3 ans après un "I Can Destroy" résolument fun et pop dans l'esprit, le shreddeur mythique Paul Gilbert nous revient avec un nouvel album solo intitulé "Behold Electric Guitar" (sortie le 17 mai). Un opus instrumental inspiré dans lequel Paul continue de faire évoluer son jeu de guitare avec une approche plus mélodique et jazzy. Maître Gilbert effectuait une masterclass (accompagné de la section rythmique de Mörglbl) le 6 avril dernier au Forum de Vauréal, nous en avions profité pour parler avec lui de ce nouvel album.


Ton nouvel album "Behold Electric Guitar" sonne de manière organique et spontanée. De l'extérieur, on peut avoir l'impression qu'il a été enregistré dans des conditions live. Qu'en a-t-il été ?

Paul Gilbert : Nous l'avons effectivement enregistré en conditions live avec tous les musiciens dans la même pièce au même moment. Il y a vraiment trop d'overdubs dans les albums de nos jours et cela est dû à la facilité avec laquelle nous pouvons ajouter couche après couche afin d'obtenir une production très dense grâce aux technologies actuelles. Il fallait vraiment beaucoup d'argent pour obtenir ce genre de résultat dans les années 80 ! Il fallait louer un studio équipé de machines à bandes analogiques 2 pouces alors qu'aujourd'hui tu peux le faire dans ta chambre, ce qui change beaucoup de choses évidemment. J'ai grandi avec des albums au son plus naturel. La plupart des guitaristes cool des années 70 enregistraient de manière assez brute. Le premier album de Van Halen a été enregistré live avec seulement le chant en overdub. C'est un de mes albums favoris et assurément un de mes guitaristes favoris. C'est pareil pour Jimi Hendrix ou pour le blues et le jazz, deux styles qui m'intéressent de plus en plus d'ailleurs. Plus tu remontes dans l'histoire de l'enregistrement, plus le processus est live et c'est tellement plus facile de fonctionner ainsi car tu sais d'emblée si le résultat sera bon ! Lorsque tu n'arrêtes pas de faire des overdubs, tu ne sais jamais ce que cela donnera réellement au final tant que tu n'arrives pas à la fin d'un long processus qui peut durer une éternité. Lorsque tu enregistres live, tu peux te poser tout de suite la question suivante : "est-ce que cela sonne bien ?". Si tu réponds "oui", c'est bon, tu peux le garder ! Si c'est "non", tu le rejoues jusqu'à ce que ça sonne bien.  


L'écriture de l'album était-elle achevée avant d'entrer en studio ou y a-t-il eu au contraire beaucoup d'improvisation ? 

Beaucoup de chansons de cet album sont construites autour d'une mélodie écrite puis il y a ensuite une partie centrale où nous improvisons lors d'une jam. C'est un peu une combinaison des deux en fait. D'un côte des mélodies écrites, de l'autre de l'improvisation et je trouve que c'est un juste milieu. Quand tout est écrit, je trouve le rendu un peu trop rigide et à l'inverse lorsque tout n'est que jam improvisée, cela manque de focus. 

Tu ne chantes pas sur cet album, exception faite de la narration sur "A Herd Of Turtles", contrairement à beaucoup de tes albums solos précédents. Te sens-tu libéré d'un certain poids lorsque tu te concentres seulement sur la guitare ? 

Le plus gros défi entre la guitare et le chant est que chacun a sa propre voix. Evidemment tu peux prendre des cours et améliorer ta technique de chanteur, mais au bout du compte, tu finiras toujours par sonner comme tu peux sonner. Je pourrai prendre autant de cours de chant que possible, je ne sonnerai jamais comme Ronnie James Dio, Paul McCartney ou n'importe quel autre de mes héros au chant. Je sonnerai toujours comme moi-même. Lorsque tu chantes, tu essaies donc de faire une mélodie en atteignant certaines notes et mon problème est que beaucoup de notes que j'adore se situent hors de ma tessiture vocale. Je ne peux pas réellement faire tel que je le souhaiterais la base du job qui consiste à atteindre les notes que tu veux. A l'inverse, lorsque je joue une mélodie à la guitare, je peux atteindre absolument toutes les notes que je souhaite. Elles sont toutes à disposition sur le manche. Actuellement, le défi pour moi à la guitare est de jouer à la manière d'une mélodie vocale. C'est très différent par rapport au fait de jouer sur une gamme. Il ya plus d'éléments d'expression lorsque tu abordes la mélodie de guitare comme une mélodie de chant. L'autre différence est que lorsque une mélodie vocale me vient, si je la chante cinq fois de suite, il y a déjà des chances que ma voix soit flinguée pour la journée alors qu'à la guitare, je peux bien évidemment bosser sur cette idée autant que je le souhaite ! Plus tu répètes une mélodie, plus tu trouves de profondeur et d'émotion dans la façon de l'exécuter et c'est formidable ! Cela ne se produit pas lorsque tu descends tes gammes sur un rythme effréné comme j'aime également le faire. Ce sont deux exercices différents et j'ai mis du temps à jouer de réelles mélodies avec ma guitare car j'ai considéré pendant longtemps que c'était tout simplement le job du chanteur et pas celui du guitariste. C'est une idée simple pourtant n'est-ce pas ? Il m'a fallu du temps pour l'accepter en tout cas.          

