oliolo a écrit :
Tu me dis que le sentiment de l'amour n'est pas mesurable scientifiquement, qu'il n'est pas possible de l'étudier objectivement et qu'à travers ce simple exemple ma position intellectuelle se trouve fragilisée, je pense que tu as tort.
_ les sciences humaines (la psychologie, la sociologie, l'histoire, l'anthropologie...) et les sciences "dures" (sciences du cerveau avec la conception évolutionniste de la cognition...) peuvent prendre pour objet ce sentiment et elles ne se gênent pas, même si leurs résultats ne s'expriment pas "en dB en Pascal ou en Newtons".
_ la littérature offre aussi de très nombreuses tentatives de descriptions de ce sentiment (on peut penser à "La Recherche..." du vieux Marcel ou aux atermoiements de Jayne Austin, personnellement je préfère l'extraordinaire "Homme sans qualités" de Musil...)
Je ne sais plus qui parlait d'éprouvettes et d'expériences en laboratoire pour caractériser la science, c'est caricatural tu peux le reconnaître.
certes, je forçais le propos volontairement histoire de rendre mon discours plus clair. Je sais parfaitement que la science ne se limite pas aux éprouvettes
, mais là c'est un peu vasouilleux, enfin je trouve, au sens où comme Bobba l'a dit, les neurobiologistes ont beau essayer d'expliquer ce phénomène quantitativement et qualitativement du point de vue biologique cela ne fait pas avancer le shmilblick quand à ce qu'est ce sentiment quand on le vit. (c'est pas très jolie comme tournure de phrase, mais aujourd'hui, je suis un peu à l'ouest, y'a des jours comme ça
...). Pas plus que les sciences "moins" dures, d'ailleurs. De plus ce sentiment n'est qu'un exemple destiné à faire réflechir, on pourrait l'étendre à toute la sphère émotionnelle, ou aux domaines artistiques comme on l'a déjà évoqué. D'ailleurs bonnant, mallant, je ne vois pas ce que vient faire la littérature dans ton argumentaire, cela n'est pas de la science justement.
oliolo a écrit :
Etablir des inférences correctes est déjà une propriété de la pensée rationnelle.
certes, mais justement c'est cela qui me gène, comme je l'ai déjà dit. Quand une inférence est-elle correcte? Hors du domaine purement scientifique, c'est une question à laquelle il n'est pas si évident de répondre. Cela ne veut pas dire que, question de référentiel, toutes les affirmations se valent, sinon, on tombe dans le relativisme (:lol
, mais qu'il convient d'avoir à l'esprit que ce que l'on tient pour acquis ne l'est pas forcemment. En fait la science, c'est comme la religion, c'est rassurant, on se sent à l'aise, on pose les hypothèses , on étudie, on raisonne. En mathématiques, on bosse sur un système qui repose sur une axiomatique (bon évidemment si elle est fausse, on est embêté :lol
et hop en travaillant logiquement, on fait des choses qui sont justifiées, tout est précis et bien cadré, c'est fort sympathique en somme et fort rassurant. C'est plus ou moins vrai pour toutes les sciences dures, un peu moins pour les sciences humaines mais on essaie d'y calquer le schéma des sciences dures... En revanche ce qui me semble viscié dans l'approche d'un Dawkins (en tout cas dans ce qui transparait dans son discours, on verra quand j'aurai reçu un de ses bouquins que j'ai commandé sur amazon), c'est qu'il présente son discours comme un discours "scientifique" alors qu'il est éminemment subjectif. Dans le passage que tu as cité si je reprends la phrase :
Citation:
Maintenant, si l'on nous rétorque qu'il y existe effectivement des raisons X, Y et Z pour lesquelles il est plus plausible de trouver un être suprême qu'une théière, alors X, Y et Z doivent être clairement précisées – car si elles sont légitimes, elles représentent des arguments scientifiques qui doivent être évalués.
elles se présente comme logique et affirmative, alors qu'elle est réductrice et pleine de sous entendus. En gros son histoire de la theïère revient à dire : "l'agnostisme est une position intenable car si on est agnostique pour la notion de Dieu, on doit l'être pour tout ce qui n'est pas prouvé scientifiquement, même le plus absurde (bonjour l'inférence correcte de la pensée rationnelle
, le bon vieux syllogisme de cheval bon marché ne fait pas mieux) par exemple la théïère en orbite, et si jamais on a l'outrecuidance d'affirmer que toutes les inférences non prouvées ne se valent pas, alors ces inférences qui se veulent plus vrai que les autres doivent présenter leurs arguments qui deviennent pour le coup des arguments scientifiques (là c'est un petit tour de passe passe qui permet de tout ramener à la science) qui peuvent donc être évalués mesurés et soumis au jugement de la science (qui pour le coup assume le rôle de Dieu dans les religions :lol
". Alors même que 3 lignes plus haut, il affirme lui même
Citation:
De toute façon, les optimistes parmi les scientifiques – et j'en fais partie – répètent que "ce que nous ne comprenons pas" signifie seulement "ce que nous ne comprenons pas encore". La science continue à travailler sur la question. Nous ne savons pas où, ou même si, nous serons finalement à court d'explications.
