Luthier à Estaires dans le Nord de la France, Richard Baudry mêle savamment le "savoir-faire" et le "faire-savoir" depuis maintenant plus de 20 ans. Si vous fréquentez un peu les salons de guitare tels Issoudun ou les guitares au Beffroi de Montrouge (il sera d'ailleurs exposant à la prochaine édition fin mars 2019), nul doute que vous avez admiré un jour les fabrications de Richard, qu'elles soient acoustiques, électriques ou qu'il s'agisse de basses. Sa passion, il la transmet également à travers les solides formations qu'il dispense, en immersion totale dans son atelier pendant plusieurs mois, et qui ont fait "naître" au fil des années des luthiers aujourd'hui installés et reconnus.

Salut Richard, peux-tu te présenter et nous expliquer comment est née Baudry Guitares ?
J'ai 43 ans, je suis installé à Estaires dans les Flandres françaises. L'entreprise est née en 2001. Je fabrique des guitares acoustiques, électriques, des basses et d'autres instruments à cordes pincées (ukulélés, mandolines...) sur commande. La 130ème guitare est sortie de l'atelier en janvier. Voilà maintenant presque 30 ans que je suis dans le métier. Le temps passe...

Quel est ton parcours professionnel / technique et ce qui t'a amené à cette activité ?
Passionné de modélisme, je fabriquais à 12 ans des avions en balsa que je faisais voler et parallèlement je jouais de la guitare. L'idée de combiner mes deux loisirs est venue à l'âge de 16 ans et je suis parti en 1991 en apprentissage chez Christophe Leduc en passant parallèlement un CAP d'ébénisterie. J'ai ensuite effectué une sorte de "tour de France" des luthiers pendant quelques années, m'amenant entre autres chez Claude Fouquet et Franck Cheval et en 2001, après avoir travaillé un an dans un magasin de musique, je me suis installé dans mon Nord natal.

Quelles sont tes influences musicales ?
Je pense avoir été influencé un peu par les Beatles ou quelques folk singers que j'écoutais adolescent. Mais dans l'ensemble, j'écoute pas mal de trucs. Les rencontres avec les clients, musiciens pro ou non m'amènent à découvrir régulièrement de nouveaux courants musicaux. J'ai été pas mal marqué par Marcel Dadi aussi. Dans l'ensemble je suis assez ouvert à tout.

Quelle a été la première guitare que tu as possédée ?
J'ai fait mes armes avec une guitare classique que mon père avait récupérée quelque part. Mais elle sonnait pas mal. Je l'ai trimbalée partout. Elle est toujours chez mes parents.

Et celle que tu as fabriquée ?
La première guitare que j'ai fabriquée, c'était lors de mon apprentissage chez Christophe Leduc. Je rêvais d'une 12 cordes mais Christophe à l'époque ne fabriquait que des guitares électriques et des basses. Alors j'ai fabriqué une guitare 12 cordes... électrique. Elle est toujours à l'atelier, accrochée à un mur dans la pièce "musée" avec d'autres "premières" créations. Elle attire beaucoup le regard car je m'étais quand même pas mal embêté à faire une volute assez complexe pour une première guitare.
(Voir Photo)

Quelle est la particularité, la valeur ajoutée de tes fabrications ?
Je ne sais pas si mes guitares ont quelque chose de particulier. Je fabrique par envie, par passion selon ce que je souhaite d'obtenir. La longévité de la guitare est essentielle aussi, donc je fais en sorte qu'elle soit fabriquée le mieux possible, avec des bois de qualité, stables, assemblés de manière optimale et qui correspondent à mes goûts esthétiques et acoustiques ainsi qu'à à ceux de mes clients.

A qui s'adressent tes guitares ? Musiciens amateurs, confirmés ou pro ?
Mes guitares s'adressent à tous ceux qui ont envie d'en jouer ou d'en posséder une ( ! ). Ma clientèle est composée de jeunes, de moins jeunes, d'amateurs ou de pros, de joueurs confirmés comme de débutants. Comme je fabrique à la fois des acoustiques, des électriques, des basses ou d'autres instruments à cordes pincées, j'ai la chance de rencontrer des gens aux profils très divers. C'est ça qui fait aussi la richesse de mon métier.


Tu proposes également des formations longues (plus de 1000 heures) d'où sont sortis des luthiers aujourd'hui installés et reconnus, peux-tu nous en parler ? Qu'est-ce qui les différencie des autres formations comme celles de l'ITEMM par exemple ?
Oui, je propose depuis 2011 des formations continues de 1080 heures au sein de l'atelier. Je ne prends que 3 à 4 personnes maximum pendant 9 mois, de fin septembre à fin juin pour offrir une formation personnalisée et être disponible. Le stagiaire fait comme un luthier qui s'installe : Il fabrique ses propres guitares, il dessine ses modèles, moules, gabarits. Il fabrique l'outillage,  comme la cintreuse à éclisses, qui va lui servir plus tard quand il s'installera. Il fabrique entre 3 et 6 instruments au cours de sa formation. Bien entendu, les stagiaires n'interviennent jamais dans mon activité de fabrication et de réparation. Tout est bien séparé. Je fabrique de mon côté et ils apprennent la lutherie du leur. L'avantage est d'avoir une formation personnalisée en immersion totale dans un atelier de lutherie dont on peut observer l'activité et le fonctionnement au quotidien.

Tu as reçu fin 2017 le label EPV (Entreprise du Patrimoine Vivant) peux-tu nous expliquer ce que c'est et ce que ça a apporté à ton activité ?
Si tu reprends la définition officielle, le label EPV (Entreprise du Patrimoine Vivant) est "une marque de reconnaissance de l'Etat mise en place pour distinguer des entreprises françaises aux savoir-faire artisanaux et industriels d'excellence". C'est la Chambre des Métiers des Hauts de France qui m'a encouragé à le solliciter. Il permet en outre d'avoir des aides à l'export, ce qui peut être pas mal quand on souhaite exposer à l'étranger. C'est aussi une marque de confiance pour le client.

