France de Griessen – Saint Sebastien

Publié le 19/03/2014 par Nicolas Didier Barriac
France de Griessen ne perd pas une minute en 2014 pour sortir un nouvel album, son second. Toujours sous la houlette de Shanka (ex-No One Is Innoncent, The Dukes), la dame nous montre qu’Electric Ballerina n’était pas un feu de paille. Et, comme elle a toujours quelque chose à dire, nous lui tendons le micro…

Nous avions parlé de tes débuts avec Electric Ballerina sur Guitariste.com. Que retiens-tu des deux années qui se sont écoulées depuis ?
France de Griessen : Pour moi, toute création fait partie d’un cycle, relié à la vie. Je ne peux pas en commencer un nouveau si quelque chose du précédent n’est pas terminé. Et si le cycle est fini, alors un autre commence. Ce que je retiens, que j’emporte dans un nouveau cycle du précédent ? Sûrement des choses, mais je ne sais pas lesquelles. Et ça me va bien comme ça. Plus j’avance, et plus j’accepte le mystère, et même, j’aime que tout ne soit pas compréhensible par l’homme, qu’on ne contrôle pas tout, tout le temps. L’art ou la musique ou tout est parfaitement clair, défini, sans part de mystère justement, ça n’est pas mon truc.

Tu sors ton second album en ce début d'année. Dans quel état d'esprit te trouves-tu ?
D’abord, heureuse et reconnaissante qu’il puisse sortir, car c’est de plus en plus un privilège de pouvoir sortir un disque et qu’il se retrouve dans les rayons des magasins, de nos jours. Il a été fait avec beaucoup d’amour, j’espère en recevoir en retour… Plus que jamais, acheter des disques est devenu un acte militant car cela soutient réellement les artistes en permettant de financer un prochain album. Ce n’est pas du tout le cas avec des sociétés comme Deezer ou Spotify, qui rémunèrent des fractions de centimes et qui mènent une vraie campagne de désinformation du public quand à cet état de fait. Il suffit de lire leur FAQ… En guise de représailles, je fais des albums digipacks avec un beau livret illustré, trois volets, les plus beaux possibles ! Pour procurer à ceux qui l’achètent, en plus de l’émotion musicale, le plaisir d’avoir un bel objet, chargé de sens, et qui dévoile encore des parts complémentaires de mon univers, qui poursuit plus loin le voyage. En plus, j’ai eu la chance de travailler avec Richard Dumas pour les photos, donc on en retrouve plusieurs dans le livret, ainsi que des aquarelles, des dessins, les textes écrits a la main… Mon état d’esprit maintenant que tout est prêt est le suivant : « Que Sera, Sera », comme l’ont chanté Doris Day ou plus récemment la fantastique Ilona Royce Smithkin accompagnée par Zoe Lewis, tout aussi étonnante.

L'enregistrement s'est fait à New York. Pourquoi ce choix ?
Parce que ma plus grande passion sont les bagels. Enregistrer l'album, je m'en fichais un peu à vrai dire, c'était juste un prétexte pour manger. A NY, ils ont des bagels sésame, pavot, légumes séchés, plain, aux noix, sans compter toutes les variétés de « vegan cream-cheese » qui vont avec… Tous les jours, je pouvais ainsi en manger plusieurs. Je me dépêchais de vite finir chaque chanson pour pouvoir aller au bagel shop. C'est tout ce qui compte, c'est tout ce que je retiens de cette expérience, au final. Plus sérieusement… C’est un choix artistique, le studio et l’équipement vintage était ce qui correspondait totalement au son recherché pour l’album qui a des couleurs qui passent notamment par des influences 70’s ou même 50/60’s parfois. Et question de texture du son, le travail sur les atmosphères, une approche cinématographique aussi, ça passe par certains choix de matériel qu’ils avaient. Pour moi, il n’y a pas une partie « technique » et une partie « artistique », c’est complètement lié. Choisir tel instrument, micro, console, ampli sont des choix artistiques. Nous avons connu cet endroit par l’intermédiaire d’Alexis Berthelot qui y travaille. Le studio était libre au bon moment. Il y a des signes. Dès le premier jour il était clair que c’était là que ça devait se passer. Qui plus est j’aime beaucoup l’énergie particulière de Williamsburg, ou se trouve le studio G, et de New-York en général. Il y a quelque chose de magique, de mythique, qui vous emporte ou qui vous déplait selon les personnes. Mais en tout cas c’est une ville qui suscite quelque chose de fort. J’y ai moi-même vécu dans le passé, donc je connaissais et c’était bien d’y revenir. D’un an à l’autre, ce n’est jamais la même chose, tout bouge, ou presque. Après, pour y vivre, c’est très compliqué, comme beaucoup de capitales, les coûts de la vie sont très élevés. Mais pour y réaliser un projet, c’est une destination merveilleuse, on se sent porté par l’énergie si originale et même excentrique de la ville, je trouve.