En clair, il n'en sait rien non plus sur le où et sur le si... Mais bon cela ne l'empêche pas d'affirmer qu'il peut tout passer à la moulinette de la science quand même... De plus on ne peut pas tenir pour faux tout ce qui n'est pas prouvé par la science sous peine de dire que la science n'a plus rien à prouver... en clair il y a comme un truc qui cloche dans son système axiomatique vu que l'on aboutit quand même à des incohérences (ah Gödel... :lol
. Ce n'est pas étonnant dans la mesure où son discours est un discours d'opinion. Ce que je trouve génant, ce n'est pas son opinion, mais le fait de la présenter comme un argumentaire scientifique lui conférant ainsi un pouvoir de véracité que de toute évidence elle n'a pas. En plus ce discours est affreusement manichéen, en clair, si l'on n'est pas absolutiste (du côté des bons : les scientifiques ou des mauvais : les religieux), on est un infâme relativiste incohérent, c'est tout blanc ou tout noir
. Le tout à grand coup de termes péjoratifs bien culpabilisant "cette attitude de complaisance qui consistent à faire des contorsions", "Quoi qu'il en soit, l'opinion selon laquelle la religion et la science occupent des magistères séparés est malhonnête." et patati et patata (et hop on joue sur le vieux fond culturel judeo-chretien inhérent aux sociétés occidentales, les armes de l'ennemi sont toujours bonnes à prendre :lol
. Alors autant je comprends ce contre quoi il lutte (les discours sectaires et la montée en puissance d'un certain nombre d'entre elles cf scientologie et autres, la montée des intégrismes religieux dans les cultes établis, la montée d'un certain discours "sciento-mystique" comme celui des tenants de l'"intelligent design" dans le domaine de l'anthropologie (à ce propos, le hors série du nouvel obs est assez intéressant), etc, etc...), et je suis même d'accord avec lui, autant son discours ne s'avère pas extrêmement convaincant du point de vue de la rigueur scientifique, justement. Il a un certain côté scientiste qui me gène profondemment.
oliolo a écrit :
Ce qui me perturbe dans ton recours à l'introspection pour juger d'un sentiment, c'est qu'elle n'est pas forcément le meilleur moyen de connaître celui-ci.
L'accès direct et clair à ses propres pensées à travers l'introspection est souvent menacé par l'illusion.
Qu'est-ce qu'une illusion?
Ce n'est pas forcément une erreur, elle n'est pas forcément fausse, irréalisable ou en contradiction avec la réalité. Avec Freud, j'appelle illusion une croyance dans laquelle la motivation, l'accomplissement de souhait vient au premier plan et je fais là abstraction de son rapport à la réalité effective, tout comme l'illusion elle-même refuse à être accréditée. Pour citer encore le père Sigmund: "Le secret de sa force, c'est la force de son souhait."
Ah les citations, c'est bien beau, mais ça fait pas toujours avancer le schmilblick. Totalement d'accord avec toi : l'introspection n'est pas le meilleur moyen de juger d'un sentiment et elle est soumise à l'illusion, mais jusqu'à preuve du contraire, la science n'est pas le meilleur moyen non plus. Pour moi tout cela repose sur l'illusion scientiste que la science permet ou permettra à terme de tout expliquer, en clair, la science est Dieu. C'est extremement rassurant parce que cela permet d'avoir un cadre. La science aujourd'hui me fournit un cadre comme en ont fourni les systèmes religieux pendant des millénaires et même mieux ce cadre
est la réalité loin des mystiques du passé (attention hein, c'est pas la science qui dit ça ce sont les scientitstes). Bon et bien ce discours ne me convient pas, il ne me satisfait pas
.
oliolo a écrit :
cdmat76, tu peux admettre que le travail scientifique est pour nous la seule voie qui puisse mener à la connaissance de la réalité extérieure à nous. Pour la réalité "intérieure", c'est pure illusion que d'attendre quoi que ce soit de solide de l'intuition et de la plongée en soi-même.
Outre que je trouve la dernière phrase bizarre placée après une citation de Freud, non justement, pour moi la réalité scientifique n'est pas la seule voie. Pour moi la science est un outil merveilleux qui nous permet d'appréhender le monde qui nous entoure en nous éloignant des mystiques passées, mais en gardant à l'esprit les limites de cet outil. Que cela soit des limites dues aux insuffisances des théorie scientifiques à un instant t, qui seront remplaçée par des théorie plus vastes par la suite, ou les limites inhérentes à l'approche scientifique elle même. Pour moi la science n'expliquera jamais l'humain dans son ensemble. Je réfute le manichéïsme inhérent au discours d'un Dawkins ou au tien oliolo (en tout cas je le perçois comme étant manichéen). Je ne vois pas en quoi il est lâche d'être agnostique. Je veux bien qu'on en soit persuadé, mais l'extrait cité ne représente en rien une preuve de quoi que ce soit pour moi.