Loin de l'archétype du guitar hero metalleux, Cyril Achard a toujours gardé sa personnalité musicale. Souvent tiraillé par des fans en demande d'un metal moins complexe et moins empreint de jazz, le guitariste français a su trouver aujourd'hui la voie qui lui donne l'opportunité de s'exprimer sans pour autant frustrer son public. A l'occasion de la sortie de Violencia, nous faisons un point sur les différents projets de ce talentueux musicien.

Tu as un parcours particulier en terme d'apprentissage de la guitare puisque tu as débuté à 13 ans. Jusque-là, rien d'incroyable, mais surtout tu as commencé directement par des cours de jazz !
Cyril Achard
: J'ai commencé avec des cours de guitare jazz, donc par la théorie puis les standards de jazz, on peut dire assez axés Be-Bop. J'ai eu un coup de coeur pour ce style et j'ai surtout été marqué par l'influence de mon professeur de guitare. Je crois que j'étais fasciné par l'univers harmonique de cette musique. En parallèle, j'étais aussi très influencé par ce qui se faisait en guitare à l'époque : Malmsteen, MacAlpine... Donc forcément, avec le temps, ma pratique s'est orientée vers ce genre de musique, mais je baignais toujours dans le jazz. Il y avait du coup une grande différence entre ce que je travaillais de manière personnelle et ce que je produisais sur scène.

N'est-ce pas trop difficile, en tant que musicien, d'arriver à trouver son chemin quand on est tiraillé entre deux styles aussi différents ?
Cyril Achard : Il est arrivé un moment où je faisais des albums électriques, comme Confusion ou In Inconstancias Constans, tout en sachant au fond de moi que, lorsque je le pourrais, je reviendrais à ce que j'aime le plus, c'est-à-dire la guitare jazz. Il y avait aussi, encore un peu plus loin, l'envie, le rêve, de pouvoir jouer en solo. C'était une chose que je m'interdisais car il fallait que je remette tout en question. Et puis il arrive un moment, peut-être avec l'âge, où tu te dis qu'il faut le faire maintenant sinon ça ne sera bientôt plus possible (rires). Je pense que c'était le bon moment car je commençais à tourner en rond dans ce que je faisais, et je n'avais plus vraiment goût à la musique en général.

Tout cela recoupe tes projets qui devraient voir le jour d'ici peu ?
Cyril Achard : Oui en quelque sorte. J'ai rencontré, il y a quelques années, Mike Terrana avec qui j'ai fait Taboo Voodoo, album qui a sonné la fin de ma « carrière » électrique. C'est à cette époque que j'ai commencé le jeu aux doigts. C'était une période difficile pour moi : je ne savais plus jouer au médiator et je jouais encore assez mal aux doigts. J'ai du fournir pas mal de travail pendant un an pour arriver à sortir quelque chose. Puis Mike est revenu à la charge pour un projet. Au début j'ai refusé, n'étant plus tellement dans le monde de l'électrique ; les propositions de dates s'accumulant, j'ai dit « OK » à Mike pour faire un album et une tournée. Puis, pour des raisons d'organisation, et ce même si j'avais écrit intégralement l'album et re-travaillé la guitare électrique, la collaboration avec Mike ne s'est pas faite. Vue la masse de travail que j'avais du fournir, j'ai décidé de quand même sortir l'album en mon nom et avec mes anciens musiciens. Cela a donc donné Violencia.
Avec le recul que j'avais je peux dire sans souci que c'est le le meilleur album électrique que j'ai fait. Il y avait moins de pression – la pression du Guitar Hero qui doit à tout prix faire des performances techniques. La vision du phrasé est également complètement différente maintenant.


 
L'album à été joué en trio. Cela change beaucoup de choses comparé à tes anciennes formations ?
Cyril Achard : Oui, ça se ressent sur l'album qui du coup est très brut et très violent, comme son nom l'indique. Côté technique, que ça soit sur le mix ou sur les instruments, il n'y a quasiment aucun effet. D'ailleurs ce qui est étrange c'est qu'auparavant mes albums metal étaient très teintés par le jazz, alors que, maintenant que j'ai pu affirmer mes influences jazz dans des albums comme Trace ou Essensuel, je suis allé, pour Violencia, vers un metal très pur. Et puis c'était un moyen de pouvoir exprimer une certaine agressivité, une certaine violence qu'on ne peut pas forcément faire passer avec une guitare acoustique.

Il n'y a pas, avec tous ces changements dans ta carrière, un risque de « perdre » une partie de ton public ?
Cyril Achard : Durant toutes ces années on m'a souvent reproché ce mélange entre le jazz et le metal. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai arrêté (rires). Je faisais un metal un peu trop riche pour des fans de metal qui aspiraient à plus de simplicité. De toute façon, Violencia est l'album le plus accessible que j'ai fait.

Je crois qu'un autre album devrait également voir le jour d'ici peu, mais cette fois on revient dans le registre jazz, puisque c'est un album solo de guitare acoustique...
Cyril Achard : C'est un album que je voulais faire il y a longtemps. L'exercice est vraiment compliqué et demande beaucoup de travail en amont. Il faut arriver à une forme de contrôle de jeu en solo, ce qui est très difficile. C'est un album jazz au sens large du terme, avec de l'improvisation, des standards ré-arrangés, mais il y a aussi des influences diverses auxquelles je vais emprunter un vocabulaire très hispanisant. Je pense que, malgré tous ces changements, on reconnaît rapidement ma manière d'écrire et ceux qui me connaissent bien ne seront pas trop déroutés.

