Fort du succès de son album précédant "Matière Noire" et de la belle tournée qui a suivi, Mass Hysteria a profité de cet élan en publiant le 26 octobre dernier "Maniac", un neuvième opus qui va encore plus loin dans le caractère sombre et agressif des dernières sorties du groupe et qui a été produit de main de maître par Fréderic Duquesne et masterisé par le cultissime Ted Jensen (connu notamment pour avoir travaillé avec The Eagles, Billy Joel, Norah Jones, Green Day, Talking Heads, Mastodon et Pat Metheny). Après une tournée des clubs fin 2018 où nous avions rencontré Yann (guitare), Fred (guitare) et Jamie (basse) pour parler du nouvel album, sa production et l'équipement du groupe, Mass Hysteria poursuit toute l'année 2019 sa tournée dans de plus grandes salles et sur les festivals d'été avec dans le viseur une date au Zénith de Paris le 6 décembre en guise de bouquet final !

© Crédit photo Eric CANTO

Bonjour à vous trois ! Je voulais revenir tout d'abord sur le début de la promo de "Matière Noire" (2015) où on pouvait se demander à l'époque, notamment au travers des déclarations de votre chanteur Mouss, si le groupe allait effectuer une pause. L'album a été très bien accueilli et vous êtes partis sur une grosse tournée derrière et avez finalement battu le fer pendant qu'il était chaud en enregistrant dans la foulée ce nouvel album "Maniac" (2018). Le succès de "Matière Noire" a visiblement changé le décor n'est-ce pas ? 

Yann Heurtaux : Je ne dirais pas que le décor est nécessairement différent car je vois "L'Armée Des Ombres" (2012), "Matière Noire" et "Maniac" comme une trilogie mais Mouss a effectivement eu un gros coup de mou après l'enregistrement de "Matière Noire".  Mais vu que l'album a vraiment bien marché, Mouss s'est complètement remotivé ensuite et il était évidemment totalement partant pour enchainer avec "Maniac" à l'issue de cette superbe tournée ! Nous avons composé "Maniac" un peu de la même manière que "Matière Noire", à savoir dans l'optique d'enfoncer le clou et d'aller plus loin dans cette même direction plutôt que d'essayer de chercher à changer notre son. C'est un peu la revanche de "Contraddiction" (1999) en quelque sorte ! 

"Maniac" est indiscutablement votre album le plus produit, celui avec le plus "gros" son. Je me suis même amusé à réécouter derrière "Une Somme De Détails" (2007), le premier disque de Mass Hysteria que Fred avait produit et le contraste est saisissant. "Une Somme De Détails" sonne pratiquement comme une démo en comparaison... 

Frédéric Duquesne : C'est le truc à ne surtout pas faire (rires) ! J'ai fait exactement la même chose que toi et j'avais envie de me pendre lorsque j'ai réécouté "Une Somme De Détails" (rires) ! 

Yann Heurtaux : Vraiment ? J'adore le son d'"Une Somme De Détails" pourtant. Je n'ai pas la même impression que vous mais je veux bien vous croire car la prod que Fred a faite pour "Maniac" est tout bonnement incroyable! Je n'arrête pas de le féliciter interview après interview ! 

Frédéric Duquesne : J'ai changé de matos un mois et demi avant d'enregistrer l'album, ce qui aurait pu être dangereux d'ailleurs. J'avais envie de changer la station que j'utilisais depuis de nombreuses années maintenant. J'ai investi  dans du nouveau matériel d'enregistrement avec l'argent gagné sur la tournée de "Matière Noire" et je me disais que tant qu'à faire, autant m'en servir pour le nouvel album de mon groupe, histoire qu'il sonne super bien ! Mais là où c'était risqué c'est que j'étais évidemment un peu perdu au départ car je passais d'un outil que je connaissais par cœur à quelque chose de totalement nouveau. Plus rien n'était identique, l'environnement était différent, les plugins ne réagissaient plus de la même manière, bref il fallait tout réapprendre.   

