Au commencement était Michaël Zemmour, une personnalité tout droit sortie d’un film noir, animal blessé qui s’en sort par la musique, une musique qui lui ressemble, rock, solide et fragile, instinctive, franche, entièrement vivante. Puis quatre jeunes musiciens –mais vraiment très jeunes, entre 18 et 20 ans- sont arrivés en plein cœur de cette musique, avec leur spontanéité et leur talent naturel, la rencontre a eu lieu, explosive. Il les appelle « mes anges » ou « mes merveilleux » ! Zem, de vraies valeurs.

Entrons dans le vif du sujet, direct. La scène, c’est la vie ?
Zem : Oui ! J’ai l’impression que la musique est la seule chose bien dans ma vie. Le reste est assez destructeur…

Destructeur ?
Zem : Pas destructeur, mais teinté par un passé sombre, triste et dur. La musique est totalement détachée de tout ça, elle puise tout ce qui est bon dans ce trajet. Du coup, c’est dans la musique que je veux vivre, même si c’est flippant, parce que si un jour ça devait s’arrêter, j’aurais l’impression d’être mort. De par mon passé, je sais que tout peut s’arrêter du jour au lendemain, et ne plus jamais revenir.

C’est important pour toi d’en avoir conscience ?
Zem : Oui, mais ça fait très peur. Je ne peux pas imaginer l’avenir, je peux juste vouloir du soutien, essayer de contrôler ce qui va m’arriver. L’important, c’est que quand je monte sur scène, je donne tout ce que j’ai… et à chaque fois… et c’est dur.

On le sent totalement quand on te voit sur scène !

Zem : [Sourire] Tu sais, quand j’ai commencé ici en France, j’ai joué au Gobelet d’Argent à Châtelet, un bar de plus de 100 ans. Il n’y avait que des clochards qui venaient là. Un jour, il y en a un qui est venu me voir après le concert et qui m’a mis un billet de 10 euros dans la gratte… C’est pour ça que je me dis qu’il faut tout donner à tous les concerts. Tu ne sais pas qui est là et ce que ça peut amener.

Y-a-t-il des moments privilégiés pour créer ta musique, as-tu des exigences ?

Zem : Non, mais j’essaye de me rendre disponible pour elle. C’est-à-dire qu’à un moment dans la journée, je prends ma gratte et je joue, que j’en ai envie ou pas, parce que lorsque je l’ai en main, la musique peut me toucher et m’inspirer. Tu ne peux rien faire pour que l’inspiration vienne, juste attendre. Je me mets en place. L’écriture et la musique viendront spontanément.

Comment cela se passe-t-il ?
Zem : Je n’écris pas les paroles, je les chante sur scène d’abord. Je vais souvent changer les paroles. Au bout de 2 ou 3 mois, quand je constate que certaines paroles reviennent à chaque fois, je sais que ce sont celles-là qu’il faut garder. Je crois que l’inconscient, c’est la vérité, et la vérité, tu ne peux pas l’éviter. Quand tu fais de l’improvisation, à la vitesse à laquelle défile la musique, tu n’as pas le temps de réfléchir, donc les mots qui sortent de ta bouche viennent de quelque part, c’est sûr. Alors quand je réécoute ce que je fais en impro, je comprends beaucoup de choses, c’est instinctif…

A propos d’instinct, as-tu appris la musique ?
Zem : J’ai appris la musique avec MTV dans les années 80. Je me rappelle de Video Killed the video star des Buggles, le premier clip vidéo sous forme de court-métrage. Avant eux, on voyait les musiciens jouer en live dans leurs clips. Je regardais comment les guitaristes plaçaient leur doigts parce que les plans étaient suffisamment serrés, à quel rythme jouait le batteur, s’il part de la main gauche ou de la main droite, le pied droit, le pied gauche. Mais je n’ai jamais osé demander à quelqu’un de m’apprendre à jouer parce que je ne comprenais pas ce que la musique venait faire dans ma vie. C’était comme une maladie, ça ne me lâchait pas. J’ai pourtant tout fait pour casser ça, mais c’est incassable.

