Triplet Feel a écrit :
Bonjour à tous !
...je parcours très régulièrement ce fil, en ai lu toutes les pages, et y revient souvent: il faut dire que toutes ces contributions constituent une véritable richesse, bravo !
Une petite question à sa lecture, une petite curiosité ...
On disserte (et on démontre aussi souvent
beaucoup ici d'harmonie, mais presque exclusivement sous le prisme de l'improvisation bop et post-bop, en se référant la plupart du temps à des grilles connues, voire aux plus fameuses du Real Book : on ne compte plus les interventions sur Autumn Leaves ou All The Things ... ce qui concourt au foisonnement d'idées dont je parlais plus haut, et dont ce forum peut se féliciter.
Si je trouve cela passionnant (et ce n'est pas une formule), cela m'éloigne un peu de "ma" pratique de la guitare. Je ne me considère pas vraiment comme un guitariste, l'instrument n'est qu'un outil, je n'ai choisi celui-là que pour sa facilité. C'est pourquoi je ne "consomme" que très peu de matériel (pas geek le Triplet!), et suis peu exigeant sur mon "son" (acoustiquement parlant).
J'écoute toujours énormément de musique (musiques?) de jazz, et ne me lasse pas de Trane, Miles, Monk, Chet, etc ..., mais surtout comme auditeur. Une fois la guitare amoureusement plaquée sur le buste, je ne fais que très peu tourner ces grilles, et préfère me laisser aller à des références plus modernes, voire des formes d'improvisation plus libres, dans une optique, juste pour le plaisir et sans aucune prétention, de création. Je ne joue ainsi que des "pièces" très courtes, en quête d'une mélodie, d'un pattern, d'un riff, et m'ennuie assez vite quand il faut choruser en longueur : je laisse cela à de plus doués que moi ! En fait je joue en cherchant des idées, des ambiances, sur lesquelles d'autres, bien meilleurs, pourraient improviser, et que je tente d'harmoniser...
On parle peu ici d'écriture (je n'ose pas dire de composition, j'en suis encore très loin) ... pour vous, la quête du jazz se concentre-t-elle principalement sur l'impro ?
Travaillez-vous des thèmes perso ? Dans quels styles, avec quelle approche ?
Je sais bien que cela peut ouvrir à de plus larges réflexions (improvisation et création ? essence même de la musique de jazz ? musique écrite ?), je ne veux pas faire dévier ce fil, mais je reste curieux de vos points de vue et retours sur ces questions ...
Merci de m'avoir lu, et j'espère @ bientôt !
Salut à tous,
je voulais répondre à Triplet Feel sur ma pratique. Il faut savoir qu'aujourd'hui j'ai complétement arrête la guitare, cause reprise des études à la Sorbonne. C'est de l'intensif donc pas le temps de faire quoi que ce soit d'autre.
Pour ma part, j'ai toujours été un improvisateur. J'ai manqué d'éducation musicale, ce qui a laissé des stigmates rythmiques que j'ai eu du mal à gommer. En gros, j'ai réussi à réparer les dégâts en passant 6 mois en tête à tête avec mon métronome. On ne le répétera jamais assez :
1/ le rythme
2/ l'harmonie
3/ la technique
Si tu passes à côté de la partie rythmique, tu cherches un Graal que tu ne trouveras jamais.
L'écoute du jazz (généralement des pianistes) me fait subir une sorte de phénomène cognitif super bizarre et très éloigné des autres musiques en général. C'est à cause de ce phénomène que j'ai cherché à jouer du jazz by myself.
Après avoir réussi à comprendre tous les phénomènes qui se passait dans ma petite tête, j'ai réussi à identifier des éléments qui font le jazz :
1/ La pulsation n'est pas le tempo. Les joueurs de jazz jouent "beaucoup plus en rythme que n'importe quel autre musicien", mais il jouent rarement sur les temps. C'est un paradoxe et il faut vivre avec.
2/ Le swing est fondamental (dans le jazz que je joue, c'est à dire, le jazz classique). Le swing est un phénomène qui rend élastique les temps 1 et 3 et qui prend les temps 2 et 4 comme des "rendez vous" pour tous les instrumentistes. En jazz classique, la guideline, c'est le coup de charleston sur le temps 2 et 4. Toutes les appellations adjacentes : groove, laidback et autres sont justement extrêmement liées à mon fameux phénomène cognitif : c'est le manque, c'est l'attente de la note, qui crée ce phénomène.
3/ Par convention, le jazz classique cherche des tensions sur les accords de degré V. Pour apporter ces tensions, on joue des notes qui n'appartiennent pas à la gamme de l'accord. Typiquement, le degré V de la gamme de C majeure est un G7 composé des notes Sol, Si, Ré, Fa. Ce sont respectivement les degrés
(Edit) 5, 7, 2 et 4 de la gamme de do. Une idée simple est de jouer les notes Réb et Mib qui sont les degrés 5b et 5#
(Edit) de l'accord de G7 pendant qu'on déroule l'accord de G7. Cela crée une tension. (la suite juste après)
4/ toute tension n'existe que par rapport à son alter-ego : la relaxation (que certains appellent la résolution, parce qu'ils ne tiennent compte que de l'aspect harmonique). Donc, après avoir réalisé une tension, il est important de revenir à une situation apaisée.
5/ la variation de volume sonore est une des grandes caractéristiques du jazz. Il y a des accentuations à donner (un peu comme les accents toniques dans la langue anglaise) et il y a des chuchotements à mettre en oeuvre. Cela participe également de la "tension et relaxation".
6/ L'attaque est le moment clef du jazz classique. Les notes tenues sont rares.
Après, une fois que tu as intégré tous ces éléments, il faut trouver ton style en utilisant :
plus ou moins de tensions (je pense à Michel Petrucciani et Keith Jarrett qui jouent globalement très peu tendu comparé à Monk ou Trane)
plus ou moins de couleurs (Je pense à Paco qui fait tourner en boucle le mode phrygien espagnol et à Al Di Meola qui utilise également des écarts d'un ton et demi lui permettant d'orientaliser son phrasé)
plus ou moins de swing (Je pense à Sco qui swingue très peu, mais qu'on aurait du mal à qualifier de "classique" dans son approche).
A la toute fin, pour affirmer ton style, il y a des trucs :
les licks qui permettent de marquer le style.
les débuts et/ou les fins de phrases en arpèges, en mode chuchotement.
etc...
Mais, ça c'est la cerise sur le gâteau.
Pour répondre à ta question : Les thèmes persos que j'ai composés étaient relativement pauvres. Je pense qu'en jazz, l'appropriation des choses existantes est plus important que la création. Tout simplement parce que la création n'est pas là où on l'attend en général. C'est pas parce que tu as aligné un thème de 50 notes sur un papier que ça en fait un morceau de génie. C'est parce que les gens se le sont approprié que ça devient un morceau de génie.
Un morceau de jazz que je compose dans ma chambre et que je ne joue pas à un public n'a aucun intérêt. A contrario, un morceau de génie comme "for Séphora" tire principalement son génie de son interprétation en public. Et si tu y regardes de plus près, les codes utilisés dans ce morceau, tu y trouveras juste un morceau qu'on peut siffler dans sa douche, rien de plus...