Nous avions laissé les Suédois de Therion avec un album fort et pleinement réussi, « Sitra Ahra ». Nous les retrouvons aux manettes d'un étrange album de reprises françaises (France Gall, Brigitte Bardot, Marie Laforêt, etc.), « Les Fleurs Du Mal ». Bien que nous n'ayons pas adhéré au résultat final, nous avons tout de même voulu en savoir plus sur les raisons de cet enregistrement en compagnie de son géniteur, le toujours très réfléchi Christofer Johnsson.

Parmi les projets les plus inattendus que j'ai entendus dans ma vie, Les Fleurs Du Mal, disque de reprises françaises par Therion, se positionne dans le top trois. Comment en es-tu venu à réaliser un tel album ?
Christofer Johnsson : Je voulais faire un album de reprises depuis longtemps déjà, mais pas un projet typique. Qui a besoin d'un disque avec notre propre version de « Run To The Hills » ou « The Trooper » d'Iron Maiden ? Il y a quelques années, nous avons enregistré « Summer Night City » et même les détracteurs d'ABBA ont apprécié notre version.

Les réactions sont assez hétérogènes. Certaines sont assez négatives, dont les nôtres... Tu t'y attendais ?
C. J. : Oui. Avant même d'enregistrer les chansons, j'aurais pu écrire les commentaires que je pensais entendre sur Les Fleurs Du Mal, les mettre dans une enveloppe pour les montrer à la sortie de l'album et les comparer avec ce que les gens disent actuellement. 90% de mes prévisions auraient été bonnes. Toutefois, il faut savoir que les chansons font partie d'un concept artistique plus grand que le simple album. Il va se décliner encore sous différentes formes durant les mois à venir. Je voulais marquer le coup pour les 25 ans du groupe en faisant autre chose qu'un simple concert ou un DVD.

Ou encore un best-of, une idée qui, semble-t-il, ne te plaît pas du tout...
C. J. : C'est un euphémisme. Je mettrai un point d'honneur à ne jamais sortir de best-of. Je ne voulais pas non plus ré-enregistrer un album de notre passé avec une nouvelle approche. Mais le pire aurait été de ressortir nos premiers albums avec des bonus débiles pour forcer les gens à racheter le même truc avec un autocollant « 25th anniversary edition ». Donc, oui, pour moi, faire ce disque, Les Fleurs Du Mal, était une excellente manière de marquer le coup, en proposant quelque chose d'inédit, à la fois dans le fond et dans la forme. Il n'y a qu'une seule chanson que je n'ai pas choisie moi-même, la piste bonus « Les Sucettes ». Aucun groupe international n'a jamais fait un truc comme nous : un album entièrement français aussi bien dans les chansons que dans les textes du livret.

Tu parlais d'autres chansons au départ qui côtoyaient celles de ton choix final. De quels morceaux s'agissait-il ?
C. J. : Il y a en avait beaucoup. Je pense que tu ne les connaîtras pas car elles sont hyper obscures. Il y avait des trucs du style Notre Dame, Livestock (le groupe de Bon Scott avant AC/DC), The Searchers, Harpo, Blue Öyster Cult, Kate Bush, Mountain ou Indisciplined Lucy. Il y avait aussi du Barry Ryan dont les morceaux me font toujours penser à ceux composés par Freddie Mercury pour Queen. J'avais aussi beaucoup de chanteurs suédois inconnus en dehors de chez nous et aussi « Sexy Boy » par Air, que vous devez bien connaître. Je voulais transformer la mélodie de la chanson en rythmique indus à la Rammstein.


