Le Canadien qu’une génération entière de teenagers a découvert à travers la reprise de « Hallelujah » de Jeff Buckley avait fait des adieux officieux. Sur scène tout d’abord où il ne se produisait plus depuis 1993. Sur disque ensuite où le rythme extrêmement lent des sorties ne présageait rien de bon. Son Dear Heather de 2004 prenait même toutes les apparences d’un au revoir de poète. Néanmoins, on ne contrôle jamais complètement son destin et, en 2005, Leonard Cohen allait se retrouver quasi ruiné par Kelley Lynch, sa manageuse de longue date. Une série de procès plus tard, Cohen a vu des millions de dollars partir en fumée. Il n’en fallait pas plus à l’élégant retraité pour trouver la force de remonter sur scène afin d’assurer une longue série de concerts à travers le monde. Il était de passage à Paris début juillet pour une date événement au P.O.P.B.. Nous aussi.

D’un point de vue comptable, Cohen va pouvoir renflouer les caisses sans trop de mal puisqu’avec des tickets compris entre 74 et 155 euro et une production scénique en parfaite adéquation avec son répertoire – comprenez très minimaliste – on ne craint pas trop pour la marge brute et encore moins pour le bénéfice net. Heureusement, le format marathon du show (environ trois heures) en donne pour son argent. Ceux qui sont familiers avec le très bon DVD Live In London paru chez Columbia il y a quelques mois n’ont pas été déboussolés par les choix musicaux de Cohen, la setlist faisant quasi office de copie carbone.

Mais comme tous les grands artistes, Leonard Cohen ne donne jamais complètement deux fois le même concert et les interprétations toutes en nuances et en clins d’œil de ses plus grands morceaux le confirment. La voix du septuagénaire parvient encore à gagner en expressivité et les longs mois de tournée semblent avoir eu l’effet d’un bénéfique échauffement sur ses automatismes de frontman : il capte autant l’attention par la classe de sa silhouette que par le charisme de son regard ou que par la profondeur de sa voix. Autant dire qu’il ne manque pas d’atouts.

Les chansons, elles, sont intactes bien qu’arrangées souvent différemment par un line-up de neuf musiciens et choristes. Malgré cet ensemble conséquent, les subtilités dépouillées des premiers titres du Monsieur sont préservées et même mises en valeur sur des classiques que l’on croyait inchangeables tels que « Suzanne » ou « Who By Fire ». « Bird On A Wire », « Dance Me To The End Of Love », « Famous Blue Raincoat » ou « So Long Marianne » provoquent pour leur part toujours autant d’émois tant la justesse des textes se combine merveilleusement à des arrangements folk / jazz intelligemment pensés.



Aucun grain de sable ne vient perturber l’implacable mécanique d’un artiste ne se cachant pas d’être sorti de sa retraite bouddhiste pour des raisons pécuniaires, pas même une interprétation d’ « Hallelujah » forcément en deçà de celle de l’immense Jeff. Le contentement du public à la sortie du concert se sentait aisément et il semblait n’avoir qu’une idée en tête : revoir le Live In London le plus rapidement possible. Qu’importe si ce DVD possède une image sale et un format passéiste, ce serait comme s’attendre à du Michael Bay en allant voir un Woody Allen. Le propos demeure ailleurs et tout le monde l’a bien compris, même Kelley Lynch qui, en voyant le retour fracassant de son ancien poulain doit se dire que, d’une certaine façon, le crime paie…

www.leonardcohen.com
Leonard Cohen, le retour sur scène d'un poète

Sur le même thème
Sur les forums