En résumant l’entretien ci-dessous avec notre Canadien préféré, Devin Townsend, on peut dire qu’une offre artistique de Peavey alliée à la naissance de son premier enfant auront eu pour effet non seulement de redynamiser sa créativité (quatre albums en un an !) mais aussi de remettre de l’ordre dans sa vie. Quand on se souvient de son état lors de la promo de Ziltoid The Omniscient, on ne peut qu’être heureux pour lui. En attendant, profitons à fond de Ki, excellent album intimiste, avant de voir débouler les trois suivants d’ici peu… Nous en reparlerons à coup sûr !

Il semblerait que les origines de ce projet de sortir quatre albums en un an viennent de chez Peavey ! Tu peux nous en dire plus ?
Devin Townsend : C’est vrai ! Peavey m’a contacté il y a environ six mois. Je n’avais jamais considéré jouer sur leur matos car je suis sponsorisé par ESP et Mesa Boogie depuis des années. Chaque année ESP réalisait des modèles signature pour des guitaristes emblématiques de la marque comme les mecs d’Ill Niño, par exemple. Sans vouloir dire du mal d’ESP, cela me restait un peu en travers de la gorge car je me considère comme un assez bon guitariste et j’étais chez eux depuis quinze ans ! Je voulais proposer mes idées en termes de fabrication de guitares mais j’ai toujours eu l’impression qu’ils ne savaient pas me situer musicalement. Je les comprends… Et, alors que je n’attendais plus rien, j’ai reçu un appel de Peavey qui me proposait de faire des guitares et des amplis à mon nom. Ils voulaient faire plusieurs séries différentes, en plus ! Ils voulaient également que je fasse de la publicité pour leur software de guitare. Ma réponse ne s’est pas faite attendre : « pourquoi vous voulez que je fasse cela, que puis-je vous offrir ? » (rires) Par le passé j’ai déjà entendu des gens qui me mettaient l’eau à la bouche et qui ne faisait plus rien ensuite, donc je ne voulais pas me faire baiser une nouvelle fois (rires). Mais ça avait l’air sérieux donc je suis allé dans leurs entrepôts dans le Mississipi où ils produisent toutes les pièces de leurs instruments. C’était incroyable car il y avait de tout là-bas : des guitares, des basses, des amplis de guitare, des amplis de basse, des tables de mixage, des batteries, des micros, des softwares, etc. En tant que musicien c’était l’endroit rêvé ! C’est alors que les mecs de Peavey m’ont expliqué qu’ils voulaient soutenir mes prochains projets musicaux car je n’avais pas encore été le « porte-drapeau » d’une marque d’instruments. Ça tombait bien car j’avais une tonne de musique prête à être publiée et maintenant j’avais un guide pour m’aider à concrétiser ce que j’avais en tête.

Comment cela s’est passé ? En quoi le son des albums a-t-il été modifié par ton travail réalisé avec la marque ?
Devin Townsend : Quand Peavey m’a appelé j’étais en train de produire. On m’a demandé d’arrêter de produire car pour eux je perdais mon temps et il fallait que je mette ma créativité au profit de ma musique uniquement. De ce côté-là j’étais un peu perdu car même si j’avais écrit une tonne de musique, je ne savais pas s’il fallait qu’elle soit heavy ou douce. Le label ainsi que Peavey m’ont encouragé à faire ce qui venait naturellement, c'est-à-dire donner vie à quatre projets très différents les uns des autres. Il me fallait alors des sons également très distincts. Pour le premier, je voulais un son clair. J’avais commencé à bosser dessus avec une vielle Fender Bassman, un vieux Fender Twin et une Strat’. Le son que j’obtenais était incroyablement bon et je n’avais jamais réalisé à quel point le son clair pouvait être dynamique si on jouait comme il faut derrière. Peavey venait d’acheter Buddha qui produisait un ampli correspondant à mes besoins. Je l’ai customisé pour qu’il soit exactement tel que je le souhaitais autant dans les aspects techniques que dans un aspect purement esthétique. J’ai eu droit au même traitement de faveur pour la guitare et la basse ce qui m’a permis de réaliser exactement ce que je voulais pour Ki.

