Johnny Duschnol était dépité. Sa prestation au PMU de la gare devait être le point de départ du renouveau de sa carrière, prouvant qu'à défaut de pouvoir en avoir le groove, il savait sortir le son de David Gilmour grâce à son fabuleux nouveau matos. Malheureusement, la soirée a consisté en une heure à chercher la source d'un faux contact au milieu d'un gloubiboulga de 53 câbles emmêlés, et il a fini par emprunter le Peavey Bandit de son petit neveu, sous le regard goguenard de Steven Dugemou, le guitariste du cover band suivant, et de son rack 48 unités à lumières bleues.

Allez, je vous ai fait attendre pour cet article mais on s'approche de la fin les amis, bientôt vous allez, grâce à mes conseils exemplaires et emplis de modestie avoir un rutilant rig qui fonctionne du feu de dieu ! Aujourd'hui nous allons câbler tout ça, mais nous allons faire ça bien.

Note préalable bis répétitatoume: ces articles sont un partage d'expériences, notamment professionnelles, mais ne sont pas à prendre comme parole d'évangile. Nul ne détient la vérité absolue, et certainement pas moi, surtout que dans la musique, les parts de subjectivité sont fortes.

Sur mesure ou tout fait ?

Alors ce premier choix des armes, au final il est tout bête copain. Si tu as peu de pédales/racks, qu'ils sont tous reliés en série par 10 cm de câbles, ne t'embête pas à envisager un câblage personnalisé. La raison est simple : si on peut imaginer que sur certaines choses le savoir-faire artisanal soit une réelle plus-value, sur d'autres, on fera au mieux aussi bien, mais jamais mieux qu'une machine, ou qu'un assemblage semi-industriel ultra rodé. De plus, comme nous allons le voir plus loin, une belle soudure, ce n'est pas ce qu'il y a de plus facile, ça exige un peu de méthode, un peu de matos, et pas mal de patience... Donc si tu peux t'éviter cet écueil, je n'ai qu'un seul conseil : FAIS-LE ! Tu perdras pas beaucoup de sous, par contre tu auras le temps de boire quelques bières de plus sur ta terrasse, mais en loucedé, parce que si on voit que tu branles rien, on pourrait te demander d'aller tondre le gazon...

Un câblage sur mesure commence à être une option sérieuse sur les gros systèmes, là où l'on voit que la longueur cumulée des câbles va se chiffrer en mètres voire plus (15 mètres de câble dans un gros rack, ce n'est pas si rare que ça !), et que par conséquent gagner quelques centimètres par-ci par-là n'est pas négligeable, à la fois pour le son, pour la propreté du câblage, et aussi pour la satisfaction de tes partenaires sexuels, euh non, pardon, je m'égare.

Un des câblages les plus complexes que je n'aie jamais fait. Des heures et des heures de boulot !

Les critères

L'offre en termes de câbles est plus que pléthorique, qu'il s'agisse d'acheter des scoubidous complets ou du câble au mètre avec de la connectique. Je commencerai par rappeler qu'on entend à peu près tout et n'importe quoi au niveau de ce choix, avec tout un panel de nuances allant de "tous les câbles c'est la même chose faut être complètement crétin pour mettre plus de 50 centimes dans un patch" à "si à 50 ans t'es pas tout câblé en Van De Hul ou Vovox, non seulement t'es sourd mais en plus t'es un sale loser pauvre". 

Le premier truc sur lequel je reviens sera toujours la fiabilité, car c'est un critère factuel et non subjectif. S'il faut mettre un minimum d'argent dans ses câbles, c'est surtout pour éviter les craquements, les faux-contacts, les casses impromptues. On peut faire tous les concerts du monde avec un câble qui a PEUT-ETRE un ou deux DB de pertes dans les harmoniques à 10kHz, mais pas avec une valise de 10 câbles dont 9 pétés.

En premier lieu, la connectique répond à deux critères : le format et la solidité.

 - Le format car bien souvent dans un pedalboard ou un rack, la place est limitée. Il faudra choisir avec soin si on utilise des jacks droits ou coudés, voire de type "pancake". Attention aussi certains jacks droits ont un corps assez épais (Neutrik NP2C par exemple), et sur des loopers ou des mini pédales, il sera impossible d'en brancher.

Le "pancake" (Switchcraft, GHS ou Hicon) pour gagner de la place

 - La solidité peut être choisie en fonction de l'usage. Les câbles branchés en fixe dans le système ne seront pas débranchés et rebranchés souvent, pas soumis aux chocs et aux tractions. Il y a donc moyen de faire de petites économies sur ces connectiques, économies qui multipliées par plusieurs dizaines de connections ne seront pas négligeables. A contrario, si l'on parle d'un câble d'instrument, de multipaire, des jacks qui serviront à connecter le rig à l'ampli... Il ne faut pas lésiner sur la connectique qui sera très très sollicitée !

