, si cela me paraît « concordant » avec ce que je viens d’écouter ; soit j’écris un nouveau texte en relation directe avec la musique. C’est là qu’arrive le moment du choix de la langue. Pour moi, le français ne « sonne » pas avec n’importe quelle musique. Cela fait vite pop et/ou cul-cul. L’anglais est plus fluide, il permet un plus grand « groove ». Donc si la musique groove, je choisis l’anglais à 100%. Si la musique permet les deux langues, je vois en fonction du message que je veux faire passer. J’écris naturellement avec plus d’aisance en français, le message peut-être travaillé d’avantage, le vocabulaire et les rimes également. C’est un hasard si l’album contient six titres de chaque, je ne l’avais pas prévu !

Vous êtes assez actifs sur scène. Or Discordances était votre premier disque. Vous sentez beaucoup de différences dans ces deux exercices ?

Marina Viotti : Oui, il y a des différences, c’est sûr. Soulmaker est avant tout un groupe de scène, un groupe qui envoie, qui libère une formidable énergie et qui a besoin de cet espace pour donner le meilleur de lui-même, et le plus de relief aux compos. Le studio est un exercice beaucoup plus individuel, plus « intime » même. On est devant soi, devant ses lacunes, son stress, sa fatigue, les deadlines… Il faut savoir gérer tout ça, c’est un travail méticuleux, de patience, d’exigence. Soulmaker est moins à l’aise devant une table de mixage ou une vitre que devant un public. Mais ce sont deux expériences nécessaires, complémentaires et formidables pour un groupe !

On sent que les membres de Soulmaker sont très professionnels et pourtant la musique se veut très spontanée, sans effet ou prise de tête excessifs. Le dosage est-il parfois dur à réaliser ?

Sébastien Tchoryk : Non ce n'est pas dur car c'est la ligne directrice que l'on a fixé avec le groupe : éviter autant que possible la démonstration technique pour faire en sorte que notre musique gagne en efficacité.
Marina Viotti : Pour moi c’est parfois difficile, car quand on chante, il faut parfois choisir entre le spontané et le technique. Le spontané permet un feeling, une émotion, au détriment parfois du rythme, ou de la justesse. Le choix technique permet plus de sécurité, une assise et une base solides pour réussir un passage difficile vocalement, au détriment de la musicalité et du ressenti. Il faut savoir jongler de l’un à l’autre, et quand on est très fort, allier les deux !


Soulmaker – Discordances
www.soulmaker.info

Photo : Samuel Coulon
espace photos : www.flickr.com/photos/sam-c
Soulmaker, la découverte du metal Goth