Jamie Ryan : On a passé du temps rien que sur les vumètres et les différents niveaux car ça ne réagissait plus du tout pareil.  

Frédéric Duquesne : Je "geekais" la nuit pour gagner du temps mais je savais qu'il fallait passer par ce changement de matos pour que moi aussi je franchisse un stade en tant que producteur. On a passé deux mois dessus et finalement ça s'est super bien passé ! 

Yann Heurtaux : Puis on peut dire que nous avons été durs envers nous-mêmes car nous nous sommes pris la tête sur absolument tout !  

Jamie Ryan : On s'est forcés à refaire tout le mixage des titres par exemple car nous aimions mieux le mix que nous avions à la fin par rapport à celui du début. 

Frédéric Duquesne : Ça encore, c'est quelque chose qui arrive souvent mais il y a aussi des trucs qu'on a reconstruit  de toute pièce en dernière minute en studio comme le titre "Nerf De Boeuf", qu'on avait peut-être répété une seule fois et dont on ne se souvenait même plus des plans. Si les gens voyaient ça, ça serait assez drôle car autant nous avons des morceaux qui sont établis dès le début, autant d'autres sont au contraire cousus main en studio et il arrive, comme avec "Nerf De Boeuf", que ce genre de titre bricolé en dernière minute finisse par figurer parmi les titres les plus forts de l'album ! 

Niveau accordage on dirait que vous avez continué dans votre tendance à descendre plus bas. Vous étiez déjà allés jusqu'au Drop C (Do) sur "Matière Noire". Sur "Maniac" les guitares ont un son monstrueux rappelant un peu celui de Meshuggah. Quel était votre accordage ? 

Yann Heurtaux : Ce n'est pas une impression, nous sommes effectivement descendus jusqu'au Drop A (La) !   

Jamie Ryan : Si on voulait vraiment s'approcher du son Meshuggah, je pourrais ramener la 8 cordes que j'ai à la maison en studio comme ça on sera en Fa# (F#) (rires). Mais ça ne conviendrait pas avec certains de nos riffs rapides, ça sonnerait comme de la bouillie ! 

Yann Heurtaux : Ça serait trop bas effectivement. Nous sommes descendus cette fois jusqu'au La (A), mais pour notre prochain album je ne serais pas étonné que nous jouions en Do # (C#) ou en Si (B). Ce sont de bons accordages pour notre style.  

Frédéric Duquesne : Puis nous avons encore des titres rapides sur "Maniac" et c'est là que ça devient compliqué techniquement d'avoir un son propre si tu descends trop bas. C'est un peu contradictoire de jouer plus vite quand tu descends ton accordage. Mais on a quand même voulu aller assez loin cette fois.   

Yann Heurtaux : Il y a d'ailleurs certains morceaux qui étaient à l'origine en La (A), mais c'était trop bas et nous les avons repassés ensuite en Si (B) comme "Se Bruler Sûrement" par exemple car cela convenait mieux. 

Jamie Ryan : Tout l'album a été composé en La (A) d'ailleurs mais nous avons ensuite changé pour certains titres où le Si (B) faisait mieux l'affaire. 

Frédéric Duquesne : Le La (A) c'est bien quand c'est lent et "fat" comme sur "Aromes Complexes" par exemple. 

Yann Heurtaux : Pour résumer, à l'exception de "Reprendre Mes Esprits" qui est resté en La (A), nous avons passé tous les titres rapides en Si (B) et gardé les plus lents en La (A). 

Jamie Ryan : Et il y en a même un qui a fait l'aller et retour. "Partager Nos Ombres" était en La (A) puis en Si (B), et au dernier moment, Yann a eu envie de le réessayer en La (A). 

Quels amplis avez-vous utilisés en studio pour obtenir ce son massif ?  

