Ron "Bumblefoot" Thal est déjà l'auteur d'un parcours bien rempli, en ayant notamment fait partie des Guns N'Roses pendant 8 ans et en menant une carrière solo depuis 25 ans. Mais de tous ses projets, jamais un seul n'a semblé aussi bien lui correspondre que Sons Of Apollo. Ce "supergroupe" qu'il forme aux côtés de Mike Portnoy, Derek Sherinian, Billy Sheehan et Jeff Scott Soto vient justement de publier son deuxième opus intitulé "MMXX" et se produira le 17 mars au Cepac Silo de Marseille et le 18 mars à la Machine du Moulin Rouge de Paris. Nous avions rencontré ce virtuose au jeu aussi original que spectaculaire il y a quelques mois pour évoquer sa carrière et son matos et nous avions été enchanté par sa joie communicative et son aisance à tout interpréter à la volée comme lorsqu'à la vue du t-shirt The Allman Brothers Band de votre serviteur, il se mit instantanément à jouer et chanter "Whipping Post" avec passion ! Le genre de musicien dont la guitare est littéralement le prolongement du corps, au point de ne jamais la quitter et de la jouer tout au long de l'entretien qui suit !

Copyright Gunner Kal

Bonjour Ron ! Tu es un guitariste résolument unique et original. Comment tout a commencé à la guitare pour toi ? 

Ron Thal : Comment tout a commencé ? J'ai écouté "Alive!" (1975) de Kiss lorsque j'avais 6 ans et je savais dès cet instant ce que je voulais faire de ma vie !  J'ai monté un groupe dans la foulée avec d'autres enfants, nous écrivions des chansons, nous enregistrions même des démos en utilisant plusieurs enregistreurs à cassette pour avoir plusieurs pistes. Nous nous débrouillions avec tout ce qu'on pouvait trouver sous la main. On faisait des concerts dans nos garages respectifs ainsi qu'à notre école et cela ne s'est jamais arrêté depuis me concernant ! J'ai également pris des cours particuliers très académiques pendant 8 bonnes années où j'ai appris à lire la musique, la théorie ainsi que la pratique de la musique classique et du jazz. Je continue depuis d'apprendre par moi-même car il ne faut jamais oublier que nous sommes tous des élèves à vie ! Je pense que cela résume assez bien mon parcours !

Copyright Bryan A.Poor

Tu es un guitariste infiniment technique mais pour autant, dans ta carrière solo par exemple, tu sembles préserver une approche centrée sur la composition et les chansons plutôt que l'étalage de cette technique. Est-ce difficile de résister à cette tentation ?

J'essaie effectivement de toujours garder à l'esprit le fait d'écrire des chansons mais je dois être honnête et je dois reconnaître qu'il m'arrive parfois de succomber à la facilité de tomber dans une pure débauche de technique. Mais généralement je me débrouille pour que cela soit fait intentionnellement dans une chanson comme "Guitars Suck" par exemple. Ce titre n'est vraiment rien d'autre qu'une avalanche de technique complètement folle, mais je préfère généralement les véritables chansons. Je ne sais pas si l'on devrait parler de tentation avec la technique ou au contraire d'obligation car je dois admettre qu'il m'arrive parfois de me sentir un peu forcé d'en faire l'usage. J'ai le sentiment que si je ne montre pas suffisamment mes capacités à la guitare, je vais décevoir pas mal de monde alors qu'en réalité je n'attache même pas d'importance au fait de jouer de la guitare. C'est en tout cas moins important à mes yeux que le fait d'écrire des chansons ! Je m'efforce toujours d'inclure cela avec goût sans créer de réelle rupture avec le reste de la chanson car il suffit d'ajouter un léger ingrédient en trop pour gâcher une recette ! Je fais attention à ce que la moindre touche de technique outrancière n'attire pas trop l'attention sur elle en détournant l'auditeur de la chanson car cela peut facilement se produire à la guitare. Pour la petite histoire, je voulais être batteur à la base mais mon frère l'était déjà. J'ai alors voulu me mettre à la basse, mais lorsque j'ai voulu prendre des cours on m'a répondu que j'étais trop jeune et trop petit et que physiquement cela n'allait pas être possible. On m'a donc conseillé de me mettre à la guitare et ça m'allait aussi car tout ce qui m'importait réellement était de trouver un moyen de former un groupe avec d'autres personnes et de procurer aux autres le plaisir que les groupes comme Kiss, The Beatles ou AC/DC me procuraient. Le but était d'écrire des chansons et donner du plaisir, pas spécialement de jouer de la guitare.  

On peut avoir l'impression de l'extérieur que tu as trouvé le projet idéal avec Sons Of Apollo, un groupe de metal progressif dans lequel tu évolues aux côtés de Mike Portnoy, Derek Sherinian, Billy Sheehan et Jeff Scott Soto et dans lequel tu exprimes toute l'étendue de ton talent. Guns N'Roses était évidemment une très belle opportunité, tu jouais dans des salles immenses, le répertoire était génial et la paye probablement bonne, mais créativement parlant Sons Of Apollo te correspond sans doute beaucoup plus n'est-ce pas ?  

