Bluesman accompli et reconnu, Robert Cray collabore avec Kevin Shirley pour un album des plus rock, Nothin But Love, qui ne demande qu’à élargir son public. Entretien avec l’homme aux 5 Grammy Awards.

 Avec le succès de Don’t Explain ici en France, on dirait que la France s’ouvre de plus en plus au blues ou au moins au blues/rock alors que pendant des années, cette scène passait presque inaperçue du grand public. Tu ressens ça ?
Robert Cray : Oui c’est vrai. Pendant longtemps la France n’a aimé que les trucs « traditionnels » du jazz et du blues. Même aux Etats-Unis à mes débuts, j’ai dû faire face à beaucoup de critiques car je mélangeais le blues et la soul, le blues et le rock, etc. Si les gens ouvrent leurs esprits, ça ne peut qu’être bon pour moi !

Même si Nothin But Love ressemble à d’autres de tes disques sur ce point, je trouve que l’album se caractérise par sa grande facilité. Tout y est très fluide, à la fois dans le jeu et dans la composition. Le disque paraît simple alors qu’il est loin de l’être. C’est un effet recherché ?

R. C. : Nous sommes très focalisés sur les chansons en tant que telles. C’est maintenant totalement assumé de notre part d’écrire des chansons et non des démonstrations techniques ou des exercices imposés. La musique sur Nothin But Love nous représente dans toute notre diversité. On y entend un peu de jazz, des ballades RnB, du blues direct et une multitude d’autres éléments. Finalement cette diversité est devenue notre son ! En studio, nous n’aimons pas trop nous attarder sur les morceaux car autrement nous en supprimerions le groove naturel… Deux ou trois prises sont généralement nécessaires, pas plus.

C’est la première fois que tu bosses avec Kevin Shirley. Lui aussi aime cette méthode rapide et spontanée, il me semble…
R. C. : C’est clair ! C’est d’ailleurs ce qui nous a rapprochés au départ. Kevin aime cette méthode mais c’est également le producteur le plus rapide en termes d’exécution que je n’ai jamais vu ! Au milieu de la première prise de la première chanson il nous a arrêtés pour nous expliquer exactement comment l’améliorer ! Avec Kevin, c’est tout le temps comme ça ! Il a un radar installé dans les oreilles (rires).

Toi et ton groupe êtes extrêmement professionnels. Vous jouez de manière quasi télépathique ensemble. Que recherchez-vous chez un producteur ?
R. C. : Je connaissais la réputation de Kevin. J'ai écouté des albums sur lesquels il a bossé. Bien entendu, chaque artiste doit être traité différemment mais j'entendais quelques éléments communs sur ses disques qui me plaisaient. J'ai notamment entendu un disque de John Hiatt qui était merveilleux. Quand on a une réputation de producteur rock et qu'on fait un très bon disque avec John Hiatt, alors on ne peut pas se tromper. C'est comme ça que j'ai été convaincu. Notre rencontre a confirmé le bien que je pensais de lui. Personnellement, je suis aussi producteur. Notre claviériste et notre batteur le sont aussi (rires). Et la dernière fois que j'ai produit un de nos disques, ils n'ont pas arrêtés de se mêler de tout. Donc c'était agréable de pouvoir compter sur un élément externe au groupe pour supporter la pression. Kevin avait les épaules assez larges pour subir nos remarques sans froncer.

Si tu l'avais produit, tu penses que Nothin But Love aurait sonné de manière radicalement différente ?

R. C. : C'est certain. L'album n'aurait tout simplement pas eu un si bon son. Et puis Kevin a proposé pas mal d'arrangements que nous n'aurions jamais pu trouver si les compositions étaient restées entre nos mains.

Tu as des exemples spécifiques en tête ?
R. C. : Je pense par exemple que nous n'aurions pas employé les cordes dans un des titres. Pourtant, c'est vraiment ce dont avait besoin la chanson et Kevin l'a entendu parfaitement. Il a également proposé un grand nombre d'effets sur les guitares qui n'étaient pas tout à fait naturels pour moi.

Beaucoup de membres de ton groupe ont participé à l'écriture de Nothin But Love. Comment définirais-tu tes propres morceaux ?

R. C. : Mes idées sont très différentes donc je suis très heureux de pouvoir compter sur d'autres personnes dans ce groupe (rires). Ca nous permet de varier les plaisirs à la fois en tant que musiciens mais aussi en tant que public de nos disques. J'ai proposé notamment deux chansons qui traitent de la crise économique aux USA : Great Big Old House et I'm Done Crying. Avec deux des dix chansons sur ce thème pas forcément très léger c'est génial de pouvoir entendre Worry et son arrangement big band de jazz. Un grand bravo à Jim Pugh pour ce titre. Richard Cousins est également responsable de deux morceaux dont le premier single Won't Be Coming Home, l'autre étant A Memo.

Que fais-tu pour évoluer en tant que guitariste ?
R. C. : Je n'écoute pas grand chose de la scène actuelle. J'essaie de rester au top mais ce n'est pas simple (rires). Nous jouons énormément de concerts où j'aime être à fond dans le moment présent. Nous apprécions de pouvoir jouer les morceaux que nous connaissons si bien avec des arrangements différents. En dehors de ça, je ne passe pas beaucoup de temps à jouer pour moi. Répéter un solo pour le jouer plus tard n'a rien d'excitant. Il faut savoir se mettre en danger et jouer avec ses camarades de la meilleure manière possible.



Du coup, il doit y avoir des concerts où tout va de travers avec ce genre d'attitude « sans filet », non ?
R. C. : Il y a peu de chances que tout un concert se déroule mal mais ça peut effectivement arriver sur un titre ou deux. Mais c'est le prix à payer pour cette liberté que nous nous accordons chaque soir. C'est ce qui est excitant. Nous connaissons hyper bien nos morceaux mais le public aussi donc il faut le surprendre pour qu'il passe un bon moment en nous regardant sur scène.

Robert Cray Band - Nothin But Love

Provogue Records

Robert Cray Band, le blues dans tout ses états