Article mediapart :
L'information judiciaire sur un réseau de prostitution au Carlton de Lille prend de nouvelles dimensions. Trois responsables de l'hôtel ont été mis en examen et écroués pour proxénétisme aggravé en bande organisée début octobre. L'enquête a désormais établi l'existence de plusieurs voyages à Washington, pour rencontrer Dominique Strauss-Kahn, d'un petit groupe constitué de policiers lillois de haut rang, et, selon La Voix du Nord, de «femmes présentées comme secrétaires du groupe Eiffage». Le tout aux frais de deux chefs d'entreprise locaux, également participants à ces déplacements.
L'affaire est révélée au public avec l'arrestation, le 2 octobre 2011, de Dominique Alderweireld, dit Dodo la Saumure. Soupçonné de faire travailler des mineures dans ses maisons closes en Belgique, ce chef d'entreprise français a, selon le quotidien régional, un casier long «comme la Nationale 50 – celle qui mène de Lille à Courtrai, avec les néons des bordels qui pourraient presque remplacer les lampadaires».
D'après des écoutes téléphoniques menées depuis février 2011, Dodo la Saumure envoyait des filles au Carlton de Lille, au fil des commandes du chargé des relations publiques de l'hôtel de luxe, René Kojfer. Ce dernier a ses relations dans la police locale, à en croire La Voix du Nord, qui raconte comment il était déjà de la partie en 2004, lorsque les patrons du Carlton avaient racheté un autre hôtel lillois, le Politel, à... une mutuelle de police (la MMI, Mutuelle du ministère de l'Intérieur).
Jean-Christophe Lagarde, chef de la sûreté départementale, interpellé et mis en garde à vue le 20 octobre par l'inspection générale de la police nationale (IGPN), est le premier policier à tomber. En poste depuis trois ans à Lille, il était ainsi, selon Libération, en contact régulier avec René Kojfer et aurait à plusieurs reprises réservé des chambres «avec colis» ou «dossier» pour des amis.
Il aurait également été de trois voyages à Washington fin 2010-début 2011, pour retrouver l'ex-directeur du FMI, Dominique Strauss-Kahn. D'après La Voix du Nord, le premier voyage aurait eu lieu mi-décembre 2010, en compagnie du directeur départemental de la sécurité publique du Nord, Jean-Claude Ménault, de deux chefs d'entreprise locaux, et de «deux jeunes femmes, présentées comme des secrétaires du groupe Eiffage».
Les deux autres voyages, cette fois sans Jean-Claude Ménault, se seraient déroulés en février 2011 et du 11 au 13 mai 2011, soit la veille de l'interpellation de Dominique Strauss-Kahn.
L'un des deux chefs d'entreprise locaux, Fabrice Paskowski, responsable de deux entreprises de matériel médical dans le Nord, est présenté par La Voix du Nord comme un vieil ami de l'ex-directeur du FMI, «au point que celui-ci est venu plusieurs fois dans la région, passer des soirées entre amis». Il a été placé en garde à vue le 19 octobre avec sa compagne, Virginie Dufour. A la tête d'une société de relations publiques, cette dernière est soupçonnée d'avoir réglé les frais des trois séjours à Washington, puis de s'être fait défrayer par une filiale du groupe de BTP Eiffage dans le Pas-de-Calais.
C'est ce circuit de défraiement, et ses éventuelles contreparties, qui intéresse aujourd'hui les enquêteurs de la PJ lilloise.
Abus de bien social ?
L'autre chef d'entreprise de tous les voyages n'est autre que David Roquet, dirigeant de la société des Matériaux et Enrobés du Nord, filiale d'Eiffage. Mis en examen pour proxénétisme aggravé le 14 octobre et aussitôt placé en détention provisoire, David Roquet a reconnu, lors de sa garde à vue, avoir payé les billets d'avion de tout ce petit groupe «avec l'aval de (son) patron», cite Libération. De plus, la mention «DSK» apparaît à de nombreuse reprises au dos des notes de frais du chef d'entreprise, selon Le Parisien.
Le cadre a été mis à pied vendredi par Eiffage, qui a déclaré avoir déclenché une enquête interne. Le groupe de BTP a récemment remporté deux gros marchés dans le Nord-Pas de Calais, ceux du nouveau stade de Lille et du futur musée du Louvre à Lens.
Les rencontres de Dominique Strauss-Kahn avec ces entrepreneurs remontent à mars 2009, d'abord dans un restaurant parisien puis à l'hôtel Murano. «En fait, c'est Fabrice P. (Paskowski - ndlr) qui m'a dit qu'on avait l'occasion de déjeuner avec M. Strauss-Kahn et qu'il apprécierait que je ramène des copines, en fait de prostituées», a, selon le Figaro, expliqué David Roquet lors de sa garde à vue.
Des soirées en compagnie de prostituées de Dodo la Saumure, financées par la société de David Roquet, et dont aurait également été le commissaire divisionnaire Jean-Christophe Lagarde. Et Libération de citer le PV d'audition de René Kojfer, ce sont «ceux qui ont servi d'intermédiaire entre Dominique Strauss-Kahn et Béatrice (la compagne de Dodo la Saumure - ndlr), c'est David Roquet et Jean-Christophe Lagarde».
Ces faits pourraient constituer un abus de bien social, et un recel d'abus de bien social pour leurs bénéficiaires. D'après Le Figaro, David Roquet a démenti toute contrepartie pour lui comme pour Fabrice Paskowski ou le patron de la sûreté départementale : «Ces soirées ne m'ont jamais rien ramené», a-t-il assuré aux policiers lillois.
Mais qu'allaient faire à Washington deux responsables policiers du Nord-Pas de Calais, accompagnés de si curieux ambassadeurs ? Chacun y va de sa petite spéculation.
Selon La Voix du Nord, il s'agissait simplement pour Dominique Strauss-Kahn de «consulter (le directeur départemental de la sécurité publique - ndlr) sur les questions de sécurité intérieure, dans la perspective de la campagne présidentielle». Le tabloïd américain New York Post, ravi de retrouver son ancien client préféré, affirme lui que «Jean-Christophe Lagarde voulait diriger l'unité de protection présidentielle si DSK avait été élu, et que les deux hommes avaient échangé à ce sujet».
L'ancien patron du FMI avait demandé le 16 octobre à être «entendu le plus rapidement possible par les juges» pour mettre «un terme aux insinuations et extrapolations hasardeuses et encore une fois malveillantes».
Quand y en a plus y en a encore!