Tout à fait et la créativité est justement le point le plus important car je ne suis certainement pas devenu musicien pour avoir l'impression de rendre service. En disant cela je ne veux absolument pas offenser les gens qui sont engagés de manière intérimaire, les mercenaires comme on les appelle, pour jouer dans certains groupes la musique composée par d'autres musiciens, mais cela n'a jamais été mon intention personnelle. Ceci étant dit, il peut arriver qu'une opportunité très spéciale se présente et tu peux avoir le sentiment qu'elle aura un impact significatif sur ta vie entière et tu peux alors difficilement la refuser. C'est ce qu'il m'est arrivé avec Guns N'Roses. Mais même dans ce cas de figure, au bout d'un moment tu finis par arriver à un point où tu as l'impression de compromettre ce que tu es et ce qui compte vraiment pour toi. Il a toujours été beaucoup plus important pour moi de créer de la musique avec les gens qui m'entourent dans un groupe et aussi bonne l'aventure Guns N'Roses fût-elle, le besoin de se trouver à nouveau dans une situation créative était trop fort pour moi et Sons Of Apollo est effectivement un très bon contexte pour m'exprimer. Notre deuxième album "MMXX" sort en janvier 2020 (ndlr : interview réalisée en septembre 2019) et il contient plein de nouveaux riffs assez dingues ! 

Copyright Kevin RC Wilson

Comment s'est passée l'écriture de "MMXX" ? Était-ce similaire au processus de composition de "Psychotic Symphony" (2017) ?

J'ai beaucoup apporté à "MMXX" mais c'était déjà le cas sur le premier album à vrai dire où le riff principal de "Coming Home" est de moi, idem pour "Signs Of The Times" où j'ai apporté les gros riffs, j'ai contribué aussi à "Labyrinth" et les autres chansons. Le processus a été similaire pour les deux albums avec Mike, Derek et moi-même ensemble en studio à construire la musique tous les trois et à nous nourrir de nos idées respectives. Le style musical est d'ailleurs assez proche du premier album, même si j'ai essayé de pousser la direction vers quelque chose d'encore plus lourd et puissant et je pense y être parvenu parfois !

Tu as également intégré Asia en 2019. Une nouvelle assez surprenante !

Oui d'autant que je suis chanteur dans Asia et que je laisse tomber la guitare sur les 4 dernières chansons du set où nous sommes rejoints par Steve Howe ! Asia a fait cette tournée avec ses membres d'origine survivants. Il y a donc Carl Palmer à la batterie et Geoff Downes aux claviers avec Steve Howe à la guitare sur la seconde moitié du set. John Wetton n'étant malheureusement plus parmi nous, c'est moi qui m'occupe du chant (et de la guitare sur le début du concert) et on retrouve aussi Billy Sherwood à la basse qui joue également dans Yes. C'est tellement bon de pouvoir simplement chanter sans rien avoir autour du coup ! Je me sens tellement libre ainsi ! J'ai l'impression d'être un oiseau capable de prendre mon envol sur scène (rires) !

Avez-vous d'autres projets avec Asia ? 

La seule chose qui est actuellement en discussion est d'éventuellement faire une tournée européenne cet été en Europe, mais rien n'est confirmé pour le moment. C'est simplement une possibilité. Faire de la nouvelle musique ensemble ? Franchement je ne sais pas si ça arrivera.  

Tu joues avec Mike Portnoy et Carl Palmer, ce dernier affichant toujours un niveau extraordinaire malgré son âge. Tu es plutôt bien servi niveau batteur ! 

Plutôt cool n'est-ce pas ? Carl est effectivement une sacrée source d'énergie, il est incroyable ! Franchement je joue avec les meilleurs batteurs au monde. Je joue avec Mike Portnoy, avec Carl Palmer et avec Kyle Hughes, un jeune batteur anglais qui vient d'avoir 22 ans qui est absolument phénoménal et qui joue sur tous mes trucs solos ! 

Copyright Catherine Asanov

Tu utilises depuis de nombreuses années un modèle signature de Vigier particulièrement singulier avec la DoubleBfoot, une guitare dotée de deux manches à 6 cordes mais dont un est fretless. Peux-tu nous parler de cet instrument très personnel ?  

Cette guitare m'a permis de répondre totalement à tous mes besoins. Je l'utilise pour absolument tous mes projets musicaux. C'est clairement ma guitare principale car le manche fretless est devenu une partie intégrante de mon identité sonore et de mon style. Si on m'enlevait le manche fretless aujourd'hui, ce serait un peu comme si on retirait la moitié des cordes d'une guitare pour quelqu'un d'autre. J'utilise ce manche tout le temps ! Vigier avait une guitare fretless avec un seul manche et je me suis mis à beaucoup écrire et enregistrer avec à une époque. Puis à un moment donné il m'a fallu avoir accès à tout moment aux deux types de manche et c'est de là que cet instrument est né ! 

