marcel lévy, dans "la vie et moi", concluait ses considérations sur la religion par ces lignes :
Il y a quelques années, je causais avec un communiste qui m'apprenait non sans fierté qu'une chaire d'athéisme avait été instituée dans je ne sais plus quelle université. Il m'était un peu nouveau de voir l'athéisme élevé à la dignité d'une science, mais puisque la théologie fut pendant des siècles la science par excellence, pourquoi pas ? Je répondis à mon propagandiste que, sans vouloir porter atteinte à la majesté des sciences en général et de l'athéisme en particulier, j'estimais qu'il fallait autant de foi, peut-être plus, pour être athée que pour professer une religion quelconque. De toute façon dire du mal de Dieu est à mon avis lâche et inélégant. Il ne peut pas ou ne veut pas se défendre. Si l'on veut absolument faire preuve de témérité, qu'on s'en prenne au Diable. Il a bec et ongles.
Du reste, les progrès de la science, si progrès il y a, ne reculent nullement les bornes de l'inconnu. Ils se contentent d'augmenter la superficie du domaine de la connaissance, et multiplient par là les points de contact avec le mystère. Plus on est savant, et plus on est conscient de ses déficiences ; il n'y a que les ignorants qui soient toujours certains d'eux.
Par esprit d'équité et sans me targuer d'être pieux, je dois reconnaître que la décadence de la religion que nous constatons depuis deux siècles correspond assez exactement à un ravalement de l'intellect et de la morale, à une marche ascendante de la barbarie politique et du crime à grande échelle. À chacun d'en tirer ses conclusions. Je trouve aussi remarquable que la France, la fille aînée de l'Église, la patrie du roi très-chrétien, des Gesta Dei per Francos, la terre d'où jaillit au Moyen Age la floraison la plus éblouissante de cathédrales, soit devenue avec le temps la patrie de l'incrédulité. Il y a des choses qu'on ne comprend pas. C'est ça la religion. [...]
La nature de Dieu étant infiniment au-dessus de l'entendement humain, les religions s'éloignent d'autant plus de la vérité qu'elles essaient de définir et d'expliquer la Divinité de façon minutieuse et circonstanciée. Si l'on fait abstraction de la Révélation, qui est une pétition de principe, la théologie, ou science de Dieu, est non seulement absurde, mais sacrilège. Il est contradictoire de vouloir définir l'infini.
Je serais désolé si ces quelques pages, où je me suis contenté d'effleurer de façon très superficielle et sans malice un sujet d'une importance et d'une profondeur incalculables, pouvaient donner la moindre impression d'irrespect et de cynisme. Si la religion est un atavisme sans valeur pour le critique incrédule, et l'opium du peuple aux yeux du révolutionnaire de profession, elle est aussi le soutien et l'espoir de millions de misérables. Qu'elle soit peut-être une illusion parmi d'autres, qu'elle ait été la complice des pires forfaits, qu'elle nous assène ses dogmes comme autant de vérités, voilà qui la rapproche singulièrement de la science, sa vieille ennemie, laquelle entend aussi avoir raison sur tout, bien que brûlant d'un coeur joyeux ses théories l'une après l'autre. Admettons que toutes deux peuvent à l'occasion propager le bien, et gardons-nous de moquer les vertus balsamiques qu'elles dispensent aux âmes en peine.
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