Frédéric Duquesne : Nous avons toujours quatre pistes rythmiques de guitare en studio. Il y a deux pistes qui étaient enregistrées avec la tête EVH 5150 III 100S EL34, quant aux deux autres pistes je ne le dirai pas car c'est un secret ! Je ne vais pas livrer tous nos secrets de fabrication non plus (rires) ! Il y a d'ailleurs un autre élément très décisif dans notre son de guitare sur lequel je tiens également à garder le mystère (rires sarcastiques) ! 

Yann, tu as visiblement fini par te passer de ton éternel Mesa Boogie Rectifier avec lequel tu jouais depuis toujours. Pourquoi ce changement ?  

Yann Heurtaux : Je n'arrivais effectivement pas à me défaire de mon Rectifier parce que j'aime beaucoup cet ampli bien sûr mais aussi parce que je ne suis vraiment pas un geek comparé à Fred et Jamie. Je suis plus de l'école Angus Young on va dire, tu me donnes une gratte, un ampli, si ça sonne bien, ça me va ! Mais ils ont réussi à me convaincre du fait que le Rectifier a beau sonner super bien quand tu joues face à lui, ce n'est pas forcément pour autant ce qu'il y a de plus idéal dans un mix en façade. Notre sondier Sylvain s'en plaignait un peu aussi d'ailleurs. 

Frédéric Duquesne : Le Rectifier a de bons aigus et un très beau bas, mais c'est un ampli très creusé avec pas grand-chose au centre et c'est quand même un peu là que ça se passe niveau fréquence à la guitare.   

Yann Heurtaux : Puis je dois bien avouer que j'aime beaucoup ce qu'ils m'ont mis entre les mains avec l'EVH 5150 III EL34 que j'utilise moi aussi désormais comme Fred. Je suis d'ailleurs récemment allé voir Slayer en concert et Anthrax ouvrait pour eux. Scott Ian utilise également le 5150 III EL34 et du coup j'étais très attentif au son de guitare en façade et force est de reconnaître que ça sonnait vraiment bien !  

Frédéric Duquesne : On joue donc tous les deux sur la même tête en ce moment. Cette version EL34 de la 5150 apporte un petit côté Marshall à ce son qui reste toujours évidemment très moderne. Mais c'est un son moderne qui n'est pas trop tassé, qui reste assez aéré. Il y a une bonne dynamique et un son très percutant. 

Jamie Ryan : Le deuxième canal est juste parfait pour les rythmiques ! 

Yann Heurtaux : La grosse différence que je note par rapport au Rectifier, est qu'autant les deux amplis sont très bons en palm mute, par contre la définition des notes sur un accord est bien meilleure avec le 5150. Lorsque je faisais un accord plein sur le Rectifier on ne comprenait pas aussi bien les notes. 

Mass Hysteria a pris un virage plus sombre sur ces derniers albums et "Maniac" va encore plus loin dans cette direction. Vos débuts où Mouss insufflait une certaine naïveté et plus d'innocence semblent bien loin aujourd'hui. Est-ce simplement une conséquence du fait d'évoluer et de vieillir?  

Yann Heurtaux : Oui il y a de ça. La formule de Mass Hysteria n'a pas réellement changé en soi. Je compose toujours de la même manière et quand ils étaient venus me chercher, je jouais dans un groupe de Death Metal. Mais Mouss avait effectivement des paroles peut être plus naïves puis à un moment donné il a commencé à durcir le ton mais je ne pense vraiment pas avoir changé ma manière d'écrire pour ma part. Après j'assume clairement ce côté plus noir dans la musique de Mass Hysteria. 

Votre batteur Raphaël Mercier, qui au passage a haussé son niveau de jeu sur "Maniac", est celui qui déclenche les samples en live. Mais qui les conçoit en studio pour vous depuis le départ de votre ancien guitariste Olivier Coursier en 2007 ? 

Yann Heurtaux : C'est toujours Olivier qui crée la plupart de nos samples et nous bossons également avec Marc Animalsons qui travaille avec Booba et qui a également une bonne culture rock. Il s'est chargé des samples de "We Came To Hold Up Your Mind" et d' "Arômes Complexes" et Olivier s'en est chargé sur tout le reste de l'album.  

