palikao a écrit :
Tu t'es échappé de Guillaume Rénier ?
L'humour de Rennais, c'est spécial... Pardon pour les clichés...
Bon allez pour la route...
Jacky
Hier je me promenais dans une brocante. On peut parfaitement aimer les brocantes et avoir moins de cinquante ans. Non à vrai dire, je n’aime pas les brocantes, je suivais une demoiselle qui elle adore ça et dans un louche esprit de compassion et de partage avec mon prochain mais surtout avec l’intense intention de me la faire, je l’ai suivi dans ce lieu.
Les brocantes c’est deux choses, ou bien ce sont des vieux qui essayent de vous vendre le contenu de leur grenier, en général sur une idée de leurs enfants qui ne souhaitent pas faire trop de cartons le jour de la succession. La maison vide est plus facile à faire visiter. Donc des choses moches, vieillottes et souvent hors de prix car, dans une brocante, les prix sont indexés en fonction de la valeur sentimentale et des souvenirs paisiblement déposés sous la poussière. Donc hors de prix. Et puis à côté de ses braves résistants qui vous font croire que le cadre de Pétain n’avait pour unique fonction de tromper l’ennemi, se trouve leurs ennemis justement, les spécialistes. C’est un marchand, comme les autres, un peu voleur et beaucoup menteur, qui cache sa vraie nature sous un air de bonhomie qui n’est pas sans rappeler le père noël, mais lui ne va vous faire aucun cadeau. C’est son travail.
Donc, tandis que ma future conquête s’extasiait devant une loutre empaillée, je vis une boule transparente au fond d’un coffre. M’approchant, plus pour tromper mon ennui que par véritable intérêt, la vendeuse, une bonne femme aussi poussiéreuse que ses objets, et dont le dernier coup de plumeau devait remonter à la guerre. La première de guerre. Donc la voilà qui m’explique dans un patois malaxé par ses lèvres difformes, mastiqué des dents jaunâtres et branlantes, et ponctué de postillons gros comme des glaviots, que ladite boule est en cristal et a appartenu à une bohémienne qui l’utilisait pour prédire l’avenir avant d’être atrocement brûlé et sottement violé après par une bande de nazillons nostalgique du portrait de Pétain vendu sur l’étal d’à côté.
Par un élan de compassion qui parfois me fait achever des chiens en très bonne santé, je lui ai acheté sa camelote sans même discuter le prix, je n’aime pas marchander, j’ai les moyens, j’aime que cela se sache.
Revenu chez moi, et la conquête conquise se reposant paisiblement après un coït forcené de magnitude 6, je peinais à trouver le sommeil. Me rappelant l’achat pré coïtal, je la sortis de mon sac posé pas loin et plongeait mon beau regard dedans.
Et là je vis l’avenir. Pas demain, ni après demain. Ce qui m’aurait arrangé car j’aurais alors su comment me débarrasser de l’exquise personne à mes côtés sans passer pour un horrible salaud venant de Mars.
Je vis l’avenir à des centaines d’années en avant. Un avenir post-apocalyptique, car tout le monde le sait, une apocalypse arrive. Et dans ce zoom improbable et assez déroutant pour l’estomac, j’ai tout vu.
Dans ce monde où les grands immeubles ne sont plus que des carcasses vides, ou la végétation a repris sa place en envahissant tous les trottoirs. Ou les êtres humains sont redevenus des chasseurs et des chassés. Au milieu de cet avenir, j’ai vu le devenir des humains.Ils se divisent en deux catégories comme tout en ce monde, disait un cow-boy italien.
Vous avez un groupe que je vais nommer les « décérébrés ». C’est une évolution d’un genre d’humain déjà existant. Celui qui ne se pose aucune question. Il y va. Il fait tout au premier degré. Il travaille, il baise, il se reproduit. Sans jamais se demander pourquoi. Sans jamais penser plus haut que son sexe. Il fuit tout ce qui peut représenter une forme de réflexion sur sa condition. Pourquoi est-il aussi présent dans l’avenir que je sais maintenant inéluctable ? Mais parce que les autres, ceux qui réfléchissent à leurs conditions se sont beaucoup moins reproduits. Qu’est ce qui se passe 9 fois sur dix quand un couple réfléchit à avoir des enfants ? Ils n’en font pas. En tout cas, sur plusieurs siècles, le nombre de bébés produits penchera d’abord vers les « décérébrés » plutôt que sur les autres. Donc, nos hommes à gourmettes et au véhicule tunning et nos femmes lectrice de Gala et acheteuse de fringues de marques sont en phase de devenir l’espèce dominante.
Bon point pour eux, lui s’adaptera très bien à une vie intellectuelle proche du niveau de la mer et retrouvera ses instincts de chasseurs pour attraper les sangliers et besogner sa femme, qui sera ravi de faire la cuisine dans la grotte et de pas non plus se creuser la tête tant qu’elle aura des potins sur la grotte d’à côté. Et ils se reproduiront de plus en plus.
Mais alors contre qui doivent-ils lutter ? Car deux groupes humains s’ils écoutent leurs instincts vont se battre.
L’autre catégorie qui survivra à cette apocalypse sera le groupe des « Nerds ». Pardonnez cet anglicisme, mais le mot français n’existe pas. Ce sont les gens pour qui la vie sociale se résume à des connexions informatiques. Personnes virtuelles par peur du réel. Ceux-là n’ont jamais affronté le monde réel. Car si les décérébrés n’ont pas conscience du non-but de la vie de l’homme, les nerds s’en doutent un peu, mais ne veulent pas l’assumer.
Mais pourquoi ont-ils survécu ? En premier lieu parce qu’ils vivent surtout en sous-sol et s’exposent peu à la lumière du jour. Et deuxième lieu parce que les jeux vidéos leur donnent de bonnes connaissances théoriques de survie et qu’il y a suffisamment de barres chocolatées sous leurs ordinateurs pour survivre pendant des années sans avoir à chasser le moindre dindon. Mais ils sont affaiblis par un manque cruel, ils sont dans l’incapacité de se reproduire faute de partenaires sexuels consentants. Donc chaque perte dans cette guerre est crucial alors que le décérébré compte sur la relève de son code génétique grâce à ses nombreux rejetons.
Ma vision s’est arrêtée là, dans un éclair, tout est redevenu noir. J’étais comme un con, nu dans un lit avec certainement la "Ève" des décérébrés qui remuait faiblement dans son sommeil, sans doute gêné par ses neurones qui essayait de connecter la nuit. Je me levais, me dirigeais vers la fenêtre de mon appartement. La ville endormie ne se doutait de rien. Avais-je un quelconque pouvoir pour empêcher ça. La bohémienne avait elle vu cette chronique d’un désastre annoncé et avait donné ce lourd héritage à une âme moins fragile, plus simple comme l’était cette vieille femme au lourd patois. Je ne le serais jamais.
Si seulement j’étais un tout petit plus con. Un peu le jacky de Brel, vous savez, beau et con à la fois.
Le Lutin