Belforti : la lutherie tournée vers l'avenir

Publié le 02/10/2025 par Julien Bitoun
Il n'est pas exagéré de dire que nous vivons actuellement un véritable âge d'or de la lutherie française. En électrique, des pionniers comme Patrice Vigier, Michel Chavarria ou James Trussart ont montré la voie, et à l'heure actuelle il suffit de se rendre à un des nombreux salons spécialisés pour constater l'excellente santé de cet écosystème riche en personnalités. Parmi eux, Marin Nourry-Belforti se place sans ambiguïté parmi les plus modernes dans son approche. Après une expérience dans la biologie marine, ce bassiste a décidé d'approcher la lutherie avec pour objectif de créer des instruments extrêmement confortables et performants. Il a monté la marque Belforti en 2024 et présente déjà une gamme à la fois riche et facile à comprendre. Dans cette interview, il revient pour nous sur sa conception de la lutherie.

Peux-tu nous raconter l'histoire de ta marque ?

Belforti, c'est mon entreprise, c'est mon nom, c'est ma création de A à Z. Le nom vient de mon grand-père italien qui m'a donné le goût du travail manuel et du dur labeur. Après ma mère et ma tante, le nom disparaît, donc j'avais envie qu'il ait un avenir. Je travaille dans la lutherie depuis huit ans: j'ai d'abord été autodidacte puis je suis allé travailler chez Crimson Guitars en Angleterre puis Galloup Guitars aux Etats-Unis. Je suis ensuite rentré en France pour monter ma boîte en 2022. On a commencé à Montrouge avec un atelier de réparation modeste, mais le projet a toujours été de créer une marque de guitare et basse électrique de luxe en France. L'atelier originel de Montrouge m'a permis de faire rentrer un peu de sous le temps d'obtenir le feu vert pour ouvrir le plus grand atelier qui est à Roué. On a donc désormais une petite manufacture qui est toute neuve et toute belle et on fait absolument tout de A à Z à l'atelier. Je suis à la fois le gérant, le luthier, le web designer, le comptable... la totale. J'ai développé le configurateur 3D en ligne en partant de mes modèles d'usinage CNC.

Tu dis de tes designs qu'ils sont inspirés de ton expérience de bassiste.

Oui, c'est un défaut ou une qualité selon la perception. Je suis bassiste et je viens à la lutherie par cet instrument-là. Et depuis toujours, je trouve que les guitares ne sont pas très bien pensées dans leur conception, avec beaucoup de matière gâchée, beaucoup d'espace rempli qui ajoute du poids, un manque d'ergonomie général. La plupart des basses n'ont pas ces problèmes, parce que l'instrument est plus contraignant, plus grand, et il faut donc faire rentrer plus de choses dans moins d'espace. Souvent, on obtient ainsi des objets un peu plus compacts, un peu mieux conçus.

Quelles sont les marques qui t'ont inspiré ?

Pour la forme, c'est un mélange de la Jazz Bass version Sadowsky, qui est déjà réduite en termes d'empreintes et de volume, et d'inspirations plus typées, comme F Bass, qui sont des copains. Je devais d'ailleurs aller travailler chez eux mais il y a eu des embrouilles de Visa. ça a toujours été une des marques dont l'esthétique me parle le plus en basse. Et puis il y a aussi quelque chose de purement personnel, mon goût du moment. Je me suis arrêté sur mes quatre modèles de départ, car ce sont eux qui me donnaient envie de me lancer. On va ensuite sortir au moins deux nouvelles formes en guitare et en basse en 2026, sans pour autant changer l'architecture.

Mes designs ne sont pas des modèles séparés, ce sont des plateformes, et la forme du corps, le modèle, c'est juste une forme. Elle n'a aucune influence sur le reste, en dehors de l'esthétique. Il n'y a pas de talon sur nos guitares ou nos basses. On a un accès direct aux aigus en 24 ou en 21 frettes, ce qui est génial. Nous avons donc une plateforme commune aux guitares et aux basses qui est totalement interchangeable, ce qui permet d'être un peu plus libre sur le design. La plateforme technique fonctionne, il suffit juste de se connecter les lignes au bon endroit. En termes de développement, on a moins de contraintes, et ça permet d'avoir des pièces communes pour rationaliser un peu la production, même si ça reste custom à 95%.

Les guitares sont très compactes par rapport à d'autres instruments. Elles ont un diapason de 25,5 pouces, les mêmes côtes qu'une Strat, mais j'ai enlevé quasiment toute la matière inutile. ça donne des instruments qui sont plus compacts, plus légers, un peu plus proches du corps, avec un meilleur équilibre puisque la position de jeu est décalée. C'est quelque chose de très courant pour les joueurs de headless, qui ont l'habitude d'avoir ce positionnement avec le chevalet reculé vers la droite.

Je peux d'ailleurs te révéler qu'au vu des retours que l'on a reçus, on est en train de revoir cette plateforme-là pour l'année prochaine. Je l'ai légèrement rallongée : on passe en 24 frettes sur les guitares, et il y a d'autres petites modifications pour moins dépayser les guitaristes. à la première interaction, ils ont tendance à être un peu perturbés et donc à partir sur un a-priori pas très positif. C'est un problème que je n'ai pas avec les bassistes, puisque mes basses sont plus conventionnelles en termes de structure.

Ton approche du catalogue est vraiment très rationnelle : tu as des modèles par forme, et ensuite pour chaque forme, tu as trois niveaux de gamme.

