Un groupe dont le nom signifie Situation Normal All Fucked Up ne peut jouer sa musique de façon traditionnelle. Ainsi, Sna-Fu a érigé le bordel en mode opératoire, la cacophonie en process normalisé et la créativité en finalité. Mighty Galvanizer pousse plus loin encore ce que vous avez pu découvrir sur Tonnerre Binaire et permet à Sna-Fu de titiller de près ses modèles de toujours. La parole est aux guitaristes, les sympathiquement nommés Axl Otl et Thornaad Catapulta.

Au départ on vous comparait souvent à Refused et The Mars Volta. Avec Mighty Galvanizer, vous êtes partis dans une direction nettement plus progressive. Vos goûts personnels aussi ont changé entre temps ?
Axl Otl : Comme tu viens de le dire le nouvel album est plus progressif donc plus proche encore de Mars Volta et Refused ! On aime toujours l'énergie et l'état d'esprit qui animent ces groupes, après c'est vrai que sur la forme nous avons évolué depuis le Tonnerre Binaire. Nous avons écouté de nouvelles choses et elles sont venues se greffer au son de Sna-Fu. C'est pour cela que nous avons choisi de prendre le temps de développer toutes ces nouvelles influences sur un disque plus long sans contraintes. S'il avait été nécessaire de faire un double nous l'aurions fait ! On peut entendre dans celui-ci un peu de Every Time I Die, de Acidman, de Queens Of The Stone Age mais également des musiques venant d'univers totalement différents : Ennio Morricone, Debussy ou Django Reinhardt y ont aussi participé, ce sont tous de très bons amis, on a passé d'ailleurs le nouvel an ensemble à Verbier.

Le fait que ce nouvel album soit plus complexe et prog' que le précédent est-il sa seule différence majeure pour vous ?
A. O. : Non car tu parles de la forme mais avant de composer nous avons travaillé sur le fond. Il ne s'agit pas d'un concept album mais nous avons tout de même défini un thème qui servirait de ciment aux compositions de chacun, car nous composons et écrivons tous et ce n'est pas toujours facile d'harmoniser tout ça. Le thème principal choisi était le manque. Pas celui de la souffrance, mais celui qui t'oblige, pour le combler, à avancer toujours, à te construire tout au long de ta vie, c'est donc un angle tout à fait positif que nous avons adopté. Il y a donc plus de sens dans notre musique aujourd'hui, bien que l'on aime toujours autant les riffs qui envoient, mais on voulait aussi faire sentir au public qui nous écoute (ceux qui nous ont vus en live le savent déjà) que la violence que nous véhiculons a une vocation fondamentalement positive.

Pourquoi ce titre : Mighty Galvanizer ?
A. O. : Ce titre est précisément une synthèse de ce que la musique de Sna-Fu est : une vague puissante qui te pousse en avant. Certes nous n'avons pas la prétention de régler les problèmes personnels de chacun mais en tous cas nous proposons une musique qui regarde vers l'avant. On aime montrer cet aspect car c'est finalement assez rare dans le style hardcore, souvent introspectif et torturé. C'est pourquoi nous avons pris cette citation provenant de la chanson Bang Bang et qui résume bien l'ensemble.

Vos prestations live, qui ont fait votre réputation, vont-elles changer pour coller au plus près du style de Mighty Galvanizer ?

A. O. : Nous nous sommes posé beaucoup de questions à propos du live quand nous avons commencé à jouer les chansons qui allaient devenir le Mighty Galvanizer. Etant beaucoup plus difficiles techniquement, il nous a fallu travailler énormément pour bien les jouer, non seulement personnellement mais surtout pour trouver une cohésion, car comme tu peux l'entendre nous ne jouons pas au clic sur l'album mais en live, avec notre propre interprétation du rythme. Du coup c'est assez périlleux de vouloir le retranscrire en concert. Au début, bien que le résultat ait souvent été techniquement satisfaisant, nous nous sommes aperçus qu'il manquait ce quelque chose qui fait qu'on tue n'importe quel autre groupe en live. Cette magie s'était perdue dans la recherche de la propreté, de la perfection. Pour certains groupes c'est indispensable mais ce n'est pas ce qui convient pour Sna-Fu. Dans ce sens nous sommes clairement plus un groupe de rock que de métal. Mais grâce aux avis extérieurs, nous avons pu rectifier le tir et retrouver la folie dont nous avions besoin. On se laisse plus de liberté, on s'est longtemps auto censurés sur l'improvisation en live alors qu'en répètes, on part souvent dans tous les sens sans suivre les chansons telles qu'elles sont écrites. Maintenant on se permet aussi ce genre d'évasion sur scène avec tous les risques que ça comprend mais c'est ça qui est bon !

