Virtuose de l’aller-retour, Patrick Rondat sort un nouvel album de metal instrumental : Ephemeral World. Le guitariste français, qui s’est déjà illustré avec quatre albums solo et une collaboration remarquée avec Jean-Michel Jarre, a rendu son hommage aux classiques. En cadeau, l’interprétation très électrique d’une pièce pour violon de Bach.

Guitariste : L’album commence par une musique de fête foraine et installe un climat assez ironique. Quelle est l’histoire ?

Patrick Rondat : L’ouverture fait allusion à l’histoire de Pinocchio. Elle invite à venir s’amuser dans un parc d’attraction (Donkey’s Island, l’île des ânes ndr), où la distraction éloigne les gens de leurs véritables buts, de ce qu’ils sont vraiment. Le second morceau démarre ensuite sur un riff rapide pour marquer une rupture, un éveil. L’idée générale liée au titre (Un monde éphémère) correspond à une certaine vision du monde, d’une société qui cultive le facile et l’éphémère. Qu’il s’agisse de l’art, de la consommation, on veut nous faire croire que toute chose doit être immédiate ou facile à comprendre.

Guitariste : Et qu’est-ce qui t’agace ?

Patrick Rondat : Chacun voit tout de suite à qui je pense, la culture TV à la Star Academy sur TF1 ou M6. Je ne suis pas contre ces émissions, même si je les trouve bêtes. Je suis contre le fait qu’il n’y ait que cela, que rien d’autre ne soit visible. Un môme de huit ans a peu de chances aujourd’hui de découvrir le blues, le rock, le reggae, la danse ou différentes formes d’art à travers la télévision. Les créateurs de demain sont les enfants d’aujourd’hui, or on ne les aide pas à se faire une oreille musicale. On ne donne pas le choix aux gens de connaître d’autres choses. Je suis persuadé que si Yngwie Malmsteen passait à la télévision avec un orchestre derrière, une partie des gens serait impressionnée et apprécierait. Or tout est lissé. Et puis aujourd’hui, le gros succès est la seule forme de légitimité artistique.

Guitariste : Comment ça ?

Patrick Rondat : Les médias ont du mal à concevoir qu’on puisse se contenter de vouloir vendre des disques pour vivre de sa musique sans courir après le succès. Certains journalistes pensent qu’un musicien est quelqu’un qui vend trois millions d’albums pendant deux ans puis redevient garagiste ou autre chose.

Guitariste : Il est clair que la diversité est limitée chez les médias de masse…

Patrick Rondat : Les programmateurs décident trop souvent à la place du public ce qui est bon pour lui. Ils nous balancent une musique façon McDo, pas vraiment indigeste, que tout le monde peut écouter, mais qui n’a aucune saveur. Récemment, j’ai rencontré un public qui ne me connaissait pas, lors d’un concert organisé par l’Office culturel de Talence près de Bordeaux (France). Je jouais à la guitare électrique avec un pianiste. Des dames de 70 ans se retrouvaient face à un ampli et une guitare alors qu’elles étaient attirées au départ par le concertiste au piano. Au final, tout le monde a apprécié ce mélange. Certains ne pensaient pas qu’on pouvait jouer de la guitare comme cela. C’est une expérience que je pense renouveler.

Guitariste : Comment s’est passée l’écriture d’Ephemeral World ?

Patrick Rondat : Elle a été assez longue. J’écris tout : les parties de guitare, basse, clavier, batterie. Je n’ai pas mis de technique pour la technique, mais l’album a demandé un gros travail personnel qui m'ont obligé à repousser mes limites.

Guitariste : Sur quel type de home-studio composes-tu ?

Patrick Rondat : J’utilise le séquenceur Pro Tools en version light qui tourne sur un PowerMac G4. J’ai un séquenceur Yamaha QY70 que je balade souvent avec moi en vacances. Certaines pistes ont été calées à partir d’une guitare midi. Je rentre tout dans l’ordinateur pour changer les sons. J’ai proposé à Patrice Guers (basse) et Dirk Bruinenberg (batterie) les playbacks pour les faire travailler les morceaux avant de passer à l’enregistrement en studio. J’ai ensuite ajouté les guitares chez moi avec Pro Tools.

Guitariste : Sur le forum, il y a eu un gros débat sur ta technique d’aller-retour. Tu le pratiques d’une façon stricte ?

Patrick Rondat : D’abord, la technique ne consiste pas à aller le plus vite possible d’un point A à un point B, à savoir si le sweeping est plus rapide que l’aller-retour, mais de faire vivre les notes que tu joues. Je ne suis pas un intégriste de l’aller-retour. C’est juste la technique que je pratique le plus car elle correspond à un son précis, qui me plaît. Je le pratique d’une façon stricte, en gardant le mouvement même lors du passage à une autre corde. Lorsqu’Yngwie Malmsteen passe d’une corde à une autre, il commence par un coup de médiator vers le bas, ce qui correspond à du sweeping. Je trouve qu’en aller-retour, le placement, le phrasé et la sonorité sont différents, avec un coté staccato. A chacun de choisir la technique correspondant au son qu’il recherche.

ndr : le lien du forum
http://www.guitariste.com/forums/techniques,aller-retourtoujours,14264,0,asc,0.html

Guitariste : Le médiator a son importance ?