Et donc cette collaboration se décline sur les trois autres albums à suivre ?
Devin Townsend : Tout à fait. Je commence à bosser sur le suivant dès que j’ai fini de promouvoir Ki auprès de la presse.

Vus avez déjà parlé de ce que vous allez faire ensemble ?
Devin Townsend : Oui. Ils me fabriquent un « hollow body » pour le quatrième album, dans la veine new age / ambient, une sept cordes « baryton flying V » pour le disque à la Nickelback qui va suivre Ki et plein d’amplis adéquats. Je tiens à les remercier car en tant qu’entreprise ils ont été bien plus puissants et professionnels que toutes celles que j’ai pu côtoyer par le passé. Et malgré ce statut de superstar des instruments de musique, Peavey a été prêt à faire un pari assez fou sur moi. Ils ont certes les moyens mais ils les ont utilisés en partie pour moi et pour comprendre mes aspirations. C’est un honneur.

Tu es maintenant totalement sobre et ton discours change de celui qu’on a pu connaître par le passé. Quand tu repenses à ton parcours musical, que vois-tu ?
Devin Townsend : Maintenant, j’ai l’occasion de clarifier les choses avec les gens qui m’ont pris pour un fou. Il n’y a plus rien de fou dans ce que je propose actuellement. Si un doute subsiste je suis pris à expliquer les motivations qui m’ont conduit à faire cela. Infinity était un album fou. Pourquoi ? Parce que je prenais de l’acide à 24 ans. C’était un disque égoïste où je me prenais pour Dieu. J’ai fait de nombreuses erreurs dans ma vie personnelle à la suite de cela car je me sentais intouchable en prenant cette drogue. J’étais arrogant et j’avais peur. Malheureusement, ou heureusement selon le point de vue, tout cela était de l’ordre du domaine public car je donnais des interviews à cette époque. Quand je relis les trucs que je disais que je prenais de l’acide, je n’en reviens pas. Pas étonnant que les gens ne savaient pas à quoi s’en tenir vis-à-vis de moi ! Maintenant je veux faire d’autres choses : des bandes sons, des comédies musicales, des symphonies, etc. ! Mais avant je veux que mon passé soit clarifié et cela passe par parler à des gens comme toi et par le faire savoir à tes lecteurs. Les quatre disques que je m’apprête à sortir représentent eux aussi un autre moyen d’y parvenir. Chaque disque aura des connexions avec ce que j’ai pu créer par le passé mais à l’époque des forces malfaisantes m’obscurcissaient l’esprit…

Tu as eu un bébé récemment. J’imagine que cette naissance n’est pas étrangère à ton « repositionnement » humain…
Devin Townsend : Exact. Je n’étais pas préparé à être affecté de la sorte. En en parlant avec des amis, je pensais plutôt que des anges allaient survoler ma femme pendant qu’elle accouche d’un divin bambin (rires) ! Je m’attendais à ce que ma vie change ! Au lieu de ça du sang partout ! Je me demandais bien ce que j’allais faire… Je me revoyais quelques mois / années auparavant avec mes amis quand nous fumions de l’herbe : nous philosophions sur ce genre de trucs existentiels. Nous étions tellement convaincus de détenir la vérité ! Et quand le bébé est arrivé, je ne détenais plus rien du tout ! Là je faisais face à la réalité concrète et tangible. Je n’étais plus en train de me masturber intellectuellement avec mes potes. Ça m’a libéré de constater que dans le fond j’étais ignorant. « Vive ma stupidité ! » (rires) Il y a des gens qui disent cela à 12 ans. Pour ma part, j’ai dû attendre d’en avoir 35.

Devin Townsend - Ki
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Devin Townsend, la renaissance du génie