David Lynch, c’est avant tout la rupture du recit lineaire.
Je m’explique : dans le recit classique, on s’attend a ce que les evenements d’un recit s’enchainent de facon coherente et surtout avec une relation de cause a effet (ex : le gentil cowboy tire sur le mechant bandit, ce dernier tombe, et par la force des choses, ou mourrant, disparaît du recit).
Le recit chez David Lynch est tout autre ; il s’articule principalement autour d’une ligne abstraite qui touche le Bien et le Mal. Ainsi, dans le recit classique, le Bien et le Mal sont fondamentalement distincts. Parfois, un heros peut avoir les idees noires et il peut lui prendre l’envie de tordre le cou a sa voisine de pallier, mais rien de bien mechant.
Chez Lynch, l’individu est par nature fondamentalement bon, sauf quand… il est fondamentalement mauvais. Cette distinction du Bien et du Mal est presente dans un certain nombre de symboles qui preludent au recit. A l’origine du recit, Lynch seme un certain nombre d’indice relatif au Bien et au bohneur (ex : la pelouse verte est symbole de la paix et de l’innocence de l’enfance, comme dans la premiere scene de Blue Velvet). Car pour Lynch, le Bien est d’abord lie a un sentiment d’enfance (ex : Blue Velvet, le heros est a l’origine un post ado un peu niais, le personnage de Erasead Man est un jeune homme pas encore enfonce dans les responsabilites de l’age adulte).
La degradation de cet etat pur n’est pas progressive. Le Mal est la de fait, soudain, sans qu’on s’en apercoive. Pour Lynch, la violence et le Mal sont liees a la sexualite. Donc, la corruption de l’individu passe souvent par une experience sexuelle (Blue Velvet et l’apprentissage de la violence sexuelle).
La ou le cinema de Lynch est particulierement original, c’est qu’il se pose excatement a la frontiere, ou plutot au contact, entre les deux mondes. Il en resulte un recit qui effectue des sauts a droite et a gauche, un peu comme une particule qui change d’etat par quantas.
Lynch nous exprime un sentiment de paradoxe : le Bien et le Mal sont fondamentalement opposes, mais ils se rejoignent tout en se repoussant, et surtout coexistent dans la nature meme de l’individu (independament de sa bonne volonte).
Lynch defini ainsi un cinema du paradoxe contradictoire. Ainsi, il ne faut pas etre surpris par les changements extremement brutaux dans le recit (personnage brun qui devient blond, personnage qui se « reincarne », jeune heros tres gentil qui arrive finallement a tabasser une femme un peu perdue).
Lost Highway est clair de ce point de vue : la cesure du film arrive a la moitie avec une sequence de toute beaute : le personnage fait sa sieste dans un jardin tres vert sur une musique de Carlos Jobim. Quelques temps avant, le heros assasinait sa compagne. Quelques temps apres, les meurtres s’enchaineront.
Il y a un symbole tres fort qui resume le cinema de Lynch : ce symbole represente un etat par definition instable ; il se melange a l’air, mais le pollue en meme temps ; il s’aspire ou s’expire ; il peut etre lie a une consommation illicite. Surtout, ce symbole, lorsqu’il est place dans un tunnel, signifie une descente dans le subconscient du recit et des personnages.
Ce symbole, Lynch l’a photographie a de nombreuses reprises dans le cadre de ses activites photographiques. On le retrouve au debut de Mulholand Drive au debut apres l’accident de voiture.
Ce symbole, c’est la fumee.
J’avais 15 ans lorsque j’ai vu Erasead Man au cinema. Le cinema ne Lynch ne m’a jamais quitte depuis.