Les samples viennent-ils après la composition des morceaux ou est-ce parfois l'inverse ? 

Yann Heurtaux : On compose d'abord nos chansons et ensuite Olivier les habille avec ses samples mais il arrivait qu'un morceau débute par les samples à l'époque de nos deux premiers albums. "Furia" est parti d'un sample par exemple. C'est une autre façon de faire qui donne des résultats différents. Après il y a une notion un peu politique derrière ça car si tu as quelqu'un qui est là et que certains morceaux sont créés à partir de ses samples, il compose clairement pour le groupe et en fait partie du coup (ndlr : c'était le cas sur les deux premiers albums de Mass Hysteria où le sampler Pascal Jeannet était un membre officiel du groupe). Mais lorsque tu fais appel à quelqu'un de l'extérieur après avoir composé d'abord la musique c'est différent même si pour "We Came To Hold Up Your Mind" ça s'est passé comme à nos débuts en partant d'abord des samples.  

Pour des guitaristes pas forcément intéressés par les solos, vous vous y mettez quand même petit à petit. Vous faisiez tour à tour un solo dans l'album précédant sur "Vector Equilibrium" et vous avez remis le couvert cette fois sur "Nerf De Boeuf" et "Ma Niaque". Comptez-vous continuer à développer cet ingrédient à l'avenir ?   

Yann Heurtaux : On l'a surtout fait sur ces morceaux car ils s'y prêtent. Après je ne suis vraiment pas très technique personnellement et Fred est bien meilleur que moi pour ce genre de choses. Mais c'est amusant de s'essayer à cet exercice en tout cas ! 

Frédéric Duquesne : Ces solos sont juste des histoires de studio en fait. C'est du genre : "il y a un trou là, si on essayait de jouer un petit solo sur ce passage? Allez on y va!". Ca arrive comme ça. Puis t'écoutes la démo et tu te dis que ça sonne plutôt bien alors tu décides de le garder sur l'enregistrement final. Ca ne va pas plus loin que ça. Après ce n'est pas que nous n'aimons pas les solos, mais nous considérons que ce n'est pas forcément nécessaire dans le contexte de Mass Hysteria et là j'ai l'impression que nous sommes déjà allés assez loin pour notre style de musique. 

Maintenant que Fred est bien installé dans le groupe et avec l'arrivée de Jamie qui est à la base guitariste, est-ce que le processus de composition a changé pour "Maniac" ?  

Frédéric Duquesne : Non, c'est toujours Yann qui compose.  

Yann Heurtaux : J'ai apporté l'ensemble des idées mais il y a également des idées de Jamie qui ont été retenues. Après on apporte chacun quelque chose de différent et d'essentiel à Mass Hysteria. Fred fait son boulot de producteur à merveille par exemple et c'est un apport énorme pour le groupe. Après il est clair que je compose pour Mass Hysteria depuis 25 ans et j'ai beaucoup de mal à déléguer. C'est peut être une erreur de ma part mais si je suis honnête avec moi-même, je dois bien avouer que j'ai du mal à laisser quelqu'un d'autre composer pour Mass Hysteria. Jamie a amené quelques idées qui m'ont plu et que nous avons utilisées, mais si tu questionnes des anciens musiciens du groupe, certains nous ont apporté tout un tas de très bonnes idées qui n'ont jamais été prises et cela a parfois engendré de la frustration. C'est peut être un défaut de ma part et je suis loin d'avoir la science infuse en musique, vraiment loin même, mais j'ai vraiment le sentiment de savoir exactement ce qu'il faut pour Mass et ce que le public attend de nous. Jusqu'à présent je ne me suis pas trop trompé et du coup je durcis encore un peu plus à chaque album cette tendance à verrouiller la composition. Je suis très dur avec moi-même, pour chaque album je dispose de centaines de riffs et je finis par en sélectionner seulement une dizaine car je veux m'assurer qu'il n'y ait que des riffs top !      