Patrick Rondat : J’ai longtemps utilisé des Dunlop Tortex que je taillais en pointe puis que je lissais. Maintenant, j’utilise des signature Ibanez. Il y a trois points importants qui peuvent changer l’attaque du guitariste : la forme, la pointe et le profil de la tranche du médiator. Plus la tranche du médiator est ronde, plus le franchissement de la corde est doux. Les notes sont alors moins détachées. J’utilise des médiators légèrement arrondis sur la tranche, avec une épaisseur est de 1,2 mm. En général, j’attaque les cordes légèrement incliné plutôt que parallèle, comme le fait Al DiMeola en guitare acoustique par exemple.

Guitariste : Et côté son, quel matériel as-tu utilisé ?

Patrick Rondat : La grande majorité des morceaux ont été enregistrés avec mes Ibanez 3120. Un titre utilise une sept cordes Ibanez RG7 620. Certaines ont subi quelques petits ajustements. J’ai fait personnalisé les modèles en abaissant le potentiomètre de volume qui était trop près des cordes à mon goût. Sur deux guitares, j’ai fait mettre un micro piézo supplémentaire. J’ai aussi changé l’un des micros DiMarzio pour un Humbucker from Hell de la même marque.

Guitariste : Pour les amplis ?

Patrick Rondat : J’ai utilisé un Classic 50, et j’ai utilisé des têtes UltraPlus et XXX. Un ingénieur de la marque a modifié à ma demande la tête XXX pour gommer un peu les aigus et obtenir un son plus rond. Peavey va d’ailleurs proposer cette modification au public à travers son réseau.

Guitariste : L’album termine sur la Partita n°1 pour violon solo de Bach. Ce morceau t’a donné du fil à retordre ?

Patrick Rondat : C’est une œuvre difficile pour violon solo qui m’obligé à dépasser la technique que je possédais déjà. Le titre module tout le temps, aucun passage ne se répète…C’est un morceau
que je joue en aller-retour strict. L’écriture est très complexe, mais ça sonne ! Bach ou Mozart, c’est quand même autre chose que le néoclassique. Alors que le néoclassique se contente de saupoudrer quelques arpèges de mineur harmonique et moduler une fois ou deux, le classique module en permanence, alterne des passages très variés. Cela demande beaucoup plus d’effort. J’ai dû beaucoup travailler cette pièce, au point d’attraper une tendinite pour la première fois de ma vie. J’avoue avoir un peu forcé comme un idiot. Un conseil : si vous commencez à sentir des fourmillements dans la main, faites une pause !

Guitariste : Des concerts prévus ?

Patrick Rondat : Je vais faire prochainement des démos en show-case dans une quinzaine de magasins Fnac en France. D’autres choses sont prévues en fin d’année.

Guitariste : Et concernant tes master-class ?

Patrick Rondat : Je vais au MAI à Nancy tous les mois. Je suis présent aussi dans les écoles Ibanez. Plusieurs dates sont prévues (voir le site officiel Rondat.com, ndr).

Guitariste : Quels conseils donnerais-tu à un musicien qui veut devenir pro ?

Patrick Rondat : Les gens ne travaillent pas assez leur son. Il ne faut pas être obsédé par la technique. En atelier, je vois souvent des guitaristes jouer correctement des passages très techniques sans pour autant donner de l’expressivité à un passage lent de trois notes. Les tirés de cordes, le son dans les doigts font partie des points à travailler. La technique n’est pas qu’une affaire de vitesse. Il faut aussi développer un toucher personnel. Van Halen, Malmsteen et d’autres se sont distingués parce qu’ils avaient un style, une identité à eux.

Pour en savoir plus

Le site officiel :
http://www.rondat.com

L’album Ephemeral World :

1 Welcome
2 Donkey's Island
3 Ephemeral World
4 Born to Buy
5 Tethys
6 Twighlight
7 Avalonia
8 Ispahan
9 Circle
10 614 HSO
11 Partita N°1 Pour Violon Solo (Js Bach)

L'avis de Guitariste.com :

Même si l'album démarre par une intro à trois temps façon bal-musette et accordéon, c'est bien d'un album de heavy-metal instrumental qu'il s'agit. Le riff pêchu qui lance le deuxième morceau Donkey's Island rassurera d'ailleurs les amateurs de shred pur et dur.

Le tout figure un bon album de guitare metal, fidèle au style Rondat, ou l'instrument cède parfois la place au piano ou aux nappes de synthé pour inviter au voyage. Les riffs lourds et agressifs succèdent avec bonheur aux envolées d'inspiration plus classique (Avalonia). Jouée seul face à l'ampli, avec le son typé de l'aller-retour en disto, la Partita pour violon de Bach qui conclut l'album pourra diviser les puristes. Il représentera en tout cas un nouveau défi technique pour les adeptes du guitar-hero français !

 

Patrick Rondat, le virtuose de l'aller-retour