Vous avez un jour comparé la religion aux virus et j'imagine que vous avez reçu pas mal de critiques pour cela. Feriez-vous encore le même rapprochement aujourd'hui ?
Richard Dawkins : le mot virus n'était peut-être pas le mieux approprié, car il est associé à la maladie. On pouvait en déduire que les gens religieux ont un esprit malade, et affirmer cela n'est pas vraiment le meilleur moyen de se faire des amis...
Je pense tout de même que la comparaison est bonne.
Si vous songez à un virus informatique, à l'essence de ce virus, vous trouvez une information codée très simple, " copiez-moi ". Maintenant, si vous lancez un message avec la mention " Faites deux copies de cette lettre et envoyez-les à deux amis ", que ces deux amis l'envoient à huit, les huit à seize et ainsi de suite, votre message aura rapidement fait le tour du monde. Il est rare que de telles choses arrivent, car les personnes qui reçoivent la missive ont plutôt tendance à s'en débarrasser. Le résultat est beaucoup plus efficace si vous précisez " Faites deux copies et vous recevrez un million " :
nous avons tous reçu ce genre de message en chaîne. Tout le monde ne se prête pas au jeu, mais il suffit d'une petite proportion résiduelle pour le message circule sans s'arrêter. L'incitation relève parfois de la superstition, avec des menaces comme : " Vous jouerez de malchance et vous tomberez horriblement malade si vous ne faites pas deux copies ". Là encore, il suffit qu'une minorité s'en laisse conter pour que le message se diffuse largement.
Ce procédé de circulation est comparable à un virus : il se diffuse de la même manière, bien qu'il s'agisse d'un virus mental, et non d'un virus physique. La question est : existe-t-il de tels exemples de virus de l'esprit dans la vie réelle ? Les messages en chaîne en sont un. Je crois que la religion en est un autre, car elle fonctionne au fond de la même manière. Quand vous êtes enfant, vous croyez ce que vous disent vos parents. Vous avez d'ailleurs d'excellentes raisons biologiques de le faire : un bébé et un enfant ont beaucoup à apprendre et leur survie dans un environnement sauvage dépend de leur capacité innée à intégrer la sagesse de leur culture. Ne pas traverser la rivière car il y a des crocodiles, ne pas manger des baies rouges qui peuvent être empoisonnées, ne pas ramasser les serpents… autant de conseils sages qui sauvent la vie des enfants.
La voix intérieure qui nous dit " Crois ce qu'affirment tes parents " est donc très puissante du point de vue psychologique. Mais c'est aussi une porte ouverte aux parasites - non les parasites biologiques, mais les parasites spirituels.
Supposons une société dans laquelle, en plus du mot d'ordre " Ne pas ramasser de serpent ", il devienne coutumier pour quelque raison que ce soit (et la raison d'origine importe peu) de sacrifier un bouc pour s'attirer la faveur des dieux et faire venir la pluie. Chaque enfant entend : " Tu dois sacrifier un bouc quand tu seras grand sinon il ne pleuvra plus et nous mourrons tous de faim ". Pourquoi ne le croirait-il pas, puisque cette règle correspond au principe général " croire ce que les parents disent " ? Dans la mesure où personne ne fait un test pour vérifier s'il pleut en l'absence de sacrifice, la coutume se répand de génération en génération.
Je pense que la religion correspond à ce processus et, si j'ai raison, on devrait s'attendre à trouver le même phénomène partout, avec des détails très différents. Là, on sacrifie une chèvre, ici, on monte sur une montagne pour implorer Dieu, plus loin on abreuve le sol de sang… Toute société, toute tribu a ses propres rituels et coutumes. Cette diversité est prédictible si le procédé est aussi arbitraire que le message en chaîne, à ceci près qu'il se transmet ici longitudinalement, à travers les générations. Cela n'explique sans doute pas tout ce qu'est une religion, mais au moins une partie substantielle du phénomène.