Tu es aussi à l'origine d'un projet, aussi intéressant que peu commun, d'une mise en musique du poète Aragon...
Cyril Achard : Ce projet est né d'une rencontre avec une comédienne avec qui j'ai décidé de mettre en musique des poèmes. Nous sommes tombé sur Aragon, notamment un recueil qui s'appelle Elsa. Moi qui ne suis pourtant pas vraiment un littéraire, je suis tombé sous le charme de ces poèmes. On a enregistré une lecture et j'ai composé et improvisé sur ces textes. Encore une fois, c'est avec la guitare nylon que j'ai réussi à trouver les sensations qui me faisaient le plus vibrer. C'est là un projet assez inédit dans le fait que nous n'avons pas simplement apporté des bruits de fond pour un texte, mais on a pris le parti d'écrire de manière très précise, de prendre au mot près le texte à la phrase près... Là, le spectacle est en train d'être mis en scène et nous devrions commencer la tournée tout début février.

Dans tes différents groupes, tu as joué en quintette, quartette, trio, duo et maintenant solo. Dans quel genre de formation te sens-tu le mieux à présent ?
Cyril Achard : Définitivement le solo. Je suis moi et ma guitare... la gestion de l'espace... du son... C'est vrai que c'est beaucoup de contraintes techniques, mais ça demande une certaine forme de concentration constante. Non pas que jouer en formation soit moins bien, c'est d'ailleurs très important de savoir jouer avec les autres. Mais c'est vrai que maintenant, quand je me retrouve en trio par exemple, c'est plus facile pour moi de lever le pied et de m'appuyer sur les autres. En solo ça n'est pas possible et c'est ça qui me plaît.

Utilises-tu toujours les guitares Godin Multiac dans ton projet solo ?
Cyril Achard : Depuis que j'ai commencé ce projet solo, je me suis fait fabriquer des guitares par un luthier de Nîmes qui s'appelle Olivier Pozzo (ndlr : www.olivierpozzo.com) et qui m'a construit une sorte de Multiac améliorée. J'en ai deux modèles dont une avec une caisse fermée et l'autre avec un micro piezzo et un micro flottant.
Pour Violencia j'ai utilisé, comme depuis longtemps, des guitares Lag et ma vieille Fender Stratocaster que je balade partout.
Côté amplis, c'est d'ailleurs une première pour moi, j'ai utilisé des amplis à simulation Line 6.

Qu'est-ce qu'il écoute ?
J'ai un truc qui est récurrent, c'est Miles Davis avec son quintette dans les années 60-70. Ca devient d'ailleurs assez inquiétant car je n'arrive pas à m'en défaire ! Et sinon j'ai découvert il y a peu une chanteuse américaine de Pop qui s'appelle Alison Krauss. J'ai accroché notamment sur l'album en duo avec Robert Plant (Alison Krauss/ Robert Plant – Raising Sand chez Universal).

Cyril Achard
Violencia
Brennus
www.cyrilachard.com




Quelques mots pour deux albums...

Cyril Achard – Violencia
Après une révolution musicale personnelle assez intense, Cyril Achard revient avec un album électrique très brut. Les précédents opus dans la mouvance électrique pouvaient paraître un peu trop compliqués pour les amateurs de metal et trop durs pour les amateurs de jazz. Il semble que Cyril Achard s'exprime bien mieux dans des projets bien distincts. Ce n'est pas forcément l'agressivité qui caractérise Violencia, mais plutôt un son et une production extrêmement bruts ; peu ou pas d'effets sur les instruments : c'est la virtuosité des musiciens qui donne tout son sens aux notes. « Virtuosité ». Le mot est lâché, et même si Cyril s'en défend, l'album est d'une technicité poussée très loin mais parfaitement maîtrisée. L'album de la maturité ?


Cyril Achard – Mayrig
Difficile de trouver une transition entre Violencia et Mayrig. Même en cherchant longuement et mis à part leur auteur, Cyril Achard, impossible d'y voir un quelconque parallèle. C'est donc comme le premier album d'un guitariste acoustique que nous avons écouté Mayrig. Ce qui frappe en premier lieu, ce sont la fluidité et la simplicité apparentes du disque. Qu'ils soient compositions ou interprétations, les titres prennent une dimension mélodique des plus agréables... Cependant, deux morceaux attirent l'oreille grâce à un petit plus. Tout d'abord, « Mayrig » fait chanter des accents de musique hispanique très bien amenés. Le morceau qui clôt ce disque, « Agapè », est aussi une merveille qui n'a rien à envier aux grandes pièces composées pour la guitare classique.
Pour les mélomanes qui ne tiennent pas compte des barrières stylistiques et qui sont prêts à se lancer dans toutes les expériences sonores pourvu qu'elles soient bonnes, Mayrig est probablement l'album révélation de ce début d'année. 
Cyril Achard, entre metal, Jazz et poésie