Est-ce que vous avez cherché à matérialiser votre énergie live sur l'album ou au contraire s'agit-il là de deux exercices différents (le live et le studio) qui ont chacun leurs propres exigences ?
A. O. : C'était un peu notre peur en rentrant en studio : peut-on retrouver l'énergie d'un live dans un album studio ? Si on ne fait que du live, ça risque d'être un peu trop chaotique, si on enregistre tous les titres les uns après les autres ce sera trop propre, sans réelle cohésion... Du coup nous avons enregistré d'abord les parties rythmiques ensemble avec la batterie et les deux guitares puis on a accumulé les couches. Une des particularité de notre musique réside dans le fait que les riffs de guitare forment vraiment le noyau dur de notre son. Saint C. Mayhem, notre batteur a toujours composé instinctivement ses parties en doublant les guitares, c'est bien entendu par manque total de personnalité mais au final c'est un élément indispensable du gros son de Sna-Fu ! L'étape d'après, Dr Robotkin a calé sa basse puis Björn, le chant et enfin, tous les effets supersoniques incontrôlables des guitares lead ! Au final on a vraiment la pêche du live, avec en prime des petites erreurs pleines de charme par ci par là : sauras tu les retrouver ? (réponse dans le prochain Super Picsou Géant)

Quels sont les meilleurs souvenirs que vous gardez de votre dernière tournée ?

A. O. : A l'unanimité les Eurokéennes en 2008. Nous avons joué sur la Logia à 2h du mat' un soir et le lendemain au stand SFR, deux scènes totalement incomparables mais on s'est éclatés autant sur l'une que sur l'autre ! C'était deux jours complètement fous, on était en plein milieu de la tournée donc bien chauds et pas encore trop sur les rotules, on a eu deux super lieux et on leur a fait honneur je crois !

Quel matos avez-vous employé pour l'enregistrement de Mighty Galvanizer ?

A. O. : Des guitares, une batterie, et une basse et un micro.
Thornaad Catapulta : Amplis : Nous avons enregistré sur deux amplis différents mais complémentaires : un Orange ThunderVerb 50 Custom-pas-de-bol et une Sovtek MIG-100H Custom VHM. La Orange sortait sur un PPC412 Orange et la Sovtek sur un Marshall 1960AX avec des galettes modifiées (4x30W Celestion G12H). Guitares : Nous avons tous les deux enregistré majoritairement sur des Gibson Les Paul Special P-100 Reissue 77' (avec option PQ anti-harmoniques). Ce qui est intéressant avec ces guitares c'est qu'étant assez rares elles ont été fabriquées de manière très disparate. Ainsi, entre mes trois modèles, aucune n'est identique, elles ont le même confort de jeu, mais il y en a une super précise, l'autre super grasse et une autre gourmande en médium... Certaines prises additionnelles ont été faites sur une Danelectro Bass VI de 1956 (Collec' perso t'as vu), guitare/basse très dure à jouer, mais qui une fois branchée sur quelques pédales et un bon ampli à fond peut tuer toute forme de vie dans un rayon de 5000Km. Jouissif. Il y aussi de la mandoline, de l'acoustique Ovation bien cheap et nasillarde, du violon de champion, un peu de Flying V pour des solos enflammés ! Effets : Nous possédons pas mal de pédales, le but était de toutes les utiliser, mais à chaque fois avec intelligence et subtilité. Il faut savoir qu'on compose très tôt avec les effets. Sur cet album on retrouve d'innombrables delays dans d'autres delays, Wah-Wah dans une Whammy, du Hog, une BlueBox dans un FM-4, un Phaser dans un Q-tron, etc... beaucoup de bordel à la première écoute, mais chaque piste d'effets a été enregistrée "live" c'est à dire pas de post prod d'effets, donc la prise devait être colorée mais suffisamment propre pour être écoutable. Challenge.

Petit retour en arrière : quand est-ce que la musique est devenue une véritable passion pour vous ?
A. O. : Pour moi, un peu comme tout le monde je crois: au collège, quand on commence à avoir des goûts musicaux un peu personnels qu'on partage avec sa bande de potes et qu’un jour, l'un d'eux te montre que jouer peut être une réalité. Il te joue un Smoke on the Water dans sa chambre et c'est comme si tu avais Richie Blackmore devant les yeux, alors tu te dis "pourquoi pas moi ?" Ce qui est bien c'est que ton regard sur la musique n'arrête pas de changer au cours de ta vie, tant que tu conserves un regard curieux la passion reste intacte et tu avances, tu t'enrichis. Par la suite j'ai parfois eu l'impression d'arriver au bout de quelque chose que je travaillais, mais il y a toujours quelqu'un qui te remets à ta place et te dit "il te reste beaucoup à apprendre petit scarabée", ça peut être Mozart ou ton voisin Jean-Louis, ça dépend.



