Près de cinquante ans après ses débuts, la scène progressive est toujours autant associée aux clichés. Il faut dire que les groupes de l'époque étaient de drôles d'oiseaux et que leurs tics relèvent à présent de l'événement historique. Jamais véritablement compris par le grand public, ils ont tout de même eu leur heure de gloire lorsque la nouveauté de leurs sonorités frappait les consciences. Mais le succès fut rapide. Depuis la fin des années 70, le mouvement perdure avec plus ou moins de réussite et d'entrain. Toutefois, grâce à Steven Wilson, entre autres, le prog' renoue avec l'esprit qui l'animait à l'origine. Michael Denk et Janos Kereszti nous livrent un documentaire de cinquante-deux minutes, parfaite introduction au genre pour les néophytes et qui prouve une nouvelle fois qu'il n'y a plus qu'ARTE qui soit capable de diffuser un programme de qualité sur la musique en France.

"Progressif avant tout – Lorsque le rock devint symphonique" passe en revue les pères fondateurs du genre en donnant une place de choix à Yes, à travers une interview de Bill Bruford. Pas forcément le membre le plus emblématique du groupe mais celui qui possède la particularité d’avoir joué chez les trois « grands » (Genesis, King Crimson et donc Yes). Genesis, incroyablement absent du docu, n’a pas droit à une seule mention ce qui pourra surprendre quand on voit la place qu’occupe Curved Air, loin d’être la formation la plus essentielle de cette ère. On ne peut contenter tout le monde dans un format aussi court et les deux réalisateurs ont dû privilégier leurs préférences personnelles. Celles-ci convergent vers ELP et Jethro Tull. Le leader de ces derniers, Ian Anderson, nous résume d’ailleurs le prog’ en une formule bien trouvée : « c’est la rencontre entre Buddy Waters et Beethoven. »

A une époque en pleine effervescence culturelle, les proggeux-bourgeois vont rapidement s’opposer au rock du peuple incarné par Black Sabbath et toute la vague à suivre qui fera cracher les décibels. Pendant ce temps, les innovateurs du son poussent plus loin encore leurs expérimentations à l’image de King Crimson ou même de Curved Air. Une démarche que le film rapproche fort justement de celle, antérieure, des Beach Boys. Après avoir assailli le monde de pépites pop, les Américains intellectualisent leur musique sous l’impulsion de Brian Wilson et sortent Pet Sounds puis la chanson Good Vibrations. Ils y conjuguent prog’ et mélodies accessibles, un modèle qui ne plaît pas forcément à Robert Fripp mais qui fera des émules dans la génération actuelle, Steven Wilson en tête.

On se plaît à découvrir des images d’archives (souvent trop courtes) de Yes ou ELP alors en pleine ascension. King Crimson – période Larks' Tongues in Aspic – vaut également le détour pour les facéties de son intenable percussionniste, Jamie Muir. Certains seront sans doute étonnés de constater que le type de musique jouée par tout ce beau monde vit encore dans des festivals spécialisés, comme le Loreley. Là aussi, l’ex-leader de Porcupine Tree est une figure centrale de l’activité florissante du prog’, entre remasterisations de classiques et albums solo frôlant la perfection.

« Progressif avant tout – Lorsque le rock devint symphonique » rend donc joliment hommage à un courant pas assez pris au sérieux de nos jours. On se prend à rêver à une suite consacrée à ces rockeurs durant les années 80, qui pourrait s’intituler « Lorsque le prog’ devint pop », pour voir comment toute une scène a retrouvé un second souffle avec des tubes mondiaux, à l’opposé de ce qu’elle défendait initialement…

Résumé :
Dans les années 1960, des musiciens proposent de brillants et savants pots-pourris de rock, folk, world music et classique. Plongée dans les origines du rock progressif, avec des groupes comme Jethro Tull, King Crimson, Yes ou encore Emerson, Lake and Palmer.
Michael Denk remonte le temps pour étudier les inspirations de Ian Anderson du groupe Jethro Tull, de King Crimson, Yes, The Nice, ou encore Emerson, Lake and Palmer (ELP) et Curved Air. Ces artistes, souvent issus de familles bourgeoises, avaient une sensibilité pour le classique et maîtrisaient divers instruments. Ils ont ainsi créé une musique conceptuelle parfaitement dans l'air du temps. Celle-ci revit d'ailleurs chaque été outre-Rhin lors du festival en plein air de la Loreley, avec Winfried Völklein et sa "Night of the prog". Un personnage mi-hippie, mi-geek, qui explique que le rock progressif a attiré et continue de séduire avant tout des intellos. Le documentaire revient sur les origines de ce courant musical, évoque le succès des "Good vibrations" portées par des Beach Boys avant-gardistes, et s'attache à déceler des résonances actuelles du côté du "prog-rockeur" britannique Steven Wilson.

 

Progressif avant tout, lorsque le rock devint symphonique