Tu es une artiste pleinement impliquée dans tout ce qui touche à ta musique. Par quelle(s) ambition(s) étais-tu guidée pour réaliser Saint Sebastien ?
Chez moi, c’est la vocation qui précède l’ambition. Mon ambition, c’est de rendre de la meilleure manière possible ce que j’ai à exprimer. J’ai traversé des épreuves personnelles très difficiles pendant la période ou cet album a été composé. A un moment donné, Saint Sebastien est l’image qui m’est apparue. Je me sentais face au monde, transpercée de toutes parts, avec des blessures à vif sur tout le corps. A la fois dans un état de faiblesse émotionnelle et mentale telle que cela atteignait tout mon être, du cerveau jusqu'à ma peau, et puis il y avait aussi une force lumineuse qui me maintenait miraculeusement là, qui m’a permis de tout traverser. Il y a des jours où j’avais des sensations d’être extérieure au monde, sensations étrangement sensuelles aussi parfois, car la seule réalité alors est celle de la chair. Saint Sebastien évoque à la fois la souffrance avec ses plaies ouvertes, mais aussi beaucoup de force, une grande beauté singulière et c'est aussi une figure érotique puissante. Il est poétique, provocant, flamboyant.
Mes modèles de féminité, ceux qui m’ont inspirée depuis ma plus tendre enfance, ce sont par ailleurs les drag queens, les travestis, les New-York Dolls, les strip-teaseuses, les archétypes théâtraux comme on peut en voir dans « Les Enfants du Paradis » ou « Les Visiteurs du Soir », les personnages excentriques qui s’inventent leur propre mythologies, toutes ces créatures fantastiques, pour moi une continuation des contes de fées en fait. Le titre de l’album leur rend aussi hommage puisque Saint Sebastien est souvent repris dans l’imagerie gay. Ce n’est pas la raison première qui m’a inspirée ce titre, mais la coïncidence est d’une grande justesse.
La chanson « The Veil of Stars » est dédiée au réalisateur Jack Smith. J’ai vu un extrait d’un film dans lequel il avait accepté de jouer un peu avant sa mort et qui s’appelle « Shadows in the City » de Ari Roussimoff. Il y portait un voile noir avec des points qui évoquaient de petites étoiles et des grosses bagues. L’image était vraiment frappante. Je trouve que c’est un homme qui a apporté tant de beauté au monde. « The Veil Of Stars », c’est un happy end écrit pour lui, j’ai ressenti beaucoup de choses en le composant à la guitare. Quelque chose de lumineux et fraternel, une continuité. Jack Smith appartient comme Bruce LaBruce, ou Virginie Despentes à la famille des poètes provoc et romantiques…
Pour finir, j’ai enlevé son accent au « Sebastien », le titre est donc Saint Sebastien, c’est une manière aussi de me distancer de la religion – je respecte la foi individuelle, mais je déteste la manière dont les religions deviennent un moyen d’oppression des libertés et des individus, et d’uniformisation de la foi elle-même d’ailleurs - et de rappeler que pour moi, un artiste réinterprète le monde, propose un autre regard sur les choses - C’est une fonction qui n’est pas que culturelle, cathartique ou divertissante - c’est selon, à chaque artiste ses domaines -, elle s’inscrit aussi dans l’évolution de la société.