Quels sont à ce jour les 5 albums les plus importants que vous ayez écoutés et pourquoi ?
A. O. : Question piège ! Je ne suis pas trop dans l'ambiance album mythique, discothèque idéale, les albums qui m'ont marqué ne sont pas forcement des références pour les critiques officiels. J'ai vraiment adoré American Least Wanted de Ugly Kid Joe et je trouve encore que c’est un groupe qui avait un équilibre rare, aux frontières de beaucoup de styles, ce qui n'a pas joué en leur faveur. J'ai eu une bonne période guitar hero où je retiendrais peut être Rising Force de Malmsteen. Non seulement ça m'a permis de travailler la technique mais en plus ça m'a rendu curieux et je suis allé écouter un peu de classique en commençant par les trucs qui bourinent un peu, genre Beethoven ! J'ai redécouvert plus tard les Use Your Illusion (je préfère le bleu perso). Quand il est sorti à l'époque, trop de gens l'écoutaient, c'était louche donc je l'avais un peu négligé . Maintenant, bien au delà de la simple nostalgie (la galoche d'un quart d'heure sur November Rain), je trouve que c'est l'album qui a su le mieux trouver l'alchimie entre musique surproduite et énergie brute !

Aujourd'hui je suis en totale admiration devant Bedlam in Goliath le plus dense des albums de Mars Volta. Tout est dans l'excès et c'est trop bon ! Omar Rodriguez a une telle personnalité, son rejet de la perfection technique met en valeur son talent brut, autodidacte. Je n'ai jamais entendu autant de liberté dans un son de guitare, c'est vraiment impressionnant et il a d'autant plus de mérite qu'il passe derrière la dictature de la technique des années 90 ! Il ne cherche pas à cacher les brouillons de ses solos, il improvise fondamentalement. Tous ces petits défauts qu'il nous laisse entendre donnent au final un résultat à l'allure d'un ouvrage juste fini, encore sur son établi, au milieu des copeaux et des outils!

T. C. : Pour ma part, l'ensemble de l'œuvre de Jimi Hendrix et Omar Rodriguez (période At The Drive-In et Mars Volta confondues). Bien sûr, des groupes mythiques comme Guns n' Roses ou Queen ou encore AC/DC sont d'énormes références, mais si je devais retenir cinq albums (mon choix aura changé d'ici cinq minutes c'est certain) :
- The Mars Volta - Frances The Mute : Pour son énergie live et ses chansons toutes surprenantes, avec un spécial big-up à Cassandra Gemini : trente-cinq minutes de bonheur
- Breach - Kollapse : Du jamais vu / jamais entendu. Un groupe de hardcore oldschool qui finit par pondre l'un des albums de post-hardcore les plus massifs et les mieux produits à ce jour ! (on se penche encore sur la question du son, on n’a pas trouvé de réponse)
- Refused - The Shape Of Punk To Come : Bien sûr, pas original, c'est une référence et il y a un milliard de raisons qui justifient ce choix. Fin de la discussion.
- At The Drive-In - Relationship Of Command : Même si je ne le réécoute pas tous les jours, cet album a été une révélation, un point de départ pour moi, en temps que guitariste.
- Blur - Blur : Car cet album est l'exemple d'un groupe innovant et qui prend des risques. Alors bien installés, il explosent avec Song 2 et Beetlebum, mais le reste de l'album est une traversée fantasmagorique et acide ou parfois simplement pop et douce. Surprenant.

Quels sont vos plans pour les prochains mois ?
A. O. : On aimerait développer encore le Mighty Galvanizer sous d'autres formes juste pour le plaisir et pour les fans. On va enregistrer des versions acoustiques, c'est un format qui nous a été demandé très souvent pour les radios et les show case et ça nous a vraiment plu de remanier les compositions dans ce sens. S’il parle des compositions : Donc, on va essayer de compiler celles qu'on a déjà faites et en adapter d'autres.
On va également faire des remix de certaines chansons, je peux pas tout dire évidemment, mais on en n'a pas encore fini avec cet album !


Sna-Fu – Mighty Galvanizer
MVS Records

Sna-Fu, Mighty Galvanizer