Pas de nouveauté dans ce banc d’essai ! La Gibson Lucille fabriquée à Memphis est une classique de la marque. Pas aussi vieux que les ES 335 dont elle est une déclinaison, mais suffisamment représentative d’un certain style de jeu, d’un certain son pour qu’elle fasse partie des instruments légendaires du blues, voire un peu plus. Ni le jeune Riley B. King lui même, ni son cousin Bukka White qui lui apprit les rudiments du blues, auraient parié que B.B. King écrirait en couple avec une certaine Lucille, parmi les plus belles pages du blues

Le Blues Boy King, surnom donné par ses premiers publics qui plus tard se contractera en B.B King, raconte que la première Lucille était une Gibson L-30 payée quelques dollars. En 1949, lors d’un concert dans un rade miteux à Twist dans l’Arkansas, alors qu’il n’en était qu’à l’aube de sa véritable carrière, une bagarre éclate. Le poêle à bois (ou un seau d’essence selon les versions) chauffant l’établissement est renversé et provoque un incendie. Dans l’affolement B.B. King s’enfuit à l’extérieur en laissant sa guitare sur les lieux. Réalisant son erreur, il brave les flammes et récupère la guitare. Il apprend plus tard que la rixe avait éclaté à cause d’une fille nommée Lucille.

Ça c’est pour la légende. Car dans les faits, la Gibson Lucille que nous connaissons n’est apparue qu’en 1980.
D’ailleurs, si l’on retrace l’arbre généalogique de La Lucille, il faut revenir à l’ES (ES pour Electric Spanish) 335. Ce modèle de guitare semi hollow est arrivé en 1958 alors que des modèles solidbody étaient déjà sur le marché. Elle représentait une sorte d’entre-deux : D’un côté les hollow-body difficiles à gérer sur scène à cause des larsens, de l’autre les solidbody un peu en avance sur leur temps. L’ajout d’une poutre centrale dans le corps séparant en deux la “caisse de résonance” était destinée à réduire le feedback que les hollowbody provoquaient à haut volume.

La même année apparaissait l’ES 345, une 335 améliorée grâce à l’ajout du Varitone dont nous parlerons plus loin dans le test. L’ES 345 était également pourvue de deux sorties jack offrant la possibilité de brancher la guitare en mono ou en stéréo.
Enfin, l’ ES-355 était la version haut de gamme de la 335 : Inlays 3 plys, incrustation soignée, touche ébène et système Varitone avec sortie stéréo sur les premiers modèles.
Ensuite, B.B. King fit fermer les ouïes et changer le manche acajou commun à la famille 335 de l’époque pour le remplacer par un manche en érable surmonté d’une touche en Richlite.
Le Richlite est un mélange de fibres de cellulose (plus souvent du papier recyclé) et de résine phénolique. Ce matériau est utilisé pour remplacer l’ébène. Quoiqu’il en soit, c’est une matière très dense et qui, contrairement au bois, ne risque aucun mouvement dû à l’humidité ou à la chaleur.
Voilà pourquoi la Gibson Lucille me semble si importante dans la gamme des ES Gibson. C’est une sorte de synthèse, un vision futuriste de ce qu’était la guitare semi-hollow en 1980.
Pendant sa carrière, B.B. King a joué sur Gibson : L-5, Les Paul, ES 335, ES 345 et ES 355.

De gauche à droite : Gibson ES 335 Dot, ES 345 et ES 355

On a beau partir sur une base d’ES 335, la Gibson Lucille est diamétralement différente. Tout du moins dans le son et dans son approche.

Malgré un manche épais (entre le fameux profil slim-taper et le 58’ Gibson), la Lucille se manie avec simplicité. A condition de ne pas être gêné par la taille de la caisse, c’est avec une facilité déconcertante qu’on se plie à sa maniabilité.
Mais c’est a mon avis grâce à la caisse fermée et au couple  touche richlite/manche érable qu’on atteint une précision de notes qui nous éloigne d’une simple ES 335 ou 345. Cette précision de toucher est plutôt troublante quand on pense aux différentes guitares qui ont marqué le blues.
De fait, on aborde cette guitare un peu comme une solidbody. La réponse des notes à l’attaque nous éloigne des dynamiques habituelles des semi-hollow. Initialement, la fermeture des ouïes voulue par BB.king était destinée à réduire, voire supprimer, les problèmes de larsen. Et comme pour la poutre centrale intégrée dans les guitares demi-caisses, pour les mêmes raisons, cela a considérablement modifié les réactions de l’instrument.

