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Jordu le 17 Août 2006, 11:23
Bonjour,
Voici un article paru dans "Le Monde" récemment. Bonne lecture
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Septembre 1991 : Le Monde publie un compte rendu de la prestation quotidienne d'un duo manouche dans une brasserie montmartroise. Petit tollé, musique ringarde, air connu. Août 2006 : le jazz manouche est partout. Persistance, mode ou revivalisme poussif ? "Il n'y a pas de jazz manouche. Les gens, principalement ceux qui ne sont pas manouches, ont encore peur de jouer cette musique. Ils ont tort. Elle est ouverte." Biréli Lagrène, guitariste le plus brillant de la tradition léguée par Django Reinhardt, sait de quoi il parle. Manouche ? Tout membre issu des communautés tziganes du nord de l'Europe et du bassin Parisien. Les Gitans sont au sud.
Il n'y a pas de musique manouche, mais elle est partout : dans la chanson (pas seulement Sanseverino), les festivals de jazz - à Deauville (Le Monde du 25 juillet), à Marciac le 12 août -, ceux d'instruments (contrebasses à Capbreton, le 20 août) ou aux Rendez-vous de l'Erdre, à Nantes, avec le quartet de Thomas Dutronc (fils de...), qui a commencé avec Biréli.
Soit un bourg de montagne, Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques) : rues en pente, béret de nuages, petites industries, tradition paysanne ouvrière... Le soir, un parfum de chocolat flotte sur les toits d'ardoise. Oloron a son festival de jazz, début juillet. Mais ce soir du 15 août, elle invite à l'espace Laulhère La Fabrique à swing : une chanteuse d'origine andalouse (Angel), deux guitaristes et un contrebassiste, un répertoire de standards gitans ou de chansons françaises, pas mal de décontraction passionnée, voilà. Oloron ne se trompe pas. Pas seulement parce que, dans la région, les communautés que police et administration nomment "gens du voyage" sont importantes. Mais parce que la forme correspond à une sorte d'humble sincérité.
La résurgence d'inspiration manouche continue d'agacer. Revivalisme de pacotille ? Après 1945, l'Europe fut saisie d'un prurit de revivalisme néo-orléanais aimablement comique (le "niou Orleans"). L'embrouille dure encore. Ce mélange de dixieland et de fox-trot sympa (qu'est-ce qu'une musique sympathique ?), qui a pu passer aux yeux - et, ce qui est plus grave, aux oreilles - de pas mal de bonnes âmes pour du "jazz", a fait son temps. Il était fondé sur une fiction et se justifiait d'un mythe : personne n'a jamais joué comme ça, Dieu merci, à La Nouvelle-Orléans.
AFFAIRES D'ORIGINE
On pourrait dire qu'il en va de même avec le jazz manouche si, à l'origine, il n'y avait le prince des grands secrets, l'injoignable fondateur, un musicien qui compte autant que les grandes figures afro-américaines : Django Reinhardt, iconoclaste de lui-même à la fin de sa brève vie (au début des guitares électriques). Django, donc, plus un rythme à part, plus un battement, plus un esprit (eh oui), plus des inflexions, plus le désir de rejoindre quelque chose, mais quoi ? Etre ou ne pas être manouche n'a, dans ces conditions, qu'une connotation raciale. La flambée manouche n'a rien d'un retour.
Les musiciens, manouches ou pas, n'ont jamais cessé de la pratiquer. Ce qui a changé ? Comme d'habitude : l'attention que leur portent les chanteurs de variétés et, par leur truchement, les médias. Cette attention se détournera, cela ne les empêchera pas de jouer. On sent que ces affaires d'origine, d'existence, de disparition et réapparition ont à voir avec l'essentiel.