A titre d'exemple je citerai quelques classiques : 

 - Les connecteurs Neutrik de la série NP2X sont le grand standard pour moi en câble mobile. Ces jacks sont solides et faciles à manipuler, avec un système de maintien du câble fiable
 - Les connectiques Switchcraft sont de grande qualité avec une très bonne tenue dans le temps, et ont l'avantage par rapport aux Neutrik d'un format très facile à utiliser. Les corps de jack sont fins et disponibles aussi en format court. En revanche la marque est assez chère...
 - Les jacks de chez Hicon sont une bonne alternative aux deux marques ci-dessus. Il y a une gamme assez complète proposant des jacks de plusieurs formats qui s'avèrent d'un très bon rapport qualité/prix
 - Les jacks Rean sont une sous-marque de Neutrik, très économiques mais de fabrication correcte, d'un format proche des Switchcraft, je les utilise personnellement pour les câbles ne véhiculant pas d'audio (footswitches etc.)

Le Neutrik NP2X est LE standard actuel en câble instrument

Et le câble en lui-même, quels critères ? Eh bien il y en a un peu plus. La fiabilité toujours, le format, la rigidité/mémoire, et oui, le son.  En fonction encore une fois de l'usage du dit câble au sein du système, on pourra préférer quelque chose d'assez fin et rigide (câblage interne) ou au contraire très souple, sans mémoire de forme, notamment pour le câble instrument. En termes de fiabilité, un câble trop cheap peut à l'usure créer des micro coupures, ou des craquements par effet de peau (capacité électrique qui se crée entre le point chaud et la masse). Quant au son, eh bien... à chacun de voir midi à sa porte, s'il est manifeste qu'un yellow cable ou un stagg bouffe des aigus et des harmoniques, je ne m'aventurerai pas sur le débat houleux qu'il peut y avoir sur les câbles très haut de gamme. A titre absolument personnel je suis un partisan du bon rapport qualité/prix.

Encore une fois, quelques exemples :

 - Pour les câbles instrument, je choisis la plus grosse qualité de tout le système, avec un câble souple mais un tant soit peu épais, et solide. Sommer Cable spirit, Providence, Mogami, Belden sont ceux qui me viennent en tête.
 - Pour les câbles multipaires et de liaison, toujours épaisseur et solidité, mais on peut rogner un tout petit peu sur la rigidité (Sommer spirit XXL par exemple).
 - Pour les câbles internes, je pense Evidence Audio Monorail, Free the Tone. Ces câbles ont l'avantage d'être très fins ce qui réduit l'encombrement. En cas de budget un peu moins extrême, j'apprécie le Sommer Cable Tricone et le Mogami, qui sont faciles à travailler (et quand on a 50 jacks à souder, OUI c'est important !)

Enfin sur les câbles tout fait, il y a de tout. Privilégiez ceux avec des connectiques solides (Neutrik, Switchcraft ou bien certaines connectiques propriétaires comme Monster Cable), mettez-y un minimum d'argent quand même pour vous garantir un travail correct sur les soudures et le contrôle qualité. Si vous êtes pointilleux sur le son, essayez-en plusieurs. Voici quelques modèles à tous les prix mais dont j'ai été personnellement satisfait :

 - Sommer Colonel Incredible : très bon rapport qualité prix, câble peu bruyant, un peu de mémoire de forme par contre
 - Klotz Rockmaster : Rien à dire, connectique Neutrik et bon câble
 - Rapco Horizon : très bon câble de scène, increvable, connectique Switchcraft
 - Evidence Audio Lyric HG: Très bon son, très solide, un peu rigide et un peu beaucoup cher par contre...

Mon Colonel Incredible, toujours vaillant !

Au fait, et les câbles sans soudure ?

Hmmm... vaste débat sans doute, mais pour être franc, j'en ai utilisé pas mal, et mon point de vue est simple : Nope. Pour quelles raisons ?

 - Parce qu'au final, pour que ce soit fait correctement et proprement, ce n'est pas plus simple qu'une soudure maîtrisée, parfois même au contraire... Je me suis vraiment tué les doigts, une fois, sur un board à faire entièrement en "sans soudure" ...
 - Parce que vraiment, tu as besoin de refaire tes câbles toutes les semaines ? je ne crois pas.
 - Parce que du coup le rapport qualité/prix des connectiques sans soudure est moindre que celui des connectiques standard. Les sans soudures sont chères, entre 5 et 10€ le connecteur contre 1 à 3€ pour un modèle à souder !

Après si, ce qui peut être sympa, c'est d'avoir un ou deux mètres de cable dans ton sac avec deux connecteurs sans soudure et un cutter, dans une situation de live ou tu dois réagir vite sans avoir la possibilité d'utiliser un fer à souder, ça peut te sauver la mise... mais c'est le seul cas à mes yeux.