On sent qu'il y a eu une attention toute particulière sur chaque note de "Behold Electric Guitar" et ton touché est fantastique sur cet album. Ton vibrato est dément et donne l'impression que tu utilises en permanence un chevalet à bras de vibrato alors que tu joues avec un chevalet fixe. 

C'est aussi parce que je joue sur des cordes vraiment très souples ! Je joue sur du 8-38 actuellement avec une action réglée assez haute. Je fais également beaucoup de slide sur cet album. Bien sur il y a plusieurs moyens d'arriver à ce résultat et certains arrivent très bien à avoir un super vibrato en jouant avec un bras de vibrato mais le problème pour moi avec cet outil est que cela te prend un minimum de temps pour le saisir en main. Certains le font très vite certes, mais toujours est-il que je trouve le fait d'effectuer ses vibrato avec ses doigts sur le manche beaucoup plus immédiat et spontané.    

En parlant de ce genre de choses, lorsque je pense à Paul Gilbert, le premier mot qui me vient à l'esprit est : enthousiasme. Tu donnes vraiment l'impression que le simple fait d'effectuer un bend est la chose la plus jouissive au monde !

Merci beaucoup, c'est un très joli compliment ! Cela vient du fait d'avoir grandi avec les guitaristes des années 70. Si tu es un top model, il faut que tu sois fière de ton visage ou de ton corps. Si tu es un guitariste des années 70, il faut que tu sois fier de ton vibrato ! C'est ça qui fait qu'un guitariste est cool ! Si tu écoutes les guitaristes de cette époque comme Brian May, Mick Ronson, Robin Trower et même Eddie Van Halen, bien que la plupart des gens s'attardent surtout sur sa technique de tapping, ils ont tous un très bon vibrato ! Yngwie Malmsteen aussi a un super vibrato tout comme Ritchie Blackmore et Jimi Hendrix bien évidemment. Même si tu prends des guitaristes un peu plus basiques comme Ace Frehley de Kiss par exemple, son vibrato est lui aussi excellent ! Cela s'est un peu perdu lorsque le heavy metal a commencé à se focaliser sur les rythmiques en palm mute. La lourdeur et la puissance ont alors pris le pas sur le vibrato et l'élément blues a commencé à disparaitre progressivement et avec lui l'attention portée au vibrato. Il n'y a rien de mal à cela bien sûr, chaque style musical se doit d'évoluer et de s'essayer à de nouvelles choses mais il est clair que ce que je préfère par dessus tout, sont les choses venant de cette décennie où l'art du vibrato était sacré ! Tous ces guitaristes de l'époque avaient beaucoup écouté Freddie King et B.B King et ils essayaient en quelque sorte de jouer comme s'ils étaient des chanteurs. Je sais pertinemment qu'il y a beaucoup de fans de heavy metal dans mon public et j'essaie en quelque sorte de les convaincre soir après soir de leur faire découvrir certaines choses que je trouve vraiment cool ! Cela me rappelle lorsque j'étais étudiant au G.I.T. où j'étais exposé à nombre de guitaristes plus âgés que moi qui jouaient des styles que je n'aurais jamais découvert sans eux. Beaucoup jouaient du jazz et je n'étais clairement pas là dedans à l'époque, mais je trouvais néanmoins que ces mecs étaient fantastiques et j'allais dans leurs cours car j'étais impressionné par certaines parties qu'ils jouaient. Je voulais toujours me concentrer sur mon truc, mais je n'avais rien contre y agrémenter deux ou trois plans ou certains accords que j'apprenais au contact de ces musiciens de jazz. Je suis exactement cette démarche lors de mes clinics. Il ne s'agit pas d'appliquer à la lettre tout ce que je dis. Il suffit juste de trouver quelques trucs qui vous plaisent et que vous pouvez appliquer à votre jeu.      

