J'ai vu le film hier soir au MK2 Quai de Seine dans une salle correctement remplie. Le film dure deux heures et passe en revue la vie de Joe Strummer depuis son enfance comme fils de diplomate qui a fréquenté les 'public schools' jusqu'à sa mort. Il s'appuie sur un abondant matériau documentaire: les films de famille en super 8 où on voit Joe faisant du camping, les concerts des 101ers, les répétitions de Clash etc. Le réalisateur fait aussi intervenir un très grand nombre de personnes ayant connu JS: cousins, amis, compagnons de squat, membres des 101ers et de Clash (à l'exception notable de Paul Simonon), des Mescaleros, membres d'autres groupes de l'époque... Pas de révélations particulièrement inattendues ni de moment fort, ce qui tient sans doute à la forme du film, sur laquelle je vais revenir. Les passages les plus intéressants concernent à mon avis la période immédiatement pré-Clash, lorsqu'il est guitariste/chanteur dans les 101ers et que le groupe vit dans des squats.
Le film vaut la peine d'être vu surtout si on aime Clash parce que sinon il ne restera pas dans l'histoire du cinéma.
Le principal défaut que je lui vois concerne la forme, mais cela a des conséquences sur le fond, et c'est le défaut qui affecte aussi 99.9% des documentaires tournés pour les télévisions américaines, que les chaines européennes se croient obligées d'acheter et de diffuser. Ce type de documentaire est conçu comme une narration linéaire constituée de bribes de témoignages qui se mettent bout à bout. Une des premières conséquences est qu'aucune séquence ne doit durer plus de trente secondes (peut-être même moins). Comme le réalisateur Julian Temple est plus doué que les innombrables tacherons qui font les documentaires télévisés auxquels je faisais allusion, le film est plus intéressant que 'Punk attitude' par exemple. Mais il est quand même limité par cette construction qui fait que toute histoire (du punk, de la Rome antique, de la colonisation...) est conçue comme une série d'anecdotes racontées par des témoins ou, pire, par des gens connus qui ne doivent leur présence dans le film qu'à leur notoriété. C'est ainsi qu'on a droit aux interventions de Johnny Depp ou Bono, qui, franchement, n'ont rien à dire qui n'aurait pu être dit par n'importe quel type pris au hasard dans la rue.
Voila ce que pourrait donner ce genre de documentaires dans les pires moments:
batteur des 101ers : A l'époque on vivait dans un squat à Londres...
ancienne petite amie: Joe Strummer achetait beaucoup de Nutella...
patron du pub où allait Joe Strummer : il était connu comme le plus grand fan de Nutella à Londres...
bassiste des 101ers: il le mangeait étalé sur du pain complet...
cousin de Joe strummer : il était très pointilleux là-dessus, exclusivement du pain complet...
manager des 101ers : et il fallait que le Nutella soit étalé avec un couteau suisse
copain de squat: Nutella; pain complet et couteau suisse, ça c'était Joe Strummer
bassiste des 101ers : on a enregistré les 'Nutella sessions' dans un studio pourri près de la tamise, on voulait les utiliser comme démos pour démarcher les maisons de disques...
Mick Jones: avec Clash, on a sorti le 'Swiss knife for brown bread and chocolate spread EP' juste après le premier album aux USA
Johnny Depp Pour mon anniversaire, une petite amie m'avait offert ce disque, 'Swiss knife for brown bread and chocolate spread', c'est là que j'ai découvert Clash...
Et comme ça pendant deux heures. Pour rompre la monotonie constituée par une alternance assez rapide de "témoignage", une petite astuce de "professionnels" (utilisée par les documentaires télévisés): filmer le premier intervenant en le cadrant décentré à droite, puis filmer le suivant décentré à gauche, le troisième décentré à droite de nouveau et ainsi de suite.
Comme Julian Temple est quand même un réalisateur de cinéma, il a quelques idées pour tenter de rendre plus intéressante la construction du film. Par exemple, presque tous les témoignages sont filmés en extérieur autour d'un feu de camp (ça a l'air stupide dit comme ça mais ça a un sens), ça donne une unité (un peu factice) au film. Il met aussi parfois les témoignages sonores sur des images d'archive, ce qui permet d'échapper à l'alternance de plans de personnages qui parlent face à la caméra.
Mais on peut quand même se demander ce qu'aurait donné un 'vrai' documentaire, avec des séquences qui durent suffisamment longtemps pour qu'on puisse échapper à l'histoire anecdotique et son caractère superficiel.