Les compilations caritatives ont une réputation semblable aux films de Christophe Lambert : toujours de mauvaise qualité, elles nous prennent par les sentiments pour nous vendre de la musique dont nous n'aurions jamais voulu dans d'autres circonstances. Et là débarque Dark Was The Night – la vingtième (!!) compile de la Red Hot Organization – remplie avec trente et un inédits / reprises de la scène alternative nord américaine. Sa double mission ? Nous faire changer d'avis sur la démarche en deux heures et dix minutes tout en levant des fonds pour la recherche contre le Sida.

Produit par Aaron et Bryce Dessner de The National, Dark Was The Night est une bible du rock indépendant acoustique, langoureux et brillamment brodé. Fondée sur des pointures du genre (Feist, Ben Gibbard, Sufjan Stevens, The Arcade Fire, Cat Power, Blonde Redhead, etc.) autant que sur des valeurs montantes (Yeasayer, Bon Iver, Iron & Wine...), la compilation réalise un véritable tour de force en nous faisant oublier dès son entame qu'il s'agit de morceaux égarés par les différents artistes. Mieux, certains surpassent les dernières productions en LP de leurs auteurs.

C'est le cas de The Decemberists qui avec « Sleepless » nous livre une authentique perle. The Crane Wife nous avait déjà montré que le rock progressif moderne de ce groupe était plein de surprises mais ce nouveau morceau l'élève à un niveau supérieur grâce à des mélodies vocales absolues et des arrangements d'une simplicité exemplaire d'efficacité. Les quasi huit minutes de ce titre se digèrent aussi facilement qu'un single de Madonna, prouvant par la même occasion l'accessibilité de cette musique lorsque la qualité de composition suit. Autre pavé : le titre de Sufjan Stevens, repris des Castanets, où l'ange à la discographie conceptuelle sur les Etats Unis d'Amérique expérimente avec des sonorités électroniques tout en préservant son cachet vocal si particulier.

A côté de ces réussites, de nombreuses chansons plus courtes ont un impact tout aussi profond. Knotty Pine et son duo guitare acoustique / piano infectieux ouvre les débats avec une sacrée dose de bonne humeur tandis que Feist et Ben Gibbard prennent le relais en dépeignant une version du « Train Song » de Vashti Bunyan à la hauteur de leurs univers remplis de chagrin. Tout l'inverse de The Arcade Fire qui donne dans un titre uptempo et gai, toutefois assez anecdotique. Vous l'aurez compris, Dark Was The Night oscille en fonction de ses titres entre l'exceptionnelle découverte de trésors enfouis et la déception suscitée par l'absence d'inspiration des artistes sur lesquels nous avions fondé des espoirs.

Bon Iver, par exemple. Que ce soit seul sur « Brackett WI » ou avec Aaron Dessner sur « Big Red Machine », l'artiste s'éloigne un peu trop de ce qui fait sa force et peine à être crédible. La reprise de Nick Drake, « Cello Song », demeure pour sa part assez poussive et, à côté de certaines interprétations présentes ici, sa linéarité et sa fidélité trop évidentes à l'originale la rendent ennuyeuse malgré la collaboration hallucinante sur le papier entre The Books et José González.

En définitive, le sentiment demeure extrêmement positif. Les frères Dessner se sont retrouvés dans la peau du roi Midas à transformer la majorité des trente et un morceaux en or. Réalisant le grand écart entre les racines du rock (« El Caporal » de My Morning Jacket, « Amazing Grace » par Cat Power et Dirty Delta Blues ou « Inspiration Information » de Sharon Jones & The Dap-Kings) et la scène la plus actuelle (Sufjan Stevens – « You Are The Blood », Dave Sitek – « With A Girl Like You »), Dark Was The Night éblouit par sa diversité et l'émerveillement permanent qu'il provoque, notamment par une ambiance lugubre très cohérente entre tous les titres du premier disque. Une fois les deux heures écoulées, vous vous surprendrez à aller acheter les albums de la plupart des artistes présentés. En langage technique, cela s'appelle un triomphe.

Tracklist (en gras les morceaux phares) :
THIS DISC
Knotty Pine - Dirty Projectors and David Byrne – 2:23
Cello Song - The Books featuring José González – 3:54
Train Song - Feist and Ben Gibbard – 3:02
Brackett, WI - Bon Iver – 4:03
Deep Blue Sea - Grizzly Bear – 3:46
So Far Around the Bend - The National and Nico Muhly – 3:43
Tightrope - Yeasayer – 3:18
Feeling Good - My Brightest Diamond – 3:54
Dark Was the Night - Kronos Quartet – 3:51
I Was Young When I Left Home - Antony Hegarty with Bryce Dessner – 4:55
Big Red Machine - Justin Vernon and Aaron Dessner – 4:39
Sleepless - The Decemberists – 7:54
Stolen Houses - Iron & Wine – 1:07
Service Bell - Grizzly Bear and Feist – 2:23
You Are the Blood - Sufjan Stevens – 10:14

THAT DISC
Well-Alright - Spoon – 2:46
Lenin - The Arcade Fire – 4:06
Mimizan - Beirut – 2:43
El Caporal - My Morning Jacket – 3:33
Inspiration Information - Sharon Jones & The Dap-Kings – 4:06
With a Girl Like You - Dave Sitek – 3:27
Blood Pt. 2 - Buck 65 Remix (featuring Sufjan Stevens and Serengeti) – 3:36
Hey, Snow White - The New Pornographers – 4:26
Gentle Hour - Yo La Tengo – 5:31
Another Saturday - Stuart Murdoch – 2:56
Happiness - Riceboy Sleeps – 8:37
Amazing Grace - Cat Power with Dirty Delta Blues – 3:34
The Giant of Illinois - Andrew Bird – 4:45
Lua - Conor Oberst with Gillian Welch – 5:54
When the Road Runs Out - Blonde Redhead with Devastations – 3:28
Love Vs. Porn - Kevin Drew – 3:57

Dark Was The Night
4AD
www.darkwasthenight.com
Dark Was The Night, Rock contre Sida