Le line-up premier d’Asia enchaîne déjà un second album depuis la reformation avec un Omega qui relègue aux oubliettes le pauvre Phoenix. Le quartette a investi le Casino de Paris pour un show rempli de power ballads et de hits eighties mais aussi de démonstrations techniques individuelles. Jamais en reste dans cet exercice, le guitariste Steve Howe s’était échauffé quelques heures plus tôt en nous parlant de divers sujets sur sa brillante et longue carrière.

Votre nouvel album s'ouvre avec Finger On The Trigger que les fans de Wetton / Downes connaissent déjà sur leur deuxième disque. Etais-tu familier avec le morceau original ?
Steve Howe
: Non. Je l'ai découvert en le faisant. C'était leur idée et j'ai fait du mieux que j'ai pu pour les contenter. C'est finalement ce que font les musiciens (rires). Nous voulions faire un nouvel album avec uniquement des titres neufs mais Finger On The Trigger s'est greffé. Je me suis concentré sur ce que je pouvais faire de mieux sur le morceau et je m'en suis tenu à la guitare (rires).

Justement, les lignes de guitare sont vraiment plus lourdes que sur la version d'Icon. Est-ce quelque chose que tu aimes bien faire, jouer assez heavy sur des titres pourtant remplis de mélodies ?
S. H.
: Je pense que j'ai longtemps été contre (rires). Dans les années 70, je n'incorporais jamais de phrasés blues ou heavy dans mon jeu. Ce n'est que lorsque nous avons fait Machine Messiah sur Drama avec Yes que j'ai commencé à prendre conscience de l'intérêt de la distorsion. Depuis, j'adore les guitares puissantes. Mais sur Finger Of The Trigger, j'ai évité de me laisser influencer par le style de l'autre guitariste. Je voulais amener une teinte différente à la chanson et il me semble que j'ai réussi. Bien sûr, Asia doit passer par quelques figures imposées avec les ballades ou les gros morceaux rock mais je crois qu'au final, musicalement, Asia m'a autant changé que j'ai changé Asia. C'est vrai pour les autres gars aussi. Carl, par exemple, ne joue pas du tout comme dans Asia dans n'importe lequel de ses autres projets.

Tu as un levier que tu actionnes pour passer en « mode Asia » ?
S. H.
: (rires) Je change de répertoires toute l'année. Cette année, je change tous les mois entre Yes, Asia et Steve Howe Trio. Pour moi c'est plutôt un soulagement que de savoir que je ne vais pas jouer la même musique toute l'année. C'est très rafraîchissant. Le fait de passer d’un répertoire à un autre est très agréable pour moi et me prouve que je suis capable de le faire ce qui n’est pas rien. La musique la plus importante à mes yeux est une trentaine ou quarantaine de morceaux solo à la guitare que je place toujours un peu plus haut que la musique des autres artistes avec qui j’ai collaboré. En effet, ces morceaux montrent vraiment mon rapport à la guitare. Dans les autres groupes, mon jeu de guitare est autant influencé par moi-même que par les autres musiciens, comme Chris dans Yes ou John dans Asia. Il suffit de regarder George Harrison au sein des Beatles : il jouait un rôle plutôt que de s’éclater à improviser. C’est bien, d’ailleurs, car cela a cadré les choses. Avant la guitare se limitait souvent à un rôle d’accompagnement un peu bas de gamme. Grâce à George, la guitare a gagné en musicalité, en profondeur, en harmonies et en intelligence. En un mot, la guitare a gagné en inventivité.

Depuis le début des années 90 tu sautes rapidement d’un groupe à l’autre, d’un projet à l’autre et souvent pour y revenir quelques années plus tard, voire en mener plusieurs de front. Est-ce que c’est cet équilibre entre l’ensemble de tes projets qui t’intéresse véritablement aujourd’hui et te pousse vers l’avant?
S. H.
: Je ne pensais pas que je ferai ça un jour. J’ai toujours pensé que je ne mènerai qu’un seul groupe à la fois. C’est un truc de jazz, non ? Un musicien de jazz ne s’achète pas, il vient jouer quand il en a envie (rires). J’aime cette liberté. Des gens pensent que ça me contraint mais ce n’est pas le cas. Même lorsque le téléphone sonne simultanément pour Asia, Yes, mon trio et un show en solo (rires). En fait, plus je touche à des domaines différents, plus je réalise que je suis capable de faire des choses dont je ne me croyais pas capable. J’ai vraiment adopté cet « esprit jazz » et ça me convient très bien.

Malgré le nombre de disques que tu as déjà faits, il y a sûrement des lecteurs qui ne t’ont encore jamais entendu jouer. Pour ceux-là : quels disques ou concerts recommanderais-tu ?
S. H.
: De tout acheter (rires) ! Je pense qu’il n’y a rien de tel que de voir quelqu’un sur scène pour comprendre qui il est. Il y a quelques années j’ai découvert à la télévision Alison Krauss and Union Station qui jouait en live et ça a changé ma vie ! J’ai pris conscience de l’attrait que je pouvais avoir vis-à-vis de la musique country. Je suis devenu un de leurs plus gros fans, tout comme John Paul Jones d’ailleurs. Nous nous rencontrons régulièrement à leurs concerts. Donc venez me voir en live ! Sinon, en disque, Close To The Edge ou Fragile possèdent pas mal de guitares qui devraient intéresser les lecteurs.

 

Tu as toujours développé un style unique, entre jazz et rock. Bizarrement, personne ne t’a jamais vraiment copié, ce qui est étrange puisqu’il y a toujours des gens qui cherchent à imiter ce qui marche…
S. H.
: C’est vrai. Je me rappelle quand j’ai fini Roundabout, j’avais peur que personne ne me reconnaisse (rires) ! Les fans de Yes m’avaient entendu sur The Yes Album et hop Fragile commence avec une guitare acous tique. Ils auraient pu penser que le groupe avait encore changé de guitariste. J’ai réalisé plus tard que je produisais un son très reconnaissable à cette époque et il n’a fait que s’affiner.

La clé est l’improvisation, aussi, n’est-ce pas ?
S. H.
: Et puis je ne suis pas facile à copier car il y a plein de facettes dans mon jeu : l’électrique, le folk, le classique, le jazz, etc. Et puis je n’ai pas arrêté de changer de guitares dans les années 70. Par la suite je me suis concentré sur quelques modèles. Un son se constitue avec un instrument et un guitariste. Donc en changeant l’instrument, on peut changer le résultat.

Au fil du temps, tu as écrit et/ou participé à de gros hits populaires. Est-ce que parfois tu cherchais absolument à en composer et tu t’es planté ou est-ce que généralement ces hits arrivent par le fruit du hasard ?
S. H.
: Je laisse toujours faire le hasard. When The Heart Rules The Mind, Close To The Edge, Roundabout ont tous été importants pour moi. J’écris toujours très naturellement dans un premier jet. Ce n’est que dans un second que je me demande quel potentiel peut avoir ce que j’ai composé. Je le partage avec d’autres personnes. C’est rare que j’enregistre seul autrement que sur un 8-pistes. Même si je suis tout à fait capable de produire moi-même quelque chose en studio, je préfère bosser avec quelqu’un dont c’est la spécialité première et échanger avec d’autres musiciens.

Asia - Omega
Frontiers

Asia et le génie de la guitare