C’est également au niveau sonore que la Lucille se démarque. Équipée de micros 490T et 490R, qui ne sont plus à présenter tant ils ont été utilisés chez Gibson, la “belle d’ébène” se joue des sonorités habituelles de ces micros grâce au système Varitone.
Concrètement, le Varitone qui est un Notch Filter, permet de réduire la présence de certaines fréquences délivrées par les micros :
Position 1 : Bypass
Position 2: 5db sur 1950Hz
Position 3: 12db sur 1100Hz
Position 4: 16db sur 620Hz
Position 5: 18.5db sur 360Hz
Position 6: 21db sur 120HZ

Le Notch Filter agit de la même manière en fonction du micro sélectionné. On peut donc multiplier par trois (trois positions de micros : micro manche, deux micros ensemble et micro chevalet) les possibilités sonores. Je ne compte pas les mélanges supplémentaires possibles avec les masters volume et tonalité qui équipent la plupart des Gibson LP, ES, SG etc…

C’est grâce à ce savant mélange de précision et de définition des notes de la lutherie, cette résonance étouffée et la bizarrerie de certaines positions du Varitone, qu’on arrive à des sonorités blues absolument divines. Pour moi, la Gibson Lucille devrait être portée au panthéon des guitares de blues aux côtés de la Stratocaster et de la Telecaster et de la Les Paul. Et au même titre que ces légendaires guitares, la signature B.B. King se fend d’une polyvalence certaine.
Si le black metal, n’est pas franchement adapté (quoique le 490T accepte de beaux taux de saturation) la guitare peu voguer là ou elle veut et ce, en gardant son identité.

Pour terminer, comme l’ES 345, la guitare est montée avec un système permettant de : soit brancher la guitare en mono sur un ampli comme c’est possible sur n’importe quelle guitare, soit de brancher l’instrument sur deux amplis séparés. Les deux micros sont alors routés sur une sortie différente.
Une excentricité intéressante puisqu’il sera possible d’utiliser deux amplis différents pour exploiter le son de chacun des micros. Cela demande quand même un sacré matos, surtout si vous utilisez des pédales entre votre guitare et votre ampli…


La Gibson Lucille Memphis est un bijou à part. Inutile de parler de rapport qualité/prix tant l’instrument se pose comme un joyau sans prix au guitariste. Roots et moderne, elle est l’outil destiné à un très large public. J’ai eu l’opportunité de tester le modèle Epiphone, valant 500 euros pour sa part. On peut dire que la Lucille n’aime pas les aménagements qui ont été faits pour la pousser vers un public moins fortuné. Ca ne sonne tout simplement pas. Impossible de retrouver les tonalités qui font d’elle une grande guitare.
Pour conclure, je vous raconterai le shooting de notre test vidéo avec Brice Delage. Après avoir testé plusieurs guitares dans le showroom Gibson, nous en venons à la Lucille. Brice branche la guitare pendant que je règle la caméra. Il commence à jouer en essayant les positions du Varitone, et là, se produit une sorte de moment magique. J’arrête de m’agiter derrière ma caméra, il arrête de jouer, un truc sonore s’est dispersé dans la salle. On se regarde, et sans un mot il reprend son jeu et prolonge le moment de grâce. Bien entendu la qualité de l’ampli Jegou utilisé durant le test et les doigts de Brice donnent de belles illustrations sonores. Mais aucun doute que la belle Lucille à nouveau venait de faire des siennes, tout juste si une bagarre n’éclatait pas entre Brice et moi pour savoir qui allait la jouer…

Prix public : 3199 euros

 Les plus :
- La légende
- Le son
- Le caractère
- Le confort

Les moins :
- Rien, j'admire cette guitare !

 


Fiche technique :
Archtop ES Artist USA
Corps : Erable-Peuplier-Erable
Table : Erable-Peuplier-Erable
Manche : Erable 3 parties
Touche : Richlite
Profil : 59 Rounded
Jointure corps-manche : collé, tenon-mortaise
Frettes : 22 type Medium Jumbo
Diapason : 24.75"
Radius : 12"
Sillet : en corian (polymère acrylique)
Frettage : technologie plek
Micro chevalet : double bobinage Gibson 490T Alnico Humbucker
Micro manche : double bobinage Gibson 490R Alnico Humbucker
Contrôles : 1 volume par micro, 1 tonalité par micro, sélecteur Varitone 6 positions
Electronique : sélecteur micro et fiche jack Switchcraft, potentiomètres volume 300k linéaire, tonalité 500k non linéaire
Chevalet : Gibson Tun-O-Matic en zamak
Cordier : Gibson TP-6 en zamak
Mécaniques : Gibson-Grover Kidney bain d'huile, ratio 14:1, en nickel
Accastillage : doré
Couleurs : Ebony, Cherry
Verni : nitrocellulose gloss (brillant)
Accessoires : livrée en étui Gibson Custom Shop
Cordes d'origine : Gibson tirants 010.046

Gibson Lucille Signature BB king

Sur les forums