Jamie Ryan : J'ai intégré le groupe en sachant pertinemment que Yann était difficile à convaincre pour l'écriture. Je me suis donc posé avec ma guitare et j'ai essayé de me mettre dans sa peau en me demandant : "mais qu'est-ce que ferait Yann ?". Il y a plein de riffs que Yann a refusés mais il y a des fois, pendant que l'on faisait les démos et qu'il y avait un blanc sur un morceau ou un petit manque d'inspiration, où je prenais la guitare et je disais : "et si on essayait ça ?". Plein de fois ce n'est pas passé, mais il y a quelques parties qui ont été conservées !  

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Yann Heurtaux : Lorsque tu prends un groupe comme Slayer, les meilleures compositions sont clairement celles de Jeff Hanneman. Sur le dernier album "Repentless" (2015) qu'ils ont fait après son décès, la musique du groupe n'est pas du même niveau et  le morceau que je considère comme le tube de l'album ("Piano Wire") est justement le seul qui a été écrit par Jeff ! Tous les tubes de Slayer sont l'œuvre d'Hanneman. Je parle de Slayer pour prendre un exemple, mais c'est pour montrer que lorsqu'un groupe trouve une formule qui fonctionne, cela ne sert à rien d'en changer. Puis les seules fois où j'ai vraiment délégué, c'est au moment où Olivier était dans le groupe. Je ne vais pas m'étaler à nouveau sur cette période de Mass Hysteria, mais j'avais pas mal de soucis à l'époque de l'album noir (ndlr : "Mass Hysteria" sorti en 2005), j'étais en pleine séparation, et bien que j'aies quand même un peu écrit, Olivier a pris le bébé en main et nous avons failli perdre Mass Hysteria à ce moment-là. J'aime beaucoup les chansons de l'album noir, même si je n'aime pas sa prod, mais ça aurait presque dû être un projet parallèle à Mass Hysteria. Ce n'était plus vraiment nous en fait, cela aurait dû être un projet rock à côté. J'avais d'ailleurs songé à faire appel à Fred pour le produire, mais à l'époque nous étions toujours dans l'envie de travailler avec les producteurs américains et nous sommes tombés sur ce mec qui nous a embrouillés (ndlr : pour ceux qui l'ignorent, Mass Hysteria pensait avoir affaire au producteur américain Matt Hyde mais s'était en fait retrouvé avec un homonyme, quant à lui producteur anglais). 

Frédéric Duquesne : Cet album est décrié mais de l'extérieur je pense qu'il a été très important dans l'histoire du groupe car il lui a donné du relief et lui a permis de rebondir derrière avec "Une Somme De Détails". C'est important quelque part d'avoir des albums que tu n'aimes pas et pour le coup, moi vu de loin étant donné que je n'étais pas dans le décor à l'époque, je le trouve plutôt cool cet album. Il a simplement un univers différent de d'habitude. 

Yann Heurtaux : Certains de nos fans se mettent d'ailleurs à l'apprécier en vieillissant. 

Frédéric Duquesne : C'est normal, c'est un album qui ressortira d'une manière ou d'une autre. Personnellement j'aime la tristesse et la profondeur qui s'en dégage.  

Yann Heurtaux : Nous traversions une mauvaise passe à l'époque et cela s'est ressenti dans la musique. 

Frédéric Duquesne : C'est ça qui est cool justement, le fait de le ressentir à l'écoute de l'album. 

Comment s'est passé l'intégration récente de Jamie à la basse, secteur où il y a eu pas mal de changements ces dernières années?  