Pourquoi voulais-tu casser ?
Zem : Encore une fois, je ne comprenais pas, ma vie n’avait rien à voir avec la musique. Je ne comprenais pas ce que je faisais, je ne comprenais pas comment je pouvais mériter ce truc qui me faisait tellement de bien. C’était compliqué. Je suis tellement content de faire de la musique, c’est ce qui me rend le plus heureux au monde, mais en même temps, c’est d’une violence impitoyable.

Et pourtant, la violence de la vie, tu connais…
Zem : Oui, mais celle-là, c’est la mienne. J’ai vu des gens souffrir et vivre dans la violence autour de moi toute ma vie. J’ai connu cette violence après parce que j’ai vécu des trucs très durs en dehors de la musique. La musique est un plaisir tellement puissant, ça fait monter tellement haut, et redescendre tellement bas.

A quels moments redescends-tu si bas ?
Zem : Quand je rentre. T’as fait un concert devant 300, 500 personnes, tu rentres, t’es tout seul, t’allumes la télé, c’est bizarre, c’est une sensation de vide horrible. Cinq minutes avant de monter sur scène, t’es debout, mais ça t’écrase. Quand je monte sur scène, je suis à deux doigts de m’écrouler, c’est intense. J’ai toujours pensé qu’au bout d’un moment, cette sensation allait partir, mais non. Alors je me dis que ça doit être rassurant que ça ne parte pas.

Pourquoi la guitare ?
Zem : En fait, j’ai commencé par la batterie, puis je suis parti sur la guitare rythmique et j’ai chanté. J’ai commencé à écrire des poèmes avant de faire de la musique, je ne pensais pas qu’en fait, j’écrivais des chansons. Un jour, j’étais dans une voiture avec un mec qui jouait de la guitare et, pour rigoler, j’ai commencé à chanter des conneries. Il m’a dit « t’es pas batteur, t’es pas guitariste, t’es chanteur ! » C’est tout ce que j’avais besoin d’entendre ! C’était la première personne dans ma vie qui confirmait le fait que j’étais quelque chose.

Parle-nous un peu de tes musiciens, ce sont des bébés !

Zem : Ouais, c’est Disneyland Paris ! Quand je les ai rencontrés, j’avais commencé à écrire mon second album, mais je n’avais pas de musiciens. Le premier avec lequel j’ai travaillé, c’est Boris, on faisait des sets acoustiques, on a développé pas mal de morceaux ensemble. Il m’a présenté son frère François, 17 ans, et ça ne faisait que 3 ans qu’il jouait de la basse. Ce n’était pas rassurant, mais on a joué ensemble comme si ça faisait 10 ans qu’on tournait ! On est allés très vite, on a écrit des titres, on les a arrangés, ils ont mis leurs couleurs… Ils me comprenaient. J’ai beaucoup de mal à communiquer avec les mots, mais si je joue un titre et qu’un musicien me joue une ligne de basse en me faisant découvrir le titre, je me dis qu’il sait exactement qui je suis !

Tu les laisses pénétrer tes morceaux ?
Zem : Oui, c’est vrai que là-dessus, il faut se mettre à nu. C’est pas évident de se poser devant quatre musiciens qui ont du talent, leur dire « écoutez les gars, j’ai écrit une chanson, ça fait ça… » Maintenant, Zem, c’est un groupe. Sur le premier album, ce n’était pas le cas, pour le second, j’ai décidé de faire confiance. Je veux croire en une équipe… Mais en même temps, j’ai besoin de continuer à écrire mon univers. Je pense qu’avec le temps et à force de jouer, on va écrire ensemble. Je les aime beaucoup, je les appelle « mes merveilleux », en même temps, ce sont des « p’tits cons » ! Parce qu’ils sont jeunes, il ne se rendent pas compte, alors j’essaye de les protéger. Ce n’est peut-être pas une bonne idée d’ailleurs. Mais la musique, c’est sacré, la scène, ça se respecte.