Pour Les Fleurs Du Mal, as-tu eu accès à des traductions des textes des chansons ou ce n'était pas important pour toi ? Pour le public français, les paroles étaient souvent l'essentiel dans les chansons de cette époque.
C. J. : Oui, j'ai pu voir des traductions. Je ne me rappelle pas de tout mais je connais le sens global de chaque morceau. Et puis, les chanteurs ont toujours besoin de savoir ce qu'ils racontent pour bien sentir leurs interprétations. Sur « Initiales B.B. » nous voulions qu'une fille soit derrière le micro pour que l'ambiance soit « lesbienne ». Les sous-entendus de certains textes sont très intéressants, comme sur « Les Sucettes » ou « Poupée de Cire, Poupée de Son ». Je crois que pas mal de gens qui critiquent l'album, en particulier en dehors de la France, ne comprennent pas totalement l'intelligence des chansons d'origine, en particulier la mise en abîme à son insu de France Gall sur « Poupée de Cire, Poupée de Son ». Je pense qu'elle a dû trouver ça bizarre quand, plus grande, elle a compris la véritable signification du texte... En tout cas, j'aimerais que les gens qui n'aiment pas Les Fleurs Du Mal s'expriment en connaissance de cause. Ce qui, jusqu'à présent, n'a pas toujours été le cas.

Est-ce que tout cela t’a fait réfléchir à ta propre expérience ? Après tout, tu es parolier en temps normal chez Therion. Du coup, pour votre prochain album, peut-on s’attendre à des textes plus travaillés, des sous-entendus, des jeux de mots, etc ?
C. J. : C’est un peu trop tôt pour penser au prochain album de Therion. Il ne va pas venir tout de suite… Je pense que j’aurai oublié tout ce qui concerne France Gall d’ici là (rires). Nous allons nous focaliser sur l’écriture d’un rock opera. Je ne sais pas du tout à quoi ressemblera ce futur album. Toutefois, j’imagine déjà mon impatience car après plusieurs années de rock opera, j’aurai forcément envie de me replonger dans un véritable opus de Therion.

Qu’est-ce qui t’a poussé vers cette envie de rock opera ?
C. J. : C’est une bonne opportunité. J’ai eu l’idée peu après avoir été en panne d’inspiration dans mon opéra « normal » commencé il y a une dizaine d’années. J’avais composé environ 40 minutes de musique classique à l’époque. Évidemment, tout dépend du tempo… Mais c’est l’idée. Il y a trois ans, j’ai laissé tomber. J’avais toutes les parties « mémorables » de l’opéra mais je n’arrivais pas à composer du liant entre ces parties et à trouver une cohérence globale. J’appelle cela de la musique de fond ou de la musique de transports en commun (rires). Mais il en faut ! Et je n’arrive pas à l’écrire. Bref, quand moi je compose, je ponds une chanson puis ses paroles. Dans le cas de cet opéra, il m’était impossible de finir l’entreprise malgré le temps passé dessus.

Je me suis demandé, après ces trois ans sans avancer d’un iota, pourquoi je voulais absolument écrire cet opéra. Était-ce un problème d’ego ? Non, sûrement pas. J’ai tout envoyé balader et me suis concentré sur les domaines où je suis bon à savoir l’orchestration de musique rock. J’ai « therionnisé » mes partitions pour arriver à un vrai rock opera. J’espère apporter ma patte et mon style dans ce projet qui, comme Les Fleurs Du Mal, sera différent de ce que Therion a réalisé au cours de sa carrière. Il faut aussi admettre que la musique « traditionnelle » de Therion n’est plus trop à la mode. Les modes vont et viennent, c’est naturel. La plupart des groupes ne comprennent pas cela… Question : « Pourquoi est-ce que je vends moitié moins d’albums ? » Réponse : « Parce que tu joues du heavy metal et que nous sommes en 1993. » C’est toujours possible de creuser son sillon mais les temps sont durs en ce moment pour les groupes comme Therion. J’ai toujours eu cela en tête et j’ai bien conscience que le metal symphonique n’est plus aussi en vue qu’il y a quinze ans. Je me dois donc de présenter le groupe sous une lumière inédite et une approche différente.



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