Steve Lukather : « Mon retour sous la lumière après avoir connu l’obscurité »

Publié le 29/03/2013 par Nicolas Didier Barriac
Nous accueillons pour 2013 un Steve Lukather souriant et parfaitement heureux, ce qui n'a pas toujours été le cas ces dernières années... Le guitariste revient avec « Transition », un album solo qui renoue avec la réussite artistique.
Tu me disais avant de commencer cette interview que tu avais dû jouer le riff de Transition pour une émission de radio et que tu l’avais oublié ! Cela t'arrive-t-il souvent ?
Steve Lukather : Assez, oui. J'ai enregistré cette chanson de façon très spontanée il y a plus d'un an et ne l'ai pas mémorisée. Souvent quand j'enregistre quelque chose, je ne joue le morceau qu'une seule fois. Je n'ai pas une oreille parfaite, donc je dois souvent ré-analyser mon jeu en écoutant le CD pour retrouver ce que j'ai joué. C'est mon réflexe de requin de studio : je devais constamment apprendre des tonnes de trucs pour les oublier ensuite. Par contre, quand arrive le moment de jouer sur scène, je suis au point. L'exemple auquel tu fais référence est une émission de radio où le type me demande de jouer tel ou tel truc juste parce que j'ai une guitare à portée de main (rires).

J'ai lu quelque part que tu n'aimais pas la plupart de tes idées musicales. Même celles que tu enregistrais. Est-ce pour cela que tu tiens à avoir quelqu'un à tes côtés, même dans ta carrière solo, en l'occurrence CJ Vanston ?
S. L. : Oui. Il sait me « piloter ». Il me pousse à bout et me motive à trouver des idées au moins au niveau des siennes. Souvent lorsque j'ai une bonne chanson, une partie du morceau ne convient pas ou ne nous convainc pas suffisamment. C'est alors qu'il met son grain de sel et trouve toujours le moyen d'améliorer les choses en prenant toutes mes prises, notamment dans les soli, et en les considérant comme les pièces d'un puzzle qu'il réalise. Nous formons un super tandem à la fois en tant que co-compositeurs et co-producteurs. Transition contient de nombreux soli dont je suis super fier. Tous n'ont pas été joués d'une seule traite mais ont été « reconstruits » par CJ. Mon jeu de guitare sur cet album lui doit donc beaucoup. Il y a des trucs qu’il me sera compliqué de reproduire sur scène car j’étais en totale impro…

Ça tombe bien car les gens s’attendent à ce que tu proposes des choses différentes de l’album lors des concerts, non ?
S. L. : Oui, sans doute. Il y a des leads qui ne sont pas vraiment des soli et qui remplacent les lignes de chant. Parfois, je suis flemmard et je ne veux pas écrire à nouveau des morceaux. Ces passages-là ont tendance à évoluer sur scène car que sont-ils en définitive, sinon des variations tordues de blues ? Parfois, il est bon de revenir de tournée avec des morceaux joués cinq cent fois. Le résultat est plus propre et intéressant que la première fois.

C’est toujours mieux à la fin d’une tournée ? Il n’y a pas d’effets de fatigue ou de lassitude à la fin d’une tournée éreintante ?
S. L. : Ça dépend. C’est vrai que parfois il y a un genre de courbe. Au départ, on essaie de jouer comme il faut puis quand la confiance arrive on tente des trucs un peu fous. On se lâche, quoi ! C’est vrai qu’au bout d’un certain temps on devient un peu grabataire et on répète ce qui marche sans vraiment innover. C’est là pourtant que les morceaux sont à point. Il faut prendre garde à ne pas verser dans le shred sans aucune signification quand l’inspiration et l’innovation commencent à faire défaut…

Tu joues constamment sur le fil, non ?
S. L. : Forcément. Je suis super spontané et je joue toujours ce que je ressens. Par exemple, lorsque j’étais totalement déprimé, j’allais nécessairement jouer de manière sombre. Mon picking était agressif, mon choix d’accord était sombre, tout semblait être de travers. Quand tout va bien, la musique de qualité jaillit sans qu’on la pousse. Ça aide quand on n’a pas tout le temps en tête son divorce, son alcoolisme de merde ou la mort de sa mère… Les gens ne sont pas tout le temps compréhensif quand des choses comme cela arrivent. C’est comme si une vidéo de vous en train de tomber dans un escalier et de vous casser les dents était mise en ligne pour que tout le monde rigole. Ce n’est pas agréable. Alors que les gens se marrent, on pense aux mauvais souvenirs, à la douleur… Au milieu des années 2000, j’ai connu une période très sombre mais tout va mieux à présent et ça fait un bien fou !

Trouves-tu que parfois, peut-être, il y a trop d’attentes en ce qui te concerne ? Que ce soit avec Toto ou en solo…
S. L. : Les gens s’attendent à ce que j’enclenche le bouton « génie » dès que je rentre sur scène ! Mais ce n’est pas si facile… J’ai pris des coups, certes, mais je n’ai ressenti que davantage de plaisir lorsque je me suis relevé. Je suis clean, en bonne santé et inspiré. Je ne peux pas demander grand chose de plus ! Je pense qu’à présent je serai plus régulier dans mes performances de concert et dans l’écriture de nouvelles chansons. Je ne peux pas effacer tous les mauvais souvenirs que les gens ont de moi mais il faut qu’ils me fassent confiance : tout a changé à présent. Ce n’est plus la peine de me lapider constamment (rires). D’un côté, toute cette aventure m’a fait redescendre sur terre et prendre du recul. Avec 36 ans de tournée dans les pattes, je crois qu’il était temps que cela arrive.

Est-ce la transition que tu évoques avec le titre du nouvel album ?
S. L. : Tout à fait. C’est mon retour sous la lumière après avoir connu l’obscurité. Je me sens bien. 2012 a été une très bonne année.

Ces derniers mois, tu as fait pas mal de trucs en dehors de cet album solo : des shows avec G3, Toto ou encore Ringo Starr. Cette diversité de moyens d’expression t’a-t-elle servi au moment de faire Transition ?
S. L. : Oui mais avant tout j’ai pu bénéficier du luxe du temps de création ! Il n’y a pas plus agréable. J’ai faire le disque que je voulais et qui me correspondait. Comme le précédent qui a reçu les meilleures critiques de ma carrière. J’aurais pu faire un disque de metal, de fusion ou de shred mais Transition est ce qui me correspond vraiment.

Le morceau éponyme « Transition » de Steve Lukather



Steve Lukather - Transition
Mascot Records
www.stevelukather.net