Je trouve qu’ils ont une chance extraordinaire de jouer avec toi !
Zem : Et moi, je trouve que j’ai de la chance de jouer avec eux ! Ils m’ont apporté beaucoup. Quand je partage la musique avec des gens, ça devient comme une famille.

Est-ce important pour toi le choix d’une guitare, d’un ampli ?
Zem : Non, pas vraiment. Au début, je m’amusais à acheter des guitares super chères, des guitares de luthier, des Tyler, des Custom… mais je me suis rendu compte que ce que je joue émotionnellement ne doit pas être embelli, ça doit rester brut. Je ne peux pas avoir une guitare de qualité, je n’arrive pas la à faire sonner, elle est trop fragile, trop pointue, je l’explose ! J’ai besoin d’une guitare avec un son cru, un peu cassé.
Alors non, ce n’est pas important pour moi… Ça m’intéresse, je travaille les sons quand je suis en studio, mais pas trop sur scène, je laisse les guitaristes avec leurs effets. Au fur et à mesure, on développera nos effets avec du matériel un peu recherché. D’ailleurs, j’ai aidé Boris à choisir son premier vrai ampli, un Bogner ! J’étais fier de l’amener au magasin, je lui ai fait essayer tous les amplis !

Vous n’avez pas encore de maison de disques. Penses-tu que ce serait un vrai plus ?
Zem : Bien sûr ! A condition qu’il y ait une vraie relation de confiance. Ça ne me dérange pas que les mecs soient là pour l’intérêt que ça peut apporter à leur boîte, mais il faut qu’ils respectent et comprennent ce qu’on est en train de faire. S’ils veulent se faire de la tune, tant mieux, on veut la même chose en fait ; mais il faut qu’ils respectent la valeur de ce que l’on fait et qu’ils la mettent à sa juste place.

Quel rapport as-tu avec ton public ?
Zem : Le truc, c’est que si le public ne s’ouvre pas, je ne peux pas y aller. Alors je suis obligé d’attendre, de me sentir accueilli, à l’écoute. Ce qui est incroyable, c’est qu’à partir du moment où le public m’offre une place, je donne, et ça s’ouvre encore, et là… waouw ! Ça ne m’appartient pas, la musique ne m’appartient pas de toute façon, elle passe à travers moi, elle vient, je joue, après, elle appartient aux autres.

Qui vas-tu voir en concert ?
Zem : Dave Matthews est un artiste que j’aime beaucoup, Pearl Jam aussi, c’est une grosse influence pour moi. Avant de faire de la musique, je ne pouvais pas aller en concert. Je ne savais pas pourquoi, ou je ne voulais pas l’admettre. En fait, je ne supportais pas d’aller à un concert, et de ne pas pouvoir monter sur scène. Et je ne comprenais pas pourquoi. Quand je rentrais dans une salle, c’était tout à fait normal à mes yeux de traverser la salle et de monter. Ce n’était pas une question d’orgueil, c’était juste une sensation.

Avec quel artiste aimerais-tu jouer, vivant ou non ?
Zem : J’aimerais jouer avec Johnny Cash. Je crois qu’il a compris. S’il rentre dans un café et qu’il dit « je veux être chanteur », les gens vont répondre « vas-y, casse-toi ! » Mais quand il monte sur scène, c’est un roc ! Tous les gens qui l’ont vu, qu’il soit jeune ou vieux, disent la même chose. Pour moi, c’est énorme, parce que ça veut dire qu’il a été honnête à chaque fois. Il s’est montré tel qu’il était. Si tu as le courage de te montrer entièrement, tu montreras toujours la même personne. Mais il faut avoir du courage pour le faire.

Le mot de la fin ?

Zem : J’espère que les garçons et moi, nous pourrons partager tout ce que nous avons, parce que c’est trop pour nous tout seul !

www.zem-music.com 
Zem, le rock brut