Le death technique a longtemps fait le bonheur des gratteux amateurs d’extrême. Depuis la vague de Göteborg, ce courant avait quelque peu perdu de son importance. Heureusement, les Français de Gorod, qui bénéficient d’un petit buzz aux Etats-Unis, ont décidé d’honorer les grands anciens sur un troisième album intense et maîtrisé comme il faut. Mat nous en dit plus.

Process Of A New Decline est déjà votre troisième disque. Les deux premiers sont passés quelque peu inaperçus… Que pouvez-vous nous en dire ?
Mat : Ouais, on peut dire qu'ils ont été mis aux oubliettes! Le premier, Neurotripsicks est d'abord sorti sur un petit label français, avec assez peu de moyens, en 2004, et n'a donc pas fait beaucoup parler de lui. Par la suite, le label Américain Willowtip Records, qui a eu cette première édition entre les mains, a décidé de le rééditer pour les États-Unis, avec un peu plus de succès cette fois... mais seulement Outre-Atlantique. On a alors signé un deal sur ce label pour les deux albums suivants, dont Leading Vision, sorti en 2006. Il a fait un boulot de promotion très efficace pour cet album, en Amérique du Nord, mais malheureusement il n'a jamais réussi à avoir une distribution et une promo décente ici en Europe, malgré le fait que Candlelight Records ait récupéré la distribution du catalogue de Willowtip pour le vieux continent. C'est pourquoi on s'est battus pour que Listenable Records rachète la licence du tout dernier, Process Of A New Decline. Là, on est sûrs d'avoir la meilleure promo et distribution possibles ici, et on garde Willowtip pour assurer en Amérique du Nord. Cet album est l'aboutissement de trois années d'efforts d'écriture et de travail. On a essayé de faire un album plus puissant que les deux précédents, plus direct, moins alambiqué. Même si les morceaux sont d'apparence plus complexe, car globalement plus rapides, l'accent a été mis sur l'efficacité plutôt que sur la prise de tête ! Il fallait que les morceaux soient clairs, compréhensibles et suffisamment rentre-dedans pour qu'on les retienne à la première écoute. Les morceaux sont très variés en termes de grooves et d'ambiances, mais restent homogènes de par le son et l'intensité constante. C'est pour nous l'évolution naturelle de ce qu'on avait pu faire avant, il n'y a pas eu de véritable changement de direction, musicalement parlant. Pour en revenir à Neurotripsicks, notre premier album, vu qu'il est quasiment introuvable, il doit nous en rester cinq exemplaires, et vu que nous venons de récupérer les droits, nous pensons le ré-éditer voire le ré-enregistrer, car nous recevons pas mal de sollicitations de fans... Affaire à suivre... Leading Vision, qui vient d'être repressé est quant à lui dispo sur le net via les sites de Willowtip et Candelight.

Si en France, Gorod reste encore assez confidentiel, vous avez déjà percé à l’international et particulièrement aux États-Unis…
Mat : Euh oui ! Comme je le disais plus haut, Willowtip fait un très bon boulot Outre-Atlantique. On commence à être assez connus là-bas, et les quelques groupes américains avec qui on a eu l'occasion de jouer nous connaissaient tous, et nous considéraient comme leurs égaux... Il faut dire que la plupart d'entre eux croyaient qu'on était effectivement américains, à cause de notre label et du fait qu'à une époque on portait le même nom qu'un groupe de Chicago, Gorgasm. C'est sûr tout ça nous rend fiers, on est conscients que ce n'est pas donné à tout le monde de s'exporter. En tout cas on espère y retourner prochainement... Mais bon on n’est pas encore au niveau de Gojira, loin de là, et il reste encore beaucoup de travail à faire là-bas comme ici. On a aussi fait quelques dates en Europe, notamment en Allemagne et au Portugal, ainsi qu'une mini tournée européenne avec Immolation au mois de juin dernier. Il faudrait que cela devienne plus régulier, je pense, il faut que l'on joue plus, d'une manière générale, pour que la sauce prenne pour de bon ! Des gens travaillent là-dessus, cela devrait donc porter ses fruits prochainement !

Vous avez notamment joué au Maryland Deathfest. Quels souvenirs gardez-vous de l’expérience et avec quels groupes rencontrés là-bas avez-vous encore des contacts ?
Mat : C'était formidable! Le premier rang connaissait mieux les paroles que notre propre chanteur et les chantait à tue-tête! Tout le monde là-bas a été très cool. On a rencontré plein de gens et de groupes, comme Odious Mortem qui nous ont bien aidés à négocier avec l'organisation, et avec qui on espère bien revenir tourner un de ces jours. C'était d'ailleurs très frustrant de ne devoir y aller que pour une date unique, parce qu'on sait qu'on est attendus là-bas. Bref, on a été super bien accueillis et c'est très encourageant pour la suite, même si je t'avoue qu'on ne pourra sûrement pas y retourner trois fois par an. On préfère maintenant se concentrer sur l'Europe et la France en particulier, après tout c'est là qu'on peut le plus facilement tourner et donc se faire connaître... Et c'est là qu'il y a le plus de boulot en fait !