Yann Heurtaux : Il est clair que nous ne nous attendions pas au départ de Vince (Mercier) et que cela nous a mis un coup à l'époque. Concernant Thomas (Zanghellini), il était en revanche prévu qu'il ne reste pas avec nous et qu'il fasse seulement la tournée, même si nous n'avions pas communiqué là-dessus, mais après son départ nous nous sommes quand même bien pris la tête pour savoir qui allait le remplacer. Nous avons besoin que cela fonctionne humainement déjà. Au niveau du jeu ça doit suivre aussi bien sûr, mais nous n'avions pas envie de faire d'audition. Ca nous gonfle ce genre de choses. L'arrivée de Jamie s'est faite par copinage. C'est un pote à moi qui m'a suggéré de lui proposer le poste. Je l'avais vu en concert dans Admiral's Arms et j'étais venu le féliciter à la fin car il m'avait impressionné et je m'aperçois, maintenant que nous avons eu des vrais bassistes dans le groupe comme Vince et Thomas, qu'en réalité c'est peut-être davantage un guitariste qu'il nous fallait car je trouve que Mass Hysteria sonne mieux avec un guitariste qui joue de la basse.  

Jamie Ryan : Pour notre style de musique, tu n'as pas vraiment besoin de savoir groover avec ta basse.    

Frédéric Duquesne : Pour ma part j'aime bien, même dans notre style, quand il y a un bassiste qui joue avec ses doigts, qui passe en dessous dans le mix, plus détaché des guitares un peu comme dans Deftones par exemple. Là nous prenons une autre démarche où la basse rentre dans les guitares, mais ça marche aussi très bien ! 

Yann Heurtaux : Il y a un truc que j'adorais à la base avec la basse dans Mass et que je n'ai plus jamais retrouvé par la suite. C'était avec notre premier bassiste (Stephan Jacquet), qui a formé Mass. Il avait une très bonne main droite mais sa main gauche ne suivait pas aussi bien. Du coup tout ce qui était réglé pour lui, que ce soit en répèt ou en façade de nos concerts par notre sondier, était vachement dans les graves. Nous faisions ça pour masquer certaines difficultés de son jeu mais je me rends compte après avoir eu plusieurs bassistes au jeu très précis que nous n'avons plus jamais eu ce rendu aussi énorme dans les graves. Je me souviens lorsque l'on jouait "Mass Protect", qui est pourtant accordé en Mi (E), lorsque la basse rentrait dans le morceau après le premier riff de guitare, c'était super "fat" ! 

Frédéric Duquesne : C'est intéressant car c'était au départ un réglage que vous faisiez pour camoufler quelque chose mais cela vous apportait finalement une sorte de subwoofer qui contribuait à votre rendu sonore. 

Yann Heurtaux : Parfois je me demande si ce n'est pas une sensation que j'avais simplement à l'époque et que je n'éprouve plus, mais ce qui est sûr c'est que je n'arrive plus à ressentir ce son de basse ultra "fat"  depuis que nous avons eu tous ces très bons bassistes. Ceci étant dit, je trouve que nous avons actuellement une formation idéale. Je suis vraiment satisfait, ça joue super bien et j'espère que notre line-up restera tel quel le plus longtemps possible ! 

Jamie Ryan : D'autant que pour ma part, je compte bien poursuivre l'aventure sur le long terme ! 

En plus du repiquage de vos baffles sur scène, vous utilisez également des Torpedo Live de Two Notes depuis quelques années afin que votre sondier dispose de plusieurs options pour le son en façade et pour les retours. Fred, je sais que tu n'étais pas forcément un adepte des simulations de baffle au départ. Est-ce que cela a changé aujourd'hui et te sers-tu de ce genre de produits pour enregistrer en studio ?  

Frédéric Duquesne : Non je ne suis toujours pas très fan même s'il y a ce petit secret dont je ne parlerai pas (rires). Je travaille toujours à l'ancienne en captant au micro le son qui sort du haut-parleur. C'est peut être un effet placebo, mais si je sais que si je travaille avec du "réel", d'emblée je me sens mieux contrairement à une simulation. Si je travaille avec du "faux", je vais sans cesse remettre en doute tout ce que je fais et je ne dis pas ça juste par principe, j'ai fait l'expérience de comparer les deux procédés et j'ai toujours préféré lorsque j'utilise un vrai baffle.  

