Épiménide, un orateur, un poète, un chaman crétois, ce qui faisait déjà beaucoup, avait coutume de dire «Tous les Crétois sont des menteurs», ne s’efforçant même pas de donner suite à son invective.
Eubulide de Milet se serait permis un peu plus tard cette variation : « Un homme déclare : "Je mens". Si c’est vrai, c'est que c’est faux. Si c'est faux, c'est que c’est vrai. »
Pas si loin de là, en fin de compte, années après années, et l’une après l’autre, toutes les planches de cette petite barque, à Delphes, avaient été remplacées et tous ses clous ou chevilles aussi.
L’usure comptait son temps.
Or, un jour arriva où plus aucune pièce d’origine ne subsista. L’oracle de Delphes demanda alors au propriétaire de l’infime bateau s’il s’agissait toujours de la même embarcation.
Le propriétaire de la petite barque fatiguée et juvénile, cela va de soi, haussa les épaules et acquiesça. Il tourna le dos à l'oracle, leva les yeux au ciel et, son filet sur le dos, s’en vint au rivage, tirant la petite barque attachée à sa taille.
Bref, pas de quoi se baigner deux fois dans le même fleuve.
«Wir leben unter finsteren Himmeln, und –es gibt wenig Menschen. Darum gibt es wohl auch so wenig Gedichte. Die Hoffnungen, die ich noch habe, sind nicht groß. Ich versuche, mir das mir Verbliebene zu erhalten. »
Paul Celan, 18 mai 1960, Lettre à Hans Bender.