Tu as joué sur scène et les chansons évoluent quelque peu dans leur texture. Est-ce que ces évolutions ont eu un impact sur la matière première exploitée pour ce qui allait devenir Saint Sebastien ?
Non. L’évolution musicale est liée à une évolution personnelle, pas au live. En ce qui me concerne, le live fait évoluer… le live ! Pour ce qui est de composer et de créer, cela vient de visions personnelles. Ce sont deux dynamiques différentes.

En deux albums, on a compris que quelque chose d'essentiel dans ton approche de la création artistique réside dans les rencontres. Peux-tu nous présenter les rencontres essentielles qui ont conduit à la réalisation de Saint Sebastien ?
Les rencontres ne sont pas plus ou moins essentielles pour moi en particulier que pour n’importe quel autre artiste, ou être vivant, artiste ou non. Non pas qu’elles ne soient pas importantes, bien au contraire, c’est juste que c’est comme ça pour absolument tout le monde (à moins d’être un ermite, mais c’est un cas assez rare), c’est ainsi que se tissent les vies… On se transforme les uns les autres, dans l’échange, on évolue… Ce n’est donc pas là quelque chose de spécifique à mon parcours, je ne dirais certainement pas que c’est ce qui en fait la singularité par rapport à d’autres. Pour Saint Sebastien j’ai continué à travailler en co-composition et réalisation avec François « Shanka » Maigret, comme c’était déjà le cas pour mon EP « Six Uses for a Heart » puis « Electric Ballerina ». La différence c’est que nous avons sacrément resserré l’équipe. Seulement nous deux ! Shanka est comme moi un auteur-compositeur-interprète, il voit donc lui aussi les choses dans une globalité. Il me comprend dans mon refus de l’anecdotique à tous les niveaux, dans mon étrangeté et mes bizzareries, et c’est aussi, mieux qu’un guitariste, un formidable guitar-hero qui m’accompagne très souvent sur scène. Et sur un plan personnel également, bien évidemment qu’il est très important !
Alexis Berthelot, l’ingénieur du son qui nous a enregistré a tout compris au disque, c’est quelqu’un de discret autant qu’efficace, je suis vraiment bien tombée… Pour la partie photo, j’ai travaillé avec  Richard Dumas, dont j’admirais le travail depuis longtemps. Encore quelqu’un qui est dans l’intemporel, le mystère, la liberté. Enfin, mon entourage s’est agrandi : je continue à travailler avec Rue Stendhal, et j’ai signé il y a quelques mois avec un éditeur, SidoMusic.

Pour finir, que retiens-tu de l'année 2013 en matière de musique ?
Et bien forcément, l’enregistrement de mon album, c’est toujours très intense pour un artiste, l’aboutissement de mois, d’années de travail, de vie, d’épreuves et de joies…Après, en ce qui concerne le monde extérieur, je ne fonctionne pas du tout par années. J’écoute des choses de toutes sortes de genres, époques, pas du tout en fonction des sorties. D’ailleurs, c’est très bien qu’il y ait les journalistes musique, eux font ce travail chronologique, autour de l’actualité, d’un contexte. Chacun son travail et ses spécificités, c’est bien comme ça. Quant à moi je peux découvrir un album de 1966 ou de 2011 en 2014. En plus quand il y a des artistes qui ne sont plus, que j’adore et dont je sais que forcément , il n’y aura plus d’autres disques, je me garde parfois plusieurs années des chansons ou des albums à écouter plus tard. Je n’ai pas lu tous les livres de certains de mes auteurs favoris, ni écouté tous les disques de mes artistes préférés. Cela surprend parfois, mais c’est ma manière de les appréhender, une sorte de compagnonnage que j’étire dans le temps…







France de Griessen – Saint Sebastien
Rue Stendahl
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