Tu viens de créer 2 guitares signature pour François Sciortino et Eric Gombart, quelles sont leurs particularités (aux guitares hein, pas aux zikos !!! quoique…)
La genèse de ma collaboration avec François et Eric remonte à un certain temps car cela fait plus de 10 ans que nous nous connaissons et que nous nous intéressons mutuellement au travail de l'autre. Et puis un jour, cela semble une évidence, Eric et François sont venus me voir pour me solliciter dans la création d'un instrument réfléchi pendant de longues années, au fur et à mesure de leurs expériences. Nous avons donc travaillé ensemble dans la conception de leur guitare.

Eric était précis quant au confort et au son qu'il souhaitait. Pour François, la démarche est différente puisque nous allons concevoir plusieurs versions de l'instrument qu'il envisage. C'est une collaboration sur le long terme. Je suis très fier de travailler avec ces musiciens de grand talent car notre travail commun fait évoluer ma lutherie et collaborer avec un artiste est une expérience très enrichissante.  En plus, ce sont de parfaits ambassadeurs pour mes instruments car ils aiment les jouer, ça se voit et c'est vraiment valorisant. Bref c'est une expérience super.


Et une 12 cordes aussi ! Tu nous en parles ?
J'ai toujours aimé la 12 cordes. Je trouve que c'est un instrument aux sonorités exceptionnelles. Et c'est intéressant à fabriquer. Cet instrument  s'adresse à une clientèle particulière et on n'en voit pas souvent dans les salons de luthiers. J'ai dû réaliser une dizaine de 12 cordes en tout. Mon design a légèrement évolué pour la dernière. Je trouvais assez difficilement des étuis adaptés alors j'ai retravaillé la forme sans concession pour l'acoustique.

Pour quel artiste, vivant ou disparu, aurais-tu aimé travailler ?
J'avoue ne pas savoir répondre à cette question. Je suis très content de travailler pour ma clientèle actuelle.  Je ne recherche pas la reconnaissance. Je ne cherche pas à marquer la lutherie française. Je veux prendre plaisir à faire mon métier, à évoluer, à m'améliorer et je veux fabriquer des instruments qui vont plaire aux guitaristes qui vont en jouer. C'est aussi simple que ça.

Entre guitares, expos, salons, quelle est ton actu et/ou tes projets à court et moyen terme ?
Outre la collaboration avec François Sciortino qui continue, je fabrique. J'ai des commandes et des calendriers de livraison à respecter. Il y a aussi pas mal de réparations, de réglages, bref le quotidien d'un atelier de lutherie. 
Le prochain salon auquel je participe sera Guitares au Beffroi ou Salon de la belle Guitare à Montrouge fin mars. Au mois de juin, j'organise un concert privé à l'atelier, comme je le fais tous les deux ans maintenant, à l'occasion de la remise officielle des guitares de François Sciortino et Eric Gombart. Ils vont jouer ensemble, ce qui sera assez exceptionnel. C'est un évènement qui fait venir pas mal de monde, d'abord des locaux mais désormais, certains n'hésitent pas à faire plusieurs centaines de kilomètres pour y participer. C'est cool.

Quels sont les problèmes majeurs que tu as rencontrés ou que tu rencontres encore depuis le lancement de ton activité ?
Je n'ai jamais rencontré de problèmes majeurs dans mon activité. C'est certain que le métier de luthier n'est pas facile car il faut à la fois savoir bien fabriquer mais aussi savoir se montrer. Le fameux "savoir-faire" et  "faire-savoir". J'ai la chance d'être soutenu dans mon activité par Catherine , ma femme, qui gère tout ce qui est chronophage pour moi, la gestion, la pub, les expos, l'administratif de l'organisme de formation... ce qui me permet d'être dédié à la lutherie à 100 %. C'est une aide énorme.
Après, la seule chose qui parfois me fait grincer les dents, ce sont les gens qui s'improvisent luthiers et s'installent sans expérience suffisante. Ils sont une plaie pour notre métier. C'est très bien qu'il y ait de plus en plus de luthiers en France car cela démocratise le métier. Les guitaristes franchissent plus facilement les portes des ateliers et arrêtent d'aller dans des magasins de musique pour entretenir leur instrument... et finissent par acheter des instruments de luthiers. Mais celui qui pousse pour la première fois la porte d'un luthier et vit une mauvaise expérience avec un mauvais luthier, n'est pas prêt à refaire confiance à un autre luthier. Il faut des formations solides et reconnues par la profession.


Penses-tu d'une manière générale que la presse et les pouvoirs publics s'intéressent suffisamment à l'artisanat ?
Je n'ai pas d'idée sur la question. Le fabriqué en France semble avoir le vent en poupe. La difficulté réside plus sur l'image de la guitare en France et les habitudes de consommation des guitaristes. La lutherie guitare est une niche, surtout en folk et en électrique. A l'inverse des instruments du quatuor pour lesquels les musiciens reconnus vont partir sur des instruments de luthiers, les guitaristes restent sur des guitares de série, facilement abordables et avec une valeur de revente. Le rapport à l'instrument n'est pas le même. Et pourtant, l'artisan luthier fait du sur-mesure en terme de confort, d'esthétique et d'acoustique, ce qui reviendrait extrêmement cher si on le faisait faire en custom shop par les marques. C'est un peu comme le prêt-à-porter par rapport à la haute couture...

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Liens

Site Internet de Richard Baudry

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