Un kit comme ça, c'est presque 90€ pour 5 petits câbles...

Le soudeur caustique

OK, donc pour tous ceux et celles qui une fois bien défini le besoin ont décidé de faire sur mesure et qu'un guitar tech ça revenait trop cher, on va se faire une petite leçon de "je soude pour les nuls". Bien entendu, cela exige patience, précaution, et précision, mais tu verras que si tu as ces qualités ce n'est pas bien mortel.

Pour commencer, choisis un fer de qualité qui chauffe bien avec une panne pas trop épaisse, et de la bonne soudure de qualité. Interdiction de choper le premier truc qui vient au supermarché. Pour l'exemple, un bon qualité/prix est de prendre un Weller basique avec son support et son éponge, tu t'en tireras pour une centaine d'euros. Ce n'est pas donné certes, mais c'est un investissement ! Le mien compte des milliers de soudures à son actif sur pas loin de 10 ans sans jamais broncher.

Le reste de l'outillage ? Une pince à dénuder et/ou un bon cutter, une petite pince multiprise à bouts fins et nous sommes prêts à taillader sauvagement du cuivre puis à le brûler MOUHAHAHAHAHAAAAA !

En premier lieu, il s'agit de couper la bonne longueur de câble, en prenant en compte la partie qui sera insérée dans le connecteur. Ne pas hésiter à se prendre un centimètre de marge de manœuvre au cas où la mesure ne serait pas précise, ou que l'on aurait à recouper à la suite d'une mauvaise manipulation. Attention aussi si tu as des éléments mobiles (étage de board amovible, tiroir) tu dois laisser suffisamment de jeu pour que le mouvement ne soit pas entravé. Oui ça paraît évident comme ça, n'empêche que je me suis déjà fait avoir. Oui ça va, hein, pouet pouet. Une fois le câble coupé, ne pas oublier de faire glisser sur le câble le manchon et la gaine du connecteur, sinon... ben faut tout recommencer !

On dénudera ensuite proprement, d'abord au niveau du blindage, puis l'âme du câble sur une longueur plus courte. Attention comme ici, il y a parfois une couche de matière conductrice noire servant à éviter l'effet de peau, il faut également la retirer pour éviter les faux contacts.

L'étape suivante est ce qu'on appelle l'étamage. Afin que la soudure soit rapide et efficace, il s'agit d'appliquer une quantité d'étain sur les deux parties à souder avant de les relier ensemble. Sur le connecteur, il faut chauffer quelques secondes pour que l'étain fonde et s'applique correctement. Sur le câble, l'étain va se propager dans le cuivre par capillarité.

Une fois l'étamage fait, il ne reste plus qu'à souder les deux parties ensemble. Attention à ne pas maintenir la pointe du fer trop longtemps dans la soudure pour ne pas la brûler, pas plus de quelques secondes.

Et voilà !

Ce qui est à surveiller pour être sûr d'avoir fait une belle soudure :

-Attention à ce qu'il n'y ait pas de gros "pâtés" d'étain ou des brins de cuivre qui dépassent, cela risque de créer des faux contacts une fois le connecteur refermé.
-Une bonne soudure doit être brillante et sans "rejets". Si l'étain est mat, s'il y a une fine couche de dépôt noir ou caramel foncé, on risque d'avoir fait une soudure dite "sèche", où la connexion entre les éléments ne se fait pas correctement. Pour éviter la soudure sèche, ne pas appliquer le fer trop longtemps sur les éléments (pas plus de disons 3-4 secondes)

Une fois la soudure faite et propre, il ne reste plus qu'à refermer le connecteur et surtout à tester le câble (oui, faites-le toujours avant le montage !) un testeur de câbles vaut une trentaine d'euros, et c'est un investissement très justifié ! Au moment de tester, n'hésitez pas à "secouer" un peu vos connectiques pour vérifier l'absence de faux contact. Même pour des câbles en statique, chocs et vibrations peuvent faire lâcher la soudure qui sera un peu "limite"... 

N'oublie pas copain, un, deux, dix contrôles valent mieux qu'un doute ou qu'une panne. Teste chaque liaison à chaque fois que tu la mets en place sur le système, fais ton câblage dans l'ordre (d'abord les alims, le MIDI, les switches, puis l'audio) et vérifie à chaque étape que tout marche avant de passer à la suite. Si une merdouille se glisse là-dedans, tu seras bien content de ne pas aller chercher dans la nasse de 10 câbles soigneusement toronnés qui va de ton tiroir à pédales vers ton looper...

Voilà ! Tu vois le bout du tunnel, comme le proctologue ! Pour le dernier article, nous allons voir comment configurer tout ça, avec quelques petits éléments basiques de débogage.

A très bientôt !

PS : tu as laissé ton fer à souder allumé, petit étourdi.

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Concevoir et assembler son pedalboard ou son rack - Episode 5 - Le câblage