Tu joues des riffs déments et ultra lourds sur le manche fretless dans Sons Of Apollo. Quel est ton accordage ? 

Pour Sons Of Apollo, j'accorde le manche avec frettes en Drop D (Ré) et le manche fretless est en Drop B (Si) ! Je peux donc descendre aussi bas que sur une 7 cordes sur le manche fretless !

Quel est l'intérêt du manche fretless à tes yeux ? 

Tout d'abord la possibilité de pouvoir faire du slide avec chacun de mes doigts et c'est un type de manche qui t'ouvre plein de possibilités sonores nouvelles et je trouve que ça grogne encore plus qu'un manche conventionnel pour les gros riffs ! 

Niveau micro tu es toujours fidèle à DiMarzio n'est-ce pas ? 

Oui j'utilise toujours le Tone Zone en chevalet et le Chopper en manche. J'ai un sélecteur 5 positions qui me donne les sons suivants : micro chevalet, micro chevalet splitté, chevalet et manche ensemble, chevalet et manche hors phase, et micro manche. 

Cette guitare DoubleBfoot doit être très lourde sur les épaules n'est-ce pas ?

Ils sont parvenus à l'alléger avec le temps. Il y a des découpes supplémentaires, des parties chambrées, elles sont plus légères aujourd'hui mais au tout début j'avais l'impression d'avoir un cheval sur les épaules (rires) ! Pour rendre les choses encore plus amusantes, je sortais d'un accident à l'époque et je devais donc supporter le poids d'une guitare d'une dizaine de kilos tout en ayant le coup cassé ! C'était dur ! Heureusement tout va mieux aujourd'hui et les nouvelles sont plus légères comme je le disais. Je dois admettre qu'ils sont capables de l'impossible chez Vigier, comme avec ma Flying Foot guitare qui a la particularité d'avoir des ailes qui se déploient lorsque tu utilises la tige de vibrato ! Vraiment une idée géniale !

Copyright Mick Rock

D'où t'es venu l'idée d'utiliser un dé à coudre à la guitare ? 

J'en avais tout simplement la nécessité ! Il y a des sons que je voulais obtenir et que je ne pouvais pas trouver sur la touche de la guitare. J'ai essayé plusieurs outils différents et le dé à coudre s'est imposé assez logiquement car il me permet d'ajouter à tout moment une sorte de peau métallique au bout de mes doigts et ça donne un super son ! 

Nous te voyons aujourd'hui avec un Helix de Line 6 aux pieds et tu joues généralement sur des amplis Engl. Comment procèdes-tu aujourd'hui au niveau de l'amplification ? 

J'adore le son Engl car je trouve que c'est un bon compromis entre un son moderne et énergique avec un son et des mediums plus chauds et vintage. J'ai l'habitude de jouer sur le modèle Invader 100W mais depuis quelques temps j'utilise effectivement le Helix de Line 6 et lorsque je le rentre dans la section puissance du Engl Invader ce dernier colore le son à merveille ! C'est ma combinaison parfaite en ce moment et j'ai essayé d'autres amplis en tant qu'ampli de puissance pour le Helix et ils ne font pas tous aussi bien le job. Je trouve par exemple que les amplis Marshall ne vont pas très bien avec l'Helix, ils amincissent le son et le compressent un peu trop à mon goût. Avec le Engl, la coloration est bien présente, l'ampli de puissance ne fait pas qu'amplifier, et je trouve que cette couleur s'accorde à merveille avec le son du Helix. Je recommande aussi les amplis Fender comme ampli de puissance pour le Helix mais Engl reste mon option favorite. Je n'utilise plus vraiment la section préampli du Invader. Je joue tout le temps avec le Helix que je connecte dans le retour de la boucle du Engl et je me sers seulement de ses potards liés à la section puissance avec la Presence, le Depth Punch et les Master Volume. Côté Helix, j'utilise une combinaison entre une modélisation d'un ampli Engl avec un modèle virtuel de Line 6 dont je ne me souviens plus du nom mais qui ajoute juste ce qu'il faut de rondeur et de douceur au son de la simulation Engl. Le fait d'utiliser le Helix m'apporte aujourd'hui beaucoup plus de constance et d'uniformité dans mon son, quelque soit le contexte dans lequel je me produis et c'est également une solution très pratique ! Que je fasse des showcases ou une grosse tournée, je n'ai plus qu'à prendre mon Helix et si jamais je n'ai pas d'ampli à disposition en concert, je n'ai qu'à me brancher en direct dans la console, ça sonne également très bien! Line 6 a vraiment accompli un boulot fantastique avec le Helix (NDLR : Voir notre test du Line6 Helix) !

 

Interview Ron Bumblefoot Thal (Sons Of Apollo)