puisqu'on parle d'utopie et de liberté, il faut signaler, pour ceux qui ne l'auraient pas encore lu, que michel bounan montre dans "l'or du temps" qu'en deçà des anciens dogmes religieux existe une conscience universelle, fondée sur des dispositions humaines très particulières, à la fois physiques et mentales dont les religions ne sont que les enfants dégénérés.
de cette conscience découle une morale, absolument incompatible avec la barbarie moderne ; ainsi qu'une liberté individuelle, un courage et une joie, dont notre époque a perdu jusqu'au souvenir.
le choix se pose donc maintenant à chacun de nous de réintégrer son extraordinaire humanité, ou de s'enfoncer toujours plus profondément dans la barbarie :
Quiconque agresse, humillie, asservit, blesse ou tue un autre homme, nie sa propre universalité, sa propre humanité et perd l'instrument même de sa suprématie. Il se condamne à mourir comme homme, après avoir semé la mort autour de lui. Le prédateur individualiste actuel, en élevant sa prééminence personnelle au-dessus du sujet universel qui en est la source vive, a détruit la planète et bientôt ses propres possibilités de survie. Garant de la solidarité humaine, il est devenu le destructeur de ses semblables en humanité. Il vit maintenant dans la peur de ses voisins et dans l'angoisse du lendemain, aiguillonné sans cesse par l'appétit d'aliments qui ne le rassasient qu'un bref instant et qui ne servent qu'à le maintenir en éveil pour souffrir à nouveau de la faim. Faim d'objets, faim de sortir de soi-même, faim d'amour aussi, alors que lui-même n'en a plus à offrir à personne.
L'homme moderne, ne sachant plus qui il est, voit désormais le monde s'effondrer - du fait de la méconnaissance de l'agent qui en est toujours la source vivante - et s'efforce de se sauver individuellement au dépens des autres hommes. Mais toute la souffrance qu'il leur impose aujourd'hui est une nouvelle blessure infligée à sa propre humanité, à sa propre autorité. Beaucoup de témoins actuels s'accordent à reconnaître que, depuis quelques décennies, son langage s'est considérablement appauvri, que son art est anémique, et que sa science s'est décomposée en un puzzle de techniques que plus personne ne saurait saisir dans leur unité et qui, de toute façon, ne le sauveront pas.
Ce n'est sans doute pas la première fois qu'une telle mésaventure survient dans l'histoire humaine, bien que celle-ci soit peut-être la plus grave parmi celles dont on a conservé la mémoire. Et ce n'est que parce qu'à chacune de ses épreuves, quelques hommes ont pu se réapproprier leur humanité, leur sujet intemporel et universel, et s'organiser dans des espèces de regroupements fraternels, que le monde a pu se ressaisir et reconstruire une civilisation.
M. Bounan, L'or du temps, 2015.