Yann Heurtaux : J'écoute pas mal de groupes récents comme Emmure par exemple et je leur reproche tous d'un peu sonner de la même manière entre autre car ils fonctionnent surtout avec des modélisations. Ils ont tous le même son au final et cela vient probablement de là.    

Frédéric Duquesne : Pour moi, même si tu te plantes sur la guitare, l'ampli, le baffle que tu utilises, c'est toujours préférable de fonctionner ainsi car c'est un peu comme si tu faisais de la cuisine. Les défauts vont se transformer en qualité car tu obtiendras quand même une texture. Si tu utilises un Axe FX et une programmation de batterie d'EZ Drummer comme tout le monde fait en ce moment, tu auras tout  simplement le même son que tout le monde. Ce qu'il faut pour un groupe, c'est d'avoir une patte, un style bien à lui, une personnalité qui lui est propre, quelque chose de réel et tout cela s'obtiendra d'autant plus facilement si tu fais l'effort de bosser avec du vrai matériel au lieu d'enregistrer un truc vite fait avec ton ordinateur portable dans ton salon.  

Jamie Ryan : Il y a Will Putney, le guitariste de Fit For An Autopsy qui est également producteur, qui a déclaré récemment qu'il en avait marre de bosser avec des groupes qui utilisent des Axe FX et qu'il veut les faire bosser avec des vrais amplis maintenant. Il y a de plus en plus de groupes qui commencent à se remettre à bosser avec de vrais amplis et de vrais baffles car ils réalisent que ça leur donne un son plus personnel.  

Si vous êtes des habitués des festivals et des grandes salles, vous allez donner le plus gros concert de votre histoire en tête d'affiche le 6 décembre 2019 au Zénith de Paris. Pouvez-vous nous en toucher un mot ?   

Yann Heurtaux : C'est ambitieux, on en avait très envie et nous verrons bien ce que cela va donner mais c'est le bon moment de s'essayer à quelque chose comme ça. Il s'agira d'une très belle soirée, ce sera le dernier concert de la tournée de "Maniac", on va essayer de motiver les gens à venir faire la fête une dernière fois avec nous autour de cet album ! On va faire quelque chose de cool mais que l'on fera également sur les autres grosses dates de la tournée. Nous ne voulions pas particulièrement privilégier Paris par rapport à la province. Nous avons débuté par une tournée des clubs, nous poursuivons avec des plus grandes salles en province puis avec ce final au Zénith et nous tenions à proposer un show plus élaboré pour ces grandes occasions.   

2019 marque également les 20 ans de la sortie de votre classique "Contraddiction" (1999). Allez-vous le célébrer en la jouant en entier sur scène ? 

Yann Heurtaux : Je suis tellement fan de nos derniers albums que je ne suis pas sûr que cela me tente. En toute franchise, je prends un tel pied à jouer nos morceaux en La (A) ou en Si (B), que ça me fait presque bizarre lorsque nous jouons derrière nos titres plus anciens en Mi (E) et en Ré (D) même si je les aime toujours. Cela ferait sûrement plaisir aux fans, "Contraddiction" est un album qui a marqué notre carrière, mais je trouve aussi que nous avons fait mieux depuis et je sais que "Matière Noire" a tout autant marqué une autre génération de fans. Je le vois à certains de nos concerts comme à Mont de Marsant par exemple où le public était très jeune. Il y a beaucoup de gamins à nos concerts aujourd'hui et c'est très important pour moi car je ne serais pas étonné que certains connaissent à peine "Contraddiction" et que notre album qui compte le plus pour eux soit "Matière noire". Je prends tout cela en considération. 

Jamie Ryan : J'ai d'ailleurs moi-même senti un gros rajeunissement du public entre la fin de la tournée de "Matière Noire" et le début de celle de "Maniac".  

