"Cacahouète" bien sûr que tu es un bon gars, mais tu ne peux pas savoir ce que tu as manqué! Lorsque tu arrives à la caserne, tu sors dans la vie pour la première fois, comme Lao j'ai fait beaucoup de colonies, et j'ai su de suite ranger mon armoire et faire mon lit au carré! Rien que çà, beaucoup avaient des difficultés et se trouvaient punis lorsqu'il y avait des revues de chambres!
Incroyable! Sur les cent appelés de mon contingent, trente cinq n'avaient pas le certificat d'études, trente l'ont passé et réussi en suivant des cours donnés par un appelé sursitaire âgé de 27 ans, ingénieur dans un centre atomique.
Ce professeur amateur avait tout fait pour se faire réformer, car il était marié, avait deux enfants, et se retrouvait d'après lui au milieu de gamins au niveau bien bas. Il a tout fait, traversant la cour de la caserne pour aller serrer la main du Commandant du 6ème Bataillon de Chasseurs Alpins, situé rue Hoche à Grenoble. Lors des exercices militaires il laissait tomber son fusil par terre, ou l'oubliait au stand de tir.
Je pourrais en écrire des pages sur le cirque qu'il nous a produit pour être exempté et rentrer chez lui. Les gradés se sont penchés sur son dossier pour savoir s'il avait des problèmes psychiques, ils ont eu la surprise de découvrir tous ses diplômes et sa profession, ainsi que sa situation de famille. Ce brillant soldat a fait ses classes comme nous tous, puis a été réquisitionné pour donner des cours aux appelés pour préparer leurs certificats, et aux sous-officiers, souvent des adjudants qui voulaient passer l'examen d'officier. Ses quatre élèves ont réussi le dur examen qui leur permettait de passer officier et d'accéder au grade de sous-lieutenant.
Et bien, il n'a pas perdu son temps, s'est plu dans son nouvel emploi, et a brillamment oeuvré à la promotion et à la réussite d'appelés et de sous-officiers.
Ce gars là, nous a apporté énormément de connaissances, lors de débats tenus dans notre dortoir, je suis certain que chacun d'entre nous ne l'a pas oublié. J'appartiens à une génération qui avait de nombreux autres sursitaires, dont les âges variaient entre 22 et 27 ans, car, à l'époque, tout le monde devait faire son service militaire!
Je me suis retrouvé secrétaire du Commandant, et comme dans mes fonctions je devais préparer et signer les permissions accordées tous les 15 jours, je ne vous cacherai pas que je me suis débrouillé pour que mes sursitaires puissent rentrer chez eux chaque week-end. Injustice, non, j'en ai vu pleurer lorsqu'une punition les privait d'une permission, certains étaient fiancés, mariés, et semblaient perdre leur temps parmi nous.
Mais tous, par la force des choses, se sont habitués à leur nouvelle vie, et nous ont dit ne pas regretter cette vie en communauté, cette solidarité qui aurait pu me coûter la prison ou de faire quelques mois d'armée supplémentaires.
Ceci, n'est qu'un exemple de l'ambiance qui régnait dans mon contingent, et j'ai beaucoup d'autres argumentations qui pourraient vous convaincre que ce service nous a changé et a fait de nous des hommes plus murs, plus instruits, tous conscients que chacun apportait sa pierre pour agrémenter, améliorer, et mieux supporter ces 16 mois d'armée! Nous étions des frères d'armes!