Devant le temple, profane, je vous laisse et n'ai plus qu'une frivolité à faire valoir : celle d'accompagner mes hérésies vers mon silence, en ce lieu–ci.
Je vous laisse entre gens du même monde.
Et c'est bien dommage, je le concède aisément, d'être obligé de dire cela, de le reconnaître même.
Vu la valeur et la loyauté de bon nombre d'entre vous, sans doute.
Sans doute, aussi de ce pas, le fait de s'exprimer ainsi aura pour conséquence immédiate de faire croire qu'en vous laissant, je tente de me concilier la bienveillance de cet auditoire.
Il n'en est rien.
Au premier chef, parce que je me fais une idée bien plus humble de ma petite personne. Que cela vous surprenne, ou pas.
Et, ensuite, parce que mes interventions, motivées au départ par deux choses (un ou deux conseils demandés, ainsi que la loyauté mise à défendre le travail irréprochable, élitiste autant que proche et modeste d'un jeune luthier des Vosges...), répétées ici–même avec une opiniâtreté dont chacun aura pu se rendre témoin ; parce que ces interventions, n'ayant rien rencontré en retour, se sont finalement réduites à quelques cercles infimes dans l'eau où ma parole anodine s'était égarée, ou plutôt était tombée comme un caillou dans cette eau profonde et sans écho, sans appel.
Alors qu'elle pensait, avec naïveté, et sans fracas, être propre à y ricocher, entre deux rives.
Chacun aura pu, j'espère, se faire une idée de mes interventions très récentes sur ce topic, à moins qu'une agora, si tant est qu'il y ait eu matière à se donner cette peine.
L'indifférence pouvait suffire. Et se conjuguer au silence.
Mais, je n'ai pas pour ambition de me livrer à l'épuisement de défenses incessantes contre la mauvaise foi et le mépris, où parfois l'intelligence, ne tenant plus la toile, devient un argot de badaud.
Seulement m'en divertir.
Je ne développerai pas ce dernier point. Cela aurait pourtant valu la peine...
Et certains de se dire, voire de vociférer sans nuance, à ce moment : « Heureusement ! ».
Or la fatigue, et quelques “intimités” personnelles qui n'ont pas lieu d'être partagées et mises ici à l'encan, justement, m'auront finalement dispensé d'aller plus loin dans ce petit alentour.
Chacun aura pu se rendre compte où était l'argot de l'invective, ses attendus, comme sa généalogie haineuse, et j'espère inconsciente.
Il faudrait un tout dernier mot, il en faut toujours un, pour effacer les effets de cette tonalité un tant soit peu élégiaque, ou maladroitement funèbre, qui n'a déjà que trop duré.
N'en doutez pas, je me suis surtout amusé et distrait en ces lieux.
Même si je sais résolument aussi n'être pas entendu. Enfin, c'est ce que je me figure par une légèreté qui n'est pas sans force.
Je pouvais choisir de me taire, ou courber l'échine avec volupté.
Or, j'ai choisi cette voie, que je vous abandonne ici et maintenant, de tenir parole dans tous ces messages passés, présents et, allez savoir, à venir et de m'exprimer d'une manière qui ne soit pas ma voix, qui ne sacrifie jamais rien, ou aussi peu qu'il est possible, à la complexité.
Comme s'il fallait “bavarder” avec autrui en se donnant toujours cette commodité et cette lâcheté de ne lui adresser la parole que d'une voix brouillonne et si peu attentive à lui, finalement.
De céder encore une fois « à l'universel reportage», ainsi que le prétendait Stéphane Mallarmé.
En dire plus, ce serait en dire beaucoup moins.
D'un geste donc, ma parole aura tenu, je crois, jusqu'au bout parole.
D'un geste donc, et sans l'aide de ce que je ne résiste pas à l'ironie d'appeler des icônes, non pas des smileys, avec l'ombre d'un sourire cependant, étonné et vague, devant la disproportion de ce que je conclus ici d'un point.
À la ligne.
«Wir leben unter finsteren Himmeln, und –es gibt wenig Menschen. Darum gibt es wohl auch so wenig Gedichte. Die Hoffnungen, die ich noch habe, sind nicht groß. Ich versuche, mir das mir Verbliebene zu erhalten. »
Paul Celan, 18 mai 1960, Lettre à Hans Bender.