Vous enregistrez l’arrivée d’un nouveau batteur (qui remplace d’ailleurs une batteuse !). Qu’avez-vous cherché à faire différemment avec lui sur Process Of A New Decline ?
Mat : A vrai dire, l'album était déjà entièrement composé quand il est arrivé, soit environ deux mois avant les sessions d'enregistrement. On n’a pas vraiment eu le temps de retravailler ou d'adapter les parties batterie prévues pour Sandrine à la base. Ceci dit, Sam a apporté une énergie et une force supplémentaire aux morceaux. Il est beaucoup plus à l'aise avec les figures imposées du death metal, comme les blasts ou la double pédale ultra rapide, et cette aisance confère aux morceaux un coté naturel, sauvage, qui complète bien l'aspect chirurgical et très ordonné de notre musique. Je ne veux bien sûr pas dire que son jeu est sale ou approximatif, au contraire, il est très instinctif, va droit à l'essentiel, et c'est ce que nous voulions pour cet album. Ce qui est bien, c'est que Sam est un musicien complet qui pratique plusieurs instruments, ce n'est pas juste un cogneur. Il comprend et assimile la musique avec une facilité déconcertante, c'est très intéressant de travailler avec quelqu'un comme lui. Le travail sur le prochain album s’annonce très enrichissant !

Si vous deviez comparer cet album à trois disques existants, lesquels choisiriez-vous ?
Mat : Ouah, difficile... Bon, comparons le d'abord avec le Epitaph de Necrophagist, puisqu'au premier abord nos styles sont assez semblables. On fait chacun du death dit "technique", c'est-à-dire que notre son est propre, trop diront certains, et qu'on a tendance à vouloir jouer vite et avec la manière. Cependant, la musique de Necrophagist a un côté toujours sombre et froid, ce que Gorod cherche à éviter ou à alléger, avec des mélodies et des grooves plus « optimistes » ou positifs, et peut-être plus faciles à suivre... C'est notre troisième album, donc je vais essayer de comparer au troisième album de Gojira, From Mars to Sirius, même si ce n'est pas vraiment comparable musicalement. Eux, ils ont changé de direction avec cet album et ont franchi une étape importante. Ils sont passés du death à la Morbid Angel, c'est à dire tranchant et rythmique, à quelque chose de plus progressif, plus lancinant et hypnotique. Ils l'ont toutefois fait avec une grande classe et c'est très bien passé avec leur public, dont je fais partie. Nous, sur ce troisième album, on n’a pas cherché à se réinventer, mais juste à franchir une marche de plus et à faire mieux que sur le précédent. Je pense qu'on a encore des choses à prouver dans notre musique et qu'il n'est pas encore temps, pour nous, de réfléchir à prendre une direction nouvelle. Pour finir, comparons le avec le dernier Epica: bah, le notre est sans doute moins cher et d'un rapport qualité/prix nettement supérieur. En plus, notre batteur a beaucoup plus de sex-appeal que leur chanteuse et ne prend pas deux heures à se maquiller avant le spectacle, alors...



Le son de Process Of A New Decline est très convaincant. Néanmoins, je suis certain que vous voudriez qu’il soit encore meilleur. Quelles sont à votre avis les voies d’amélioration dans ce domaine ?