Il y a ce titre "I Love My Lawnmower" (ndlr : j'aime ma tondeuse à gazon). Que préfères-tu entre ta tondeuse à gazon et ta perceuse (rires) ?

(rires) Ca dépend de ce que j'ai besoin de faire. Si c'est pour tondre le gazon, je vais évidemment me tourner vers ma tondeuse. Maintenant si j'ai besoin d'un outil pour jouer un solo de guitare, la perceuse aura ma préférence ! Je n'ai jamais essayer de jouer de la guitare avec une tondeuse à gazon, mais quelque chose me dit que ça ne se passera pas très bien !  

Tu t'affiches souvent avec des guitares montées en mini-humbucker en ce moment et la pochette de "Behold Electric Guitar" te montre d'ailleurs avec une Fireman en mini-humbucker. Tu n'utilisais pas ce genre de micros auparavant. Es-tu tombé amoureux du format récemment ? 

J'adore ces micros ! Ces mini-humbucker sont des DiMarzio signature. Il s'agit du modèle PG-13. Je jouais il y a très longtemps sur des mini-humbuckers Epiphone, car j'achetais des Epiphone que je customisais à une époque. Les mini-humbucker Epiphone en position manche étaient convenables, mais je trouvais toujours que la position chevalet était criarde et n'avait pas suffisamment de niveau de sortie. Les PG-13 de DiMarzio sont à l'inverse très chauds  et assez puissants. Le micro chevalet est vraiment super ! Je n'ai pas emmené de guitare avec ces mini-humbucker sur cette tournée de clinics car j'avais besoin d'un sustainer pour jouer juste une partie vocale d'une chanson de Scorpions, j'ai donc pris une guitare équipée d'un sustainer pour cette fois mais l'intégralité de l'album "Behold Electric Guitar" a été enregistré avec les mini-humbucker PG-13. La différence de son de ces micros résident aussi simplement dans leur forme différente et du coup dans leur emplacement différent sur la guitare car si on prend le même micro positionné de manière légèrement différente sur une guitare le son n'est pas le même. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai opté sur mes Fireman d'incliner tous les micros en général, de manière à ce qu'il y ait un peu moins d'aigus et un peu plus de graves. A chaque fois que je jouais sur une Strat avant, je ne pouvais pas croire à quel point le micro chevalet était criard ! Jimi Hendrix en jouant la Strat à l'envers, vu qu'il était gaucher, n'avait pas ce problème vu que ces micros étaient désormais inclinés d'une manière qui atténuait les aigus. 

Tu n'as jamais caché souffrir d'acouphènes et c'est le cas de beaucoup de musiciens. Tu utilisais auparavant un casque sur scène pour te protéger mais il semble que tu ne le fais plus depuis quelques années. Peux-tu évoquer comment tu gères ce problème ?

J'ai effectivement des acouphènes et j'ai également perdu beaucoup d'audition. J'utilise aujourd'hui de vulgaires bouchons d'oreilles. Le problème avec le casque est que j'avais un système de monitoring à l'intérieur et bien que le casque me protégeait du volume extérieur, vu qu'il s'agit de rock n'roll, j'avais tendance à régler le volume du monitoring interne du casque trop fort si bien que de l'extérieur on pouvait avoir l'impression que je me protégeais les oreilles mais en réalité je pense que je continuais de les abîmer ! Pour ce qui est de la protection pure, les bouchons d'oreille sont plus performants. J'entends évidemment beaucoup moins les détails avec les bouchons en revanche, mais j'ai fini par m'y habituer et tant que le son de la guitare et de la caisse claire sont suffisamment forts pour que je les entende bien, ça me convient !

Tu joues souvent sur Marshall ces derniers temps, mais souvent sur des têtes différentes. Quelles sont tes préférences ? 

J'aime surtout les modèles reissue des vieux Marshall. Tous les modèles avec 4 entrées (ndlr : comme le 1959 Super Lead par exemple). Ce soir je joue sur un DSL et il faut que je m'attarde un peu plus sur les réglages car j'utilise mes Marshall en son clair en obtenant le son saturé à partir des pédales. Je suis moins habitué au son clair du DSL par rapport à celui des Marshall vintage mais ça marche bien aussi ! 

Quels sont tes projets pour le reste de l'année ? 

"Behold Electric Guitar" sort le 17 mai et je pars ensuite sur une véritable tournée avec mon groupe solo aux Etats Unis et je ferai de même en Europe plus tard dans l'année ! Mes projets se résument à beaucoup de tournées !

Interview de Paul Gilbert