Je suis allé voir ce film splendide ce week end, et c'est l'un des films qui m'a le plus marqué depuis une bonne dizaine d'années.
Et visiblement j'étais pas le seul, jamais je n'avais un public quitter une salle de cinéma avec tant de charge émotionnelle.
Je n'hésite pas à vous retranscrire un article des inrockuptibles, que je n'achète pas en général, mais là je n'ai pas résisté à Clint en couverture...
"Dans un monde où tout s'emballe et s'accélère, il est bon parfois de pouvoir s'accrocher à quelques balises stables. Dans un cinéma hollywoodien qui ne sait parfois plus donner de l'innovation technologique et de la surenchère spectaculaire, il est bon parfois de pouvoir compter sur Clint Eastwood.
Car Clint est vraiment devenu un roc, un pic infaillible, un capitaine imperturbable qui mène son bateau de cinéma classique indifférent aux tempêtes esthétiques ou autres coups de tabac technologiques qui font rage autour de lui. Un peu à la façon dont un Bruce Springsteen charrie sur ses seules épaules tout un pan de l'âge classique du rock américain, Clint Eastwood incarne désormais à lui seul tout le classicisme cinématographique américain. Son nom est quasiment devenu un label, une marque déposée, une griffe garantie 100% vintage. Face aux maîtres actuels de l'industrie hollywoodienne que sont les frères Wachowski, Peter Jackson ou autre Chris Colombus, nourris de jeux vidéo et d'effets numériques Eastwood fait figure d'artisan à l'ancienne, sachant façonner des personnages savoureux avec le tour des mains des grands ancêtres et raconter son pays à travers quelques destins individuels.
La nouvelle fable noire d'oncle Eastwood se situe dans le milieu de la boxe. Dès le générique, Eastwood signe son projet avec un travelling hallucinant qui vient se fondre au noire à l'intérieur de l'arcade sourcillière ouverte et sanguinolente d'un boxeur : le film n'hésitera donc pas à aller creuser profond, à porter le fer à l'intérieur de la plaie. On retrouve Eastwood en Frankie Dunn, entraîneur solitaire d'une salle de boxe d'un quartier déshérité. Dunn est acariâtre en surface, mais on sent qu'il a un bon fond et que c'est un excellent instructeur. La salle de boxe est à son image, un lieu où l'on ne prépare pas les grands champions, où tout respire l'usure et le manque de moyens, mais où l'on travaille bien. On se croirait dans une chanson de Springsteen. Comme le chanteur, Eastwood affiche son empathie pour les losers, les décrochés de la grande roue du succès triomphant.
Frankie Dunn reçoit un jour la visite de Maggie, jeune apprentie boxeuse qui veut réussir dans le circuit féminin. Entre la fille white-trash en manque de projet et privée de père et le vieux routier solitaire rejeté par sa fille, rongé par la culpabilité, se noue une relation déclinable à plusieurs niveaux--père-fille, maître-élève, Pygmalion-modèle, metteur en scène-acteur... Ce qui pourrait ennuyer dans ce nouvel opus eastwoodien, c'est la répétition de figures et de shémas déjà archi codifiés. Mais ce qui est formidable, c'est à quel point Eastwood parvient à les relavitiser sans efforts grâce à de subtiles variations. Par exemple en féminisant le genre du film de boxe, en lui conférant tout d'un coup une douceur inhabituelle. C'est cette féminité qui rend encore plus aigu l'un des motifs sur lesquels se tend le film : le paradoxe par lequel Dunn veut à la fois faire réussir Maggie, mais aussi la freiner pour protéger son beau physique et sa belle âme des mauvais coups des rings.
L'écartèlement de Dunn vis-àvis de la violence est peut-être celui d'Eastwood, cinéaste que l'on peut imaginer aujourd'hui taraudé par le remords des "Dirty Harry". Autre subtil déplacement, la scène où un petit blanc, souffre-douleur du gymnase, se fait tabasser par un groupe de noirs. Cette séquence qui n'amène pas grand chose dans l'économie générale du récit principal est un retournement gonflé de l'habituelle scène de lynchage. Elle participe du principe d'un film qui déjoue le plus souvent les scènes et les shémas attendus.
Si Eastwood parvient à nous passionner pour ce qui apparaît comme une fiction assez classique, c'est aussi parce qu'il le fait avec élégance et style. En situant toujours ses protagonistes et leur corps dans leur environnement spatial. En n'oubliant jamais de mettre en relation les personnages et les lieux. En soignant les clairs-obscurs sans trop les lécher. En prenant le temps de déployer son récit, de nourrir ses personnages secondaires, de se perdre dans les chemins vicinaux de micro-intrigues tout en maintenant le cap de la route principale. Il faut voir comment Frankie raconte à Maggie comment déplacer ses jambes, comment frapper le sac... Tout est question de détails, de gestes patiemment appris et répétés. Leçon de boxe ou leçon de mise en scène, c'est pareil. La route principale emmène patiemment Maggie et Frankie (on dirait le titre d'une vieille ballade fifties) sur la voie du succès et d'un début de rédemption, mais ce n'est pas non plus si simple. Certes, Maggie remporte des victoires et grimpe dans la hiérarchie du circuit féminin, mais elle ne parvient pas à se réconcilier avec sa famille. Certes, Dunn est absorbé par ce nouveau projet innatendu, mais il ne semble pas en paix avec les fantômes du passé.
On ne racontera pas ici la dernière partie de "Million Dollar Baby". Celle qui a déclenché la pôlémique en Amérique, attirant les foudres de la connerie religieuse. Celle où le jeu d'Eastwood atteint une sobriété bouleversante, une sécheresse expressive sans égale, une dignité dans l'émotion proprement imprésionnante. Celle où on ne sait plus si Eastwood met un grand jet de vitriol dans son optimisme, ou un doigt de lumière dans sa noirceur. Celle où l'on comprend que le rêve américain n'est pas pour Clint une obligation édifiante, mais une quête dangereuse qui peut parfois se payer au prix fort. Celle où les vieilles culpabilités enfouies tant bien que mal finissent toujours par resurgir et se reproduire (c'était déjà l'histoire sur Mystic River). Celle où l'amour tue, dans un paradoxe injuste et insupportable. Au pays du triomphe forcené et en l'époque du uccès à tout prix, la lucidité amère d'Eastwood fait figure de morale salutaire. Et quand la leçon de morale est énnoncée avec autant d'élégance et aussi peu de surplomb didactique, on s'incline et on se laisse béatement compter jusqu'à dix."
Someday girl
I don't know when
We're gonna get to that place
Where we really want to go
And we'll walk in the sun
But till then
Tramps like us
Baby we were born to run!