Ben.oît a écrit :
Merci de nous faire partager tes lectures. Ca me donne l'envie de trouver de nouvelles pistes.
Alors que je relisais ce matin encore une fois le grand roman de Thomas Bernhard
Extinction je suis tombé sur ce passage qui m'a fait penser à ce que tu avais écrit et sur ton envie de découvrir de nouvelles choses, qui n'est pas si répandue encore moins aujourd'hui qu'à l'époque où écrivait Thomas Bernhard :
De même que la plupart des diplômés, à la fin de leurs études universitaires, croient en avoir fait assez pour la vie et ne plus devoir s’efforcer de développer leurs connaissances, leur savoir et leur caractère, puisqu’ils croient avoir déjà atteint l’apogée de leur existence, comme par exemple la plupart des médecins que je connais, les miens, après avoir achevé le lycée, les soi-disant humanités, n’ont plus fait aucun effort et ont campé sur ces positions parfaitement insatisfaisantes en vérité. Pourtant c’est une attitude déplaisante que de croire que l’enrichissement de l’esprit n’est plus nécessaire, qu’un élargissement des connaissances, quelles qu’elles soient, est superflu, qu’une formation poursuivie du caractère est une perte de temps. En quittant le lycée, ils ont très tôt cessé d’élargir leurs connaissances et de former leur caractère, avant même leur vingtième année ils ont donc renoncé au travail sur soi et se sont contentés de leur acquis, avec une suffisance grossière. Alors que mon oncle Georg, par exemple, s’est employé toute sa vie à élargir ses connaissances, à fortifier son caractère, à exploiter entièrement ses possibilités jusqu’à l’extrême, eux n’avaient pas eu la moindre tendance à le faire, en un temps où ils n’avaient même pas atteint le niveau le plus élémentaire de leur développement. Déjà vers la vingtième année ils avaient renoncé, je dois le dire, n’avaient plus rien laissé pénétrer en eux, ne s’étaient plus donné aucune peine, avaient reculé devant le moindre effort pour s’améliorer. Pourtant il va de soi qu’on élargisse ses connaissances, qu’on forme et fortifie son caractère tant qu’on est en vie. Car celui qui cesse d’élargir ses connaissances et de fortifier son caractère, c’est-à-dire de travailler sur soi afin de tirer de soi le meilleur parti possible, a cessé de vivre, et vers vingt ans ils avaient déjà tous cessé de vivre et dès lors ils n’ont plus fait que végéter, je dois le dire, dégoûtés d’eux-mêmes, naturellement. […] Et l’homme qui ne fait pas d’effort est sans aucun doute un homme répugnant, nous ne pouvons le regarder, si nous le regardons, sans la plus grande répulsion. Il nous déprime, non seulement nous rend malheureux à la longue, mais furieux. Nous nous opposons à lui, mais cela ne sert à rien. L’ensemble des gens ne se donnent du mal, dirait-on, qu’aussi longtemps qu’ils peuvent attendre des diplômes stupides avec lesquels ils peuvent se pavaner en public, lorsqu’ils ont en main un nombre suffisant de ces diplômes stupides, ils se laissent aller. La plupart ne vivent que pour obtenir des diplômes et des titres, pour nulle autre raison, et quand ils ont obtenu un nombre à leur avis suffisant de diplômes et de titres, ils se laissent choir dans le lit douillet de ces diplômes et de ces titres. Ils n’ont, dirait-on, aucun autre but dans la vie. Une vie personnelle, indépendante, une existence personnelle, indépendante, cela ne les intéresse pas du tout, dirait-on, ils ne s’intéressent qu’à ces diplômes et à ces titres sous lesquels le genre humain risque d’étouffer depuis des siècles. […]
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Thomas Bernhard,
Extinction, Gallimard.