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XavBat
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Les 18 et 19 août dernier, filmé par Jonathan Demme
pour un documentaire qui sortira l’an prochain, Neil
Young présentait en avant-première ses nouvelles
chansons sur la scène du mythique Ryman Auditorium de
Nashville. Il était habillé par l’illustre Manuel, le
couturier de Johnny Cash, et a joué une chanson sur
une guitare ayant appartenu à Hank Williams – la
guitare était dans la Cadillac du père fondateur de la
country quand il est mort d’une overdose en 1953.
Nashville, Johnny Cash, Hank Williams : il ne manquait
qu’Elvis pour compléter le tableau. Et oui, Elvis
était là aussi, sur la chanson He Was the King.
Ceux qui pensent que Neil Young revêtait là un costume
trop grand pour lui, taillé dans l’étoffe dont on fait
les héros de la musique américaine, seront bien
inspirés d’écouter Prairie Wind. Ultime volet de la
trilogie des moissons (Harvest en 1972, Harvest Moon
vingt ans plus tard), Prairie Wind est le disque d’un
homme qui fait le point sur sa propre histoire, sur sa
relation à la mythologie américaine, et sur ce qu’il
va désormais devoir laisser derrière. Le 12 novembre,
Neil Young aura 60 ans. En 2005, il a survécu à une
rupture d’anévrisme et enterré son père atteint
d’Alzheimer.
Neil Young n’a jamais été porté sur la gaudriole ou la
futilité. Mais là, sur ces dix chansons gangrenées par
les épreuves et l’intranquillité, il va plus que
jamais à l’essentiel, chante avec une gravité et une
sincérité qu’on n’avait pas entendues depuis
longtemps. Sur la chanson Prairie Wind, il chante :
“Trying to remember what my daddy said/ Before too
much time took away his head.” Sa voix est une petite
plainte dans les grandes plaines, la voix d’un
orphelin, d’un adolescent qui se sait perdu pour
l’enfance, à l’orée d’une vie d’épreuves, avec la mort
à l’horizon.
Chanté au passé décomposé, au futur imparfait, tout
l’album est dans cette tonalité régressive et
dépressive, le vent de la prairie fait hululer des
fantômes dans une ville abandonnée. Mais, comme
toujours chez l’ultrasensible Neil Young, ou comme
chez ses maîtres à chanter Hank Williams et Roy
Orbison, la puissance naît des faiblesses. Neil Young
est un homme replié sur sa douleur et ses souvenirs,
mais le chanteur en sort grandi, droit, immense.
Si Prairie Wind ne sombre jamais dans
l’autoapitoiement, c’est parce que ce disque est
magnifiquement interprété, sobre et classique, jamais
surjoué. Ici, point de guitare incontinente, de guest
envahissant, d’autocélébration. Neil Young ne fait pas
sa rock-star, pas son guitar-hero, il va chercher
l’inspiration dans les musiques aussi inaltérables,
dignes et nuancées que son âme : la country, la soul,
le gospel. Sa guitare est sèche comme un feu de
brousse. L’orgue, la basse et la pedal steel apportent
un peu de sérénité à ses mots inquiets. Souvent, il
est accompagné par une chorale gospel, et les
harmonies vocales semblent chantées par les nuages du
soir.
Nashville, Elvis, la prairie, la route, l’enfance au
Canada, le père disparu… Neil Young évoque des
paysages tourmentés, désolés, hantés, comme s’il les
traversait en rêve, bercé par les cuivres soul,
protégé par l’édredon des voix gospel. Son écriture
est une peau de chagrin ridée, abîmée par la vie, qui
regagne ici les dimensions d’un territoire vierge,
d’une terre promise. “If you follow every dream/You
might get lost”, chante-t-il sur The Painter. Ça vaut
pourtant le coup d’essayer.
Stéphane Deschamps
28 sept. 2005