Mon rêve était d'avoir une gamme qui soit relativement facile à comprendre pour les non-geeks. Les geeks, on les connaît, ils peuvent aller chez Ibanez et apprendre par coeur toute la nomenclature des modèles. Mais je suis une nouvelle marque, et je dois essayer de trouver quelque chose de plus ou moins logique. Au lieu de fonctionner en termes de modèles, c'est la série qui est importante. La série E, c'est notre entrée de gamme. Série M, c'est le milieu. Série S, c'est le haut de gamme. On a une base commune, et quelle que soit la forme du corps, tout le reste est commun, avec évidemment énormément de personnalisations possibles. Du coup, dans les dénominations, on pourrait presque enlever le numéro du modèle. Il donne une indication, je vais le garder puisque c'est le standard de l'industrie, mais il n'est pas indispensable. On va donc avoir une M1, une M3, une S5, une S7. Et comme elles sont quand même personnalisables, je n'ai pas voulu faire des modèles avec des noms compliqués, parce que le nombre de possibilités est infini.

Tu te définis comme faisant partie de la nouvelle génération de luthiers. Est-ce que pour toi des options comme le renforcement carbone, le radius composite, les bois torréfiés ou le Plek font partie de cette modernité ? 

Pour moi c'est évident : hors de question de fabriquer une guitare en 2025 comme on le fait depuis 70 ans. Je n'ai rien contre la tradition et la transmission des techniques ancestrales, mais ça n'est pas ce que j'ai envie de faire. L'objectif était donc d'intégrer le maximum d'innovation, de technologie et d'avancer en termes de lutherie et de construction. Je veux me mettre en difficulté et fabriquer des instruments complexes que je considère comme plus aboutis que des choses classiques. Je veux mettre toute la technologie au service de l'artisanat, au service de la jouabilité, de la performance des instruments. Pour la jouabilité, pour la fiabilité, on va avoir la Plek et les manches renforcés. Pour la partie performance, on a travaillé avec le CIRAD, un centre de recherche à Montpellier, sur leur système Bing qui permet de faire des analyses non-destructives sur le bois. On a classifié toute notre bibliothèque de bois en plusieurs catégories pour développer notre indice de performance qui est le plus objectif et le plus scientifique possible. Il est basé sur notre échantillon, donc il n'est pas universel, mais il permet de voir pas mal de choses. J'avais envie de proposer des choses en termes de technologie, de science, de savoir-faire sans que ça soit un gimmick marketing. Je voulais que ça serve l'objet final et le musicien.

Les micros sont aussi faits maison.

Le choix des micros a fait l'objet d'un long débat interne. Je voulais garder la maîtrise esthétique de mes créations et j'ai vraiment horreur du plastique sur les instruments.

Je ne voulais surtout pas de cache micro, et je voulais une forme différente, ce qui rend impossible la compatibilité avec les micros d'autres marques. Je me suis donc allié avec un copain qui est de Montrouge aussi, l'ancien ingénieur principal de Devialet, qui les a quittés pour lancer sa boîte. Il fait maintenant un autre type d'ingénierie acoustique, mais pas dans la partie son. On a développé les micros ensemble et l'essentiel des pièces sont faîtes à l'atelier. Lui s'occupe de faire le bobinage et l'assemblage. On a donc des micros 100% custom.

Pour la série E on a du simple bobinage classique Alnico 5 : ça fonctionne, c'est efficace, c'est précis, c'est clair. En série M on reste sur les mêmes ingrédients mais on passe sur du humbucker pour toute la gamme. On a le choix entre humbucker classique ou humbucker stacké type noiseless, format single coil. En série S on a l'architecture de la série M mais on change l'ingrédient principal. On met donc de l'Alnico 8 et c'est comme passer du 1080p à la 4k : c'est ultra précis, ultra fin, très haute définition comme un laser. ça me plaisait bien de l'avoir sur la série S, pour des instruments très performants et qui demandent un petit temps d'adaptation puisqu'ils restituent énormément de détails. Mais on propose aussi l'option de mettre des micros d'autres marques en faisant quelques petites concessions en termes de design et d'esthétique.

Sur un article de ton blog, tu as des mots plutôt durs à l'égard des guitares vintage.

Il y a des biais cognitifs vis à vis de la guitare vintage que je n'ai pas développés puisque je suis jeune donc je n'ai pas grandi avec, et je n'ai pas non plus été fan des guitar heroes associés à ces instruments. Je vais plutôt avoir la tendance inverse, c'est-à-dire que je suis plutôt sceptique a priori. J'aime ces guitares pour leur valeur historique qui m'émeut, mais je ne crois pas en leur supériorité sonore. D'après tout ce que j'ai lu, étudié, ressenti et regardé en fabricant des guitares, ça n'est pas significatif et surtout pas vérifiable.

Si l'argument c'est "moi elle me plaît parce que j'admire cette guitare depuis que je suis tout petit, j'ai envie d'en avoir une, c'était mon idole qui avait ça, c'était mon rêve", je trouve ça génial. Parce que ce sont des émotions et c'est ça que l'on veut en tant que facteur-réparateur et musicien. Mais je suis plus gêné par les faux débats et les arguments, et aussi par la spéculation. Je rêverais qu'on puisse avoir plus de ces instruments dans les mains de très bons musiciens.

Plus d'infos sur le site de Belforti.

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