Il y a également la mainstage 2 du Hellfest le 21 juin 2019 qui proposera un plateau 100% groupe français avec Mass Hysteria et Gojira en haut de l'affiche sur cette scène. J'imagine que cette date est également un peu spéciale n'est-ce pas ?    

Jamie Ryan : Ca va être une grosse fête ça aussi ! Le public français sera content car il soutient la scène française et les groupes qui la composent. Quant au public étranger présent en masse au Hellfest et qui ne connait que Gojira, cela lui fera l'occasion de découvrir les autres groupes de notre scène ! 

Pour finir, qu'utilisez-vous niveau guitare en ce moment ? 

Yann Heurtaux : Je suis désormais chez ESP. J'ai une E-II Viper Baritone pour les titres en La (A). J'ai une LTD Sparrow Hawk signature Bill Kelliher, une Eclipse LTD EC-401B, une E-II EC pour le Si (B) et toujours certaines de mes anciennes guitares (ndlr : Ibanez et Gibson).  

Frédéric Duquesne : Moi c'est l'inverse en fait car ça s'est un peu mal passé avec ESP de mon côté et j'ai donc fait reprendre du service à mes bonnes vieilles Gibson. Il faut savoir que même si j'étais endorsé, je payais malgré tout une bonne partie de chacune de mes guitares avec ESP, mais je n'étais pas vraiment satisfait par la qualité globale. A force de payer et de ne pas être satisfait, je me suis dit qu'il valait mieux reprendre mes anciennes guitares et je suis ravi de rejouer sur mes Gibson en ce moment. ESP et LTD font des bonnes guitares mais lorsque je compare avec mes Gibson, ça ne fait pas le poids. Avec mes Gibson, j'ai l'impression d'avoir entre les mains des instruments avec plus d'âme, comme si le bois avait plus de vie. Etant donné que je considère toujours chaque tournée comme potentiellement la dernière, j'ai décidé de me faire plaisir cette fois et de prendre avec moi plusieurs Les Paul. Je vais même peut être ramener une Jazzmaster montée avec un micro double. Dans cette configuration de micro, ça torche sévère ! Le diapason est plus long, c'est un corps en aulne, ça claque plus ! C'est pour ça qu'en ce moment je préfère ne plus me positionner avec une marque de guitare, car si c'est pour quand même payer et être déçu du résultat, cela n'en vaut pas la peine. Je dis simplement ma vérité, quand on me livre par exemple une ESP Custom Shop et que je trouve qu'elle ne sonne pas si bien que ça au final, je préfère me faire plaisir avec mes Gibson qui sonnent mieux ! Après c'est difficile lorsque tu utilises huit guitares sur scène de n'avoir que des Gibson (rires). Mais j'en avais encore quelques-unes et elles ont donc repris du service ! 

Jamie Ryan : Pour ma part j'utilise deux basses LTD signature Frank Bello. J'ai une E-II GB-4 pour le La (A) et le Si (B) et j'utilise en spare une vieille Squier qui fut ma première basse, qui est bien cabossée et qui je l'espère ne servira jamais sur la tournée (rires). Pour les titres les plus graves, mon spare est une Music Man 5 cordes que j'avais achetée pour l'enregistrement de "Maniac". Niveau tête d'ampli j'utilise un Fender Bassman 300, un modèle tout lampes qui pèse une tonne (rires). Il est beaucoup trop lourd mais ça marche très bien ! J'ai le préampli Darkglass Analog B7K, très utilisé par les bassistes dans le metal en ce moment et je l'ai d'ailleurs pris car le bassiste de Periphery l'utilise et je trouve qu'il a un bon son. Enfin, j'utilise le bass compressor MXR M87 histoire de lisser le tout et d'avoir moins à me soucier de la propreté de mon jeu. Le niveau de sortie reste toujours le même comme ça je suis tranquille (rires) !

   

      

Interview de Yann Heurtaux, Frédéric Duquesne et Jamie Ryan (Mass Hysteria)