Mat : Merci pour le compliment ! C'est vrai que je suis assez fier du son de l'album, même si je me rends bien compte des limites de l'autoproduction. Tout a été fait « à la maison », c'est-à-dire dans mon studio personnel, où on a pu prendre le temps qu'il faut pour que les prises soient parfaites. Seul le mastering a été confié à Scott Hull, le guitariste de Pig Destroyer, qui s'occupe de la plupart des groupes de chez Relapse, et qui bosse super bien. Il est assez difficile, quand tu as composé, enregistré et mixé les morceaux, de prendre le recul nécessaire pour encore déceler les éventuelles erreurs que tu as pris l'habitude d'entendre. Cette seconde oreille objective permet de pallier à ce problème mais c'est sûr que l'idéal serait peut-être de faire aussi mixer par quelqu'un d'autre... On y réfléchit pour le prochain mais c'est plus le même budget, et il faudrait vraiment trouver quelqu'un qui soit sur la même longueur d'onde que nous, en plus d'être patient et pas cher ! (rires) Mon studio a lui aussi ses limites... J'enregistre et mixe de nombreux groupes régulièrement pour des maquettes, des mcd et des albums (www.myspace.com/budstudio), donc j'ai pas mal d'expérience mais mon matériel reste quand même du semi-pro, et je ne peux pas rivaliser avec les gros studios à 6000 € la semaine. J'ai équipé ce studio au fur et à mesure, donc peut-être que pour le prochain album, avec du meilleur matos (la plupart du temps c'est ce qui fait la différence, en particulier sur les prises batterie) gagné en bossant pour d'autres groupes, je ferai des meilleures prises qui donneront un meilleur album! Peut-être aussi en faisant appel à un tiers pour le mix et le mastering... Je préfèrerai toujours faire les prises moi-même, c'est plus cool, il y a moins de pression, l'emploi du temps est plus souple et c'est plutôt important pour aborder un enregistrement sereinement.

Conceptuellement, Process Of A New Decline semble être la suite des deux premiers opus. Exact ?

Mat : Exact ! On a continué à développer le concept qu'on avait créé avec Neurotripsicks, qui parlait d'un univers virtuel engendré par les déviances morales d'une d'intelligence artificielle, fabriquée à la base pour guider l'humanité. Leading Vision décrit l'avènement de cette machine/dieu, Adam, la manière dont elle fut créée, dans quel contexte et pourquoi. Dans Process Of A New Decline, on raconte comment, dans un premier temps, la machine/dieu arrive à rassembler les hommes et à les faire avancer tous dans la même direction, à savoir le progrès technologique. Mais les motivations de la machine ainsi que celles de ceux qui l'ont mise en œuvre restent obscures et secrètes. Enfin, après quelques années de bon fonctionnement et de progrès global, la machine, composée d'esprits ex-humains synthétisés, va se rebeller contre ses créateurs et s'effondrer sur elle-même, entraînant l'humanité dans sa chute. Nos textes tournent autour de cette histoire, ici très résumée, en se plaçant à différents points de vue, que ce soit un humain lambda, un membre de l'exécutif derrière la machine/dieu, ou des esprits dans la machine elle-même comme sur « Watershed », où on peut les entendre se déchirer. J'imagine qu'on finira l'histoire sur le prochain album, à moins qu'on trouve une ouverture sur autre chose... Non, promis, on ne mange pas de champignons hallucinogènes (rires) !

Mat compose toute la musique de Gorod. Les autres membres du groupe se focalisent-ils sur d’autres projets pour exprimer leur créativité artistique ?

Arno : Ce n'est pas forcément le fait que Mat compose quasiment tout dans Gorod qui nous permet d’avoir d’autres formations. Ce groupe prend beaucoup de mon temps libre, entre l’apprentissage des morceaux, les arrangements apportés aux structures, les répétitions, les enregistrements, les concerts, les interviews… Il y a de quoi s'exprimer... Le reste du temps, je suis prof de guitare! Mais c’est vrai qu'en tant que musiciens, nous éprouvons le besoin de jouer... Certains d’entre nous jouent dans d'autres formations et touchent parfois à d’autres styles. Sam et Ben ont d’autres projets metal, respectivement Señor Flores et Lignarius. Mat a un groupe de jazz/funk 70’s qui s'appelle Bundy’s Back, et je joue pour ma part dans un groupe de pop/rock, The Exit. Nous apprécions et jouons des styles de musiques très variés, ce qui nous permet d'évoluer, d'appréhender la musique d'une autre manière, d'avoir l'esprit ouvert et de prendre un plaisir différent, mais tout aussi bon que dans Gorod... euh non, presque aussi bon que dans Gorod ! En tout cas il n'y a aucune frustration dans la façon dont Gorod fonctionne, tout le monde a son mot à dire et sa "patte" à ajouter.

Avez-vous des concerts de prévus dans les mois à venir ?
Arno : Oui, tout à fait ! Nous sommes à l'affiche du Tattoo The Mind le 10 octobre à Metz, et nous en sommes très fiers. Il y a aussi une grosse soirée pour Halloween le 31 octobre à la Rock School Barbey, dans notre belle ville de Bordeaux, qui s'annonce très festive ! De nombreuses dates et projets de tournées sont en préparation pour la France et l'Europe. Tout ceci sera annoncé prochainement, alors venez donc consulter notre page Myspace (www.myspace.com/gorod) de temps à autre pour être sûr que l'on passe près de chez vous !

Gorod – Process Of A New Decline
Listenable
www.myspace.com/gorod 